L'année 2025 vue par... Loris Guémart

Loris Guémart - - La vie du site - 15 commentaires

En cette fin d'année, la rédaction (écrivante) d'ASI fait le bilan, plus ou moins calmement. Image la plus marquante, pire éditorialiste, plus mauvais coup de com', recommandations culturelles et un peu d'espoir malgré tout pour 2026 : chaque journaliste a répondu aux questions du rédacteur en chef, Robin Andraca, qui s'est aussi prêté à l'exercice. Bonne lecture, et bonnes fêtes de fin d'année de la part de toute la rédaction d'ASI.

l'image la plus marquante :

Ce n'est pas une mais plusieurs images similaires qui m'ont le plus marqué cette année. En l'occurrence, les clichés pris avant et après des prisonniers de guerre ukrainiens de retour des camps russes. Plus nombreux sur les réseaux sociaux que dans les médias, qui n'osent probablement pas infliger ce type d'images à leurs audiences, ces comparatifs ne font pas moins pâlir d'effroi que les images plus répandues de la faim à Gaza. Si les camps de prisonniers russes en Ukraine ne ressemblent pas à des centres de loisirs, l'on ne semble pas les y affamer (et les torturer) jusqu'à ce qu'ils deviennent des squelettes sur pattes.

La séquence la plus énervante :

Ce serait plutôt une série qu'une seule séquence, mais elle se déroule toujours de la même manière. Les températures s'affolent à la hausse ? La télé continue de nous montrer des glaces et des loisirs, et oublie de relier la crise climatique aux politiques publiques. Les températures sont normales en janvier ? Les médias multiplient les contenus sur une "vague de froid" qui n'est que la normalité des dernières décennies, illustrant autant que renforçant l'amnésie écologique qui nous touche tous. Bref, peut (beaucoup) mieux faire.

La séquence la plus fascinante :

Comment ne pas penser à l'incroyable arc narratif de celui qui se voulait Vincent Bolloré mais n'en est que la version Wish, pour citer un journaliste ayant enquêté sur lui ? Riche, déterminé, catholique et d'extrême droite (qualificatif politique qu'il rejette fermement), souhaitant fermement la victoire du RN et prêt à financer tout ce qui lui permettra d'y parvenir, médias compris, Pierre-Edouard Stérin n'est pourtant que l'ersatz de son aîné : ses grands plans machiavéliques fuitent plus vite qu'ils ne peuvent être appliqués, les organisations qu'il finance rétropédalent dès le premier appel des journalistes, les médias qu'il veut racheter soit se soulèvent contre l'idée, soit perdent leur superbe dès le rachat dévoilé

Le sujet le plus maltraité dans les médias en 2025 :

Depuis maintenant plus de deux ans, aucun journaliste étranger n'a accès à Gaza. Et ce ne sont pas les quelques visites embarquées avec l'armée israélienne, ni les quelques incursions permises en suivant discrètement les organisations humanitaires, qui changent cet état de fait. Un "huis clos informationnel d'une ampleur et d'une durée inédites", pour citer la Revue des médias de l'INA. Mais un huis clos qui n'excuse en rien la faiblesse de la couverture médiatique, ni à Gaza, ni en Cisjordanie où Israël a drastiquement accentué la pression militaire en parallèle.

Le plus mauvais coup de com' :

Le livre de Nicolas Sarkozy est déjà un succès de librairie, et de dédicaces auprès de la bourgeoisie âgée qui le fit président. Mais sa lecture relève plutôt de la mauvaise blague, de la part du prisonnier le plus favorisé de France et du ministre de l'Intérieur qui voulut instaurer les peines de prison automatiques en cas de récidive. Florilège de sa réception médiatique : "bobards"dans Libé, "la honte après le déshonneur"côté belge, "mauvais roman"dans le fort peu gauchiste quotidien la Provence, "il cherche à se placer aux côtés d'Alfred Dreyfus et Jésus-Christ" pour le New Yorker, "un livre involontairement hilarant"dans le britannique The Observer. Sans oublier les "accolades" à Marine Le Pen et Jordan Bardella, relevées par la BBC. Le déshonneur, et la honte.

Un sujet bien traité cette année dans les médias (sait-on jamais) :

Un bon signe permettant de voir si un sujet a été moins ou peu maltraité ? L'absence de contenus chez Arrêt sur images. En l'occurrence, en 2025 et malgré son ampleur, l'affaire Bétharram n'a suscité que peu d'articles et d'émissions. Pour une fois, les révélations successives de Mediapart, s'ajoutant à celles du Point quelques mois plus tôt, ont suscité des reprises médiatiques et des rebonds journalistiques à la hauteur de leur intérêt.

L'éditorialiste le plus énervant :

Mon année médiatique 2025 fut indéniablement marquée par les Sarkozy. L'éditorialiste qui m'a le plus énervé n'est en effet nul autre que... son fils. Et filleul de Martin Bouygues, ce qui a son importance quand on est éditorialiste sur LCI. Je ne vous infligerai pas la litanie de ses interventions les plus absurdes, mais me contenterai de pointer celle qui m'avait fait réagir en juin, lorsque Louis Sarkozy put affirmer, sans aucune contradiction en plateau, que "des prédictions sont faussées tous les dix ans" en matière d'évolution du climat. Alors même que la plupart des grands modèles climatiques, s'ils se sont trompés, c'est en n'anticipant pas assez la rapidité de la hausse des températures autour du globe. Ce qui n'était évidemment pas le sens du propos en plateau de l'expert de Napoléon.

La pire émission :

Je vous aurais bien parlé de TBT9, le TPMP version M6 de Cyril Hanouna… mais en réalité, comme depuis bien trop d'années, à mes yeux, la pire émission de télévision du PAF reste encore et toujours L'Heure des Pros. Aucune autre émission ne réunit en effet éditoriaux systématiquement malhonnêtes assénés sur un ton d'évidence, invité·es toutologues moins compétents les uns que les autres, et une influence en aval sur tous les autres médias Bolloré décuplant son pouvoir médiatique. De quoi, décidément, en vouloir à Eugène Saccomano.

La meilleure :

La moins pire émission de débats télévisés ? C dans l'air, bien qu'on y trouve trop souvent les mêmes travers que les autres. Mais aussi, parfois, des échanges intéressants et de véritables expert·es de leurs sujets en plateau.

La pire interview :

Il faut regarder l'interview de Fabrice Arfi sur BFMTV le 29 septembre, à propos de la fameuse note de l'affaire libyenne de Nicolas Sarkozy. Marc Fauvelle s'y fait le porte-voix de Nicolas Sarkozy citant la présidente du tribunal, propos qui apparaît longuement à l'écran : "Il n'y a aucun élément qui a permis de corroborer le contenu de la note, qui apparaissait déjà fragile. Le plus probable est que ce document Mediapart soit un faux." Et Fabrice Arfi d'expliquer qu'aux yeux de la justice, la note n'est "ni un faux matériel ni un faux intellectuel", que la rencontre avec Brice Hortefeux évoquée dans le document est attestée... mais que la date figurant dans la note est, elle, probablement fausse. 

Le bandeau à ce moment précis ? "Note Mediapart : «probable faux» pour la magistrate". Marc Fauvelle, lui, revient à la charge : "Mais la présidente du tribunal..." Puis enchaîne sur le moment de publication, entre les deux tours de l'élection présidentielle de 2012. "Vous ne l'avez pas gardé sous le coude ?" La fin de l'interview est à l'avenant, jusqu'à parvenir à faire lever la voix à Fabrice Arfi, ce qui n'est pas dans ses habitudes. On aimerait un intervieweur aussi tatillon pour l'ensemble des personnalités passant sur son plateau de BFMTV !

L'émission que tu regardes le plus :

En 2025, la seule émission de télévision que j'ai regardée sur mon temps libre, c'est Cash investigation. Alors, oui, elle est pleine de gimmicks dont la nouveauté a passé depuis maintenant bien des années, mais j'apprécie toujours son côté vilain petit canard, sur le fond comme sur la forme. Ainsi que ses révélations lorsqu'il fut question du géant Decathlon et de sa maison-mère, l'empire des Mulliez.

La chaîne Youtube que tu regardes le plus :

La chaîne YouTube en français que je regarde le plus mélange tournages de terrain, exploration des politiques en matière de transports publics et d'infrastructures urbaines. Kézako ? Il s'agit bien sûr d'Altis Play, dédiée aux transports en vélo. Prendre une piste cyclable mal faite et risquer l'accident en maudissant les automobilistes (ou en faisant peur à un piéton, hum) est une chose. Comprendre pourquoi et comment c'est le cas, et en quoi la plupart du temps, la raison provient d'abord de la conception des voiries en est une autre. Je tire mon chapeau à ce véritable tour de force journalistique réalisé par Altis, dont le nombre d'abonné·es n'est pas à la hauteur de la qualité de son travail.

L'invité·e que tu aurais aimé voir/recevoir sur le plateau d'ASI :

J'aurais aimé qu'on puisse recevoir sur le plateau deux invité·es complémentaires : le directeur de l'information de France Télévisions Alexandre Kara, ainsi que la présidente du groupe audiovisuel public, Delphine Ernotte. Changement d'orientation des journaux télévisés (dont la multiplication des micro-trottoirs jusqu'à l'absurde) avec le départ d'Anne-Sophie Lapix et l'arrivée de Léa Salamé, "CNewsisation" rampante et erreurs en série de la chaîne Franceinfo, attaques de plus en plus virulentes des médias Bolloré : les sujets sont nombreux… alors que le groupe audiovisuel public refuse obstinément de s'exprimer auprès d'Arrêt sur images, le service communication bloquant quasi-systématiquement les échanges.

L'invité·e que tu n'as pas aimé voir sur le plateau d'ASI :

Sa venue était attendue par la rédaction, elle n'a pas donné le résultat qu'on était en droit d'en espérer. Malgré une foultitude d'approches différentes, sa spécialité, Daniel Schneidermann n'est pas parvenu à tirer le fond de la pensée de Frédéric Taddeï. Il est donc resté une fois de plus "l'insaisissable" homme de télé qu'il a toujours été, jusque chez Arrêt sur images. Dommage.

Le meilleur papier :

Dix mois après la diffusion d'un documentaire prétendument journalistique (bien que fort flatteur) sur Renault et son PDG d'alors Luca de Meo, le média d'enquêtes économiques l'Informérévèle que cet objet télévisuel, diffusé sur Amazon Prime, avait été intégralement financé par... Renault. Était moqué dans les couloirs du constructeur automobile tant il relevait de l'hagiographie publicitaire. Avait été refusé par TF1 qui craignait d'enfreindre les règles en matière de publicité dissimulée. Fouillé et bourré de pépites d'enquête, l'article m'a tant fasciné que j'en ai proposé un approfondissement dans Proxy, en particulier parce que d'autres médias très sérieux en avaient proposé une recension à leurs audiences à sa sortie. Aucun n'a jugé utile d'y revenir une fois dévoilées ses coulisses montrant ce que le journalisme peut faire de pire, c'est-à-dire ruiner la crédibilité de toute la profession (et sa dignité personnelle) contre l'argent sonnant et trébuchant d'une multinationale.

L'article dont tu es le plus fier :

Le sujet n'a pas intéressé les médias, et pourtant : quand une présidente de conseil départemental, l'Oise, cherche à abattre un journal et poil à gratter local, jusqu'à la rédaction d'une note secrète digne des Pieds nickelés, cela aurait peut-être mérité un peu plus que quelques autres articles locaux. Couvrir l'affaire et son faible retentissement médiatique – mention spéciale au silence total du Parisien sur le sujet pendant dix mois – m'a donc paru relever d'un travail d'utilité publique. 

Le livre que tu as préféré :

L'ouvrage qui m'a été le plus utile cette année ne concerne pas le journalisme, mais l'éducation. Comme tout parent, je suis parfois démuni, agacé, énervé face aux comportements de mes propres enfants… et en tant que journaliste d'Arrêt sur images, j'ai aussi un scepticisme prononcé envers les innombrables méthodes éducatives basées sur les géniales intuitions de leurs auteurs et autrices. Lire Éduquer sans s'épuiser (Éditions Solar, 2023), la traduction française du livre du professeur de psychologie et de pédopsychiatrie du Yale Parenting Center Alan Kazdin, fut aussi riche que constructif. Enfin des conseils éducatifs bienveillants, concrets et surtout, relativement efficaces, issus de la recherche scientifique. À recommander sans réserve à tous les parents, pour changer de Caroline Goldman

la meilleure série :

Mon colossal retard en termes de séries ne m'ayant pas permis de regarder de série diffusée en 2025, la série que j'ai le plus aimé regarder cette année remonte au milieu des années 2010. Weissensee raconte, sur quatre saisons et 24 épisodes, les destins des membres d'une famille et de leurs proches dont le patriarche est un haut dignitaire de la Stasi. On les suit de la fin des années 1970, dans une Allemagne de l'Est communiste encore sous le joug de sa toute-puissante sécurité intérieure, jusqu'au début des années 1990. Et à travers les destins des personnages, l'on découvre un monde disparu – dépeint de façon authentique –, autant qu'une histoire finalement beaucoup moins connue en France qu'en Allemagne.

Une victoire professionnelle :

Comme Pauline, je ne peux rien écrire d'autre ici que la relaxe obtenue par nos avocats Benoît Huet et Eva Lee dans le cadre de la plainte en diffamation déposée par Nicolas Zaugra, désormais rédacteur en chef d'Actu Sud-Est. Elle racontait son parcours journalistique dans une enquête sur la filiale web du groupe Publihebdos (lui-même propriété du groupe Ouest-France), tant celui-ci semblait symboliser, et influencer, la ligne éditoriale de l'ensemble des rédactions. En tant que rédacteur en chef d'ASI à l'époque, j'étais aux côtés de Pauline au procès à Lyon pour défendre le travail de la rédaction.

Un souhait médiatique pour 2026 :

Une couverture transversale des enjeux climatiques à la hauteur de leur importance. 

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