L'année 2025 vue par... Élodie Safaris

Élodie Safaris - - La vie du site - 34 commentaires

En cette fin d'année, la rédaction (écrivante) d'ASI fait le bilan, plus ou moins calmement. Image la plus marquante, pire éditorialiste, plus mauvais coup de com', recommandations culturelles et un peu d'espoir malgré tout pour 2026 : chaque journaliste a répondu aux questions du rédacteur en chef, Robin Andraca, qui s'est aussi prêté à l'exercice. Bonne lecture, et bonnes fêtes de fin d'année de la part de toute la rédaction d'ASI.

L'image la plus marquante :

J'ai choisi celle d'un père palestinien portant dans ses bras le corps de son bébé de 3 mois mort de malnutrition à Gaza en juillet dernier. Mais j'aurais pu en choisir des dizaines d'autres puisque ces images de parents qui portent ou enlacent leurs enfants tués par Israël ou victimes des conséquences humanitaires du génocide ont été quotidiennes pendant deux ans. 

La séquence la plus énervante :

Il y en a tellement ! Mais la façon dont Olivier Truchot et Alain Marschall ont interviewé le journaliste palestinien Rami Abou Jamous, le 10 avril dernier (et d'autres fois avant ça) est symptomatique de la façon dont sont traités les journalistes palestiniens dans certains médias français. Ce ton, cette suspicion permanente, cette injonction à "condamner le Hamas". Tout ça alors que notre confrère vit un enfer quotidien sous les bombes israéliennes qu'il documente scrupuleusement pour Orient XXI et dans ses livres. En octobre 2024, le compte X @caissesdegreve avait compilé les questions adressées à Rami Abou Jamous par le duo de BFM. On y retrouve d'une part tous les éléments de propagande israélienne et leur percée dans les discours médiatiques français depuis deux ans et demi. Et d'autre part, la manière dont sont considérés les journalistes palestiniens par bon nombre de confrères : des victimes coupables.

La séquence la plus fascinante :

Dans les médias, c'est Nicolas Sarkozy sortant de chez lui pour aller... en prison. Ou plutôt la façon dont les chaînes d'info ont couvert cette sortie en direct, en en faisant des caisses, en suivant la mise en scène de ses communiquants au doigt et à l'œil, (quand bien même quelques bribes de pseudo "décryptage" étaient délivrées par endroits en plateau). C'est, pour moi, un traitement médiatique indigne et indécent qui en dit long sur le rapport de nos médias mainstream aux politiques.

Sur les réseaux, c'est le petit Walid filmé chez lui par son père, Rami Abou Jamous, en septembre dernier à Gaza. Il s'émerveille des milliers de tracts balancés dans les airs par l'armée israélienne pour ordonner aux habitants de fuir leurs maisons. La séquence illustre comment Rami tente d'entretenir un "monde imaginaire" depuis deux ans pour épargner à son fils la réalité de l'enfer qu'ils vivent.

Le sujet le plus maltraité : 

Envie de répondre "Gaza" 30 fois de suite mais on a tendance à trop se focaliser sur la télé alors que d'autres médias ont fait un très bon travail sur le sujet, à l'instar du Monde (même s'il n'est pas exempt de critiques). Je vais choisir une autre de mes "marottes" : la façon dont sont traitées les accusations d'antisémitisme lorsqu'elles visent LFI ou des mouvements pro-palestiniens. J'ai (encore) documenté toute l'année de nombreux cas d'emballement : la campagne visant à disqualifier le médecin humanitaire Raphaël Pitti alors qu'il multipliait les interviews pour sensibiliser aux Gazaouis massacrés par Israël ; les fakes-news à propos de la manif antiraciste du 22 mars reprises sur CNews, BFMTV et franceinfo ; les accusations d'antisémitisme proférées par "Nous Vivrons" à l'encontre des mouvements féministes de gauche et reprises sans distance ; les tentatives d'instrumentalisation à propos du (non)tournage de la série Fauda à Marseille ; les accusations de Marie S'infiltre visant des militants pro-palestiniens dans un café et reprises sans recul par de nombreux médias ; le traitement médiatique des boycotts visant des personnalités israéliennes considérées comme des soutiens de la politique d'Israël et de sa "guerre" à Gaza comme ce fut le cas pour Amir ou pour un chanteur israélien aux propos génocidaires ; et dans la même veine, l'action de Palestine Action France à la Philharmonie décrite comme antisémite chez BFM et d'autres

Comme je le disais déjà dans mon "bilan Calmos 2024", ces sujets sont usants à traiter car ils sont particulièrement inflammables et occasionnent souvent des commentaires insultants sur les réseaux sociaux, voire des accusations d'antisémitisme me visant directement. Mais il m'apparaît plus important que jamais de continuer à les déconstruire et à pointer toutes les défaillances médiatiques en la matière. Les accusations d'antisémitisme ne devraient jamais être traitées à la légère et les journalistes ne devraient jamais les laisser être instrumentalisées en leur présence.

Le plus mauvais coup de com'

Le canal de discussion Instagram "Retrouvons XDDL" créé par l'influenceur Aqababe et rassemblant près de 200 000 personnes en une semaine. Le 26 avril dernier, l'influenceur a laissé croire qu'il avait retrouvé la trace de Xavier Dupont de Ligonnès, publiant des dizaines de messages cryptiques qui disparaissaient au fur et à mesure, provoquant un emballement généralisé sur les réseaux sociaux, ponctué de mèmes et d'hystérie collective dignes du Twitter des années 2010. C'est donc le "plus mauvais coup de com" mais peut-être aussi "le meilleur" ! En tout cas, c'était à la fois lunaire, fascinant et flippant.

Un sujet bien traité cette année : 

Je ne vois aucun sujet bien traité par l'intégralité des médias. Mais j'en profite pour saluer les nombreuses prises de parole des journalistes Armin Arefi (Le Point) et Gallagher Fenwick (indépendant) qui ont souvent éclairé (dans les deux sens du terme) les plateaux de chaînes d'info traitant de Gaza, que ce soit en rappelant juste les faits ou en livrant des analyses permettant de nuancer l'unanimisme pro-israélien des plateaux de commentateurs.

L'éditorialiste le plus énervant : 

C'est vraiment très difficile d'en choisir un seul ! Mais je dirais Alix Bouilhaguet (franceinfo) enchaînant les approximations et fausses informations à propos de Zohran Mamdani dans l'émission Questions politiques, le 9 novembre dernier, et se faisant corriger en direct par le coordinateur de La France Insoumise. Une séquence catastrophique pour la profession (et l'audiovisuel public).

La pire émission : 

Ce n'est pas "la pire". Mais j'ai été très déçue du Complément d'enquête titré "la haine des juifs, ce mal qui déchire la France". Je trouve qu'il donne beaucoup la parole à des voix qui instrumentalisent souvent les accusations d'antisémitisme, comme "Nous Vivrons". Leur parole, qui dépolitise complètement les critiques qui leur sont faites, est relayée sans réelle distance critique. Au moment de sa diffusion, je préparais ma série d'articles sur le livre Les Nouveaux Antisémites de Nora Bussigny et à part un contradictoire bien plus présent que dans le livre - dieu merci -, j'y ai relevé beaucoup de similitudes. Ce n'est pas un compliment.

La meilleure : 

Je vais encore détourner les règles de ce bilan de fin d'année pour faire la promotion des vidéos de "Francis Récap" (chez Urbania). Elles me font énormément rire et sont toujours très bien documentées. Je ne vois ça nulle part ailleurs et je trouve l'ensemble brillant. Une recommandation dénuée de toute objectivité puisque "Francis" est un ami. 

C'est bien moins drôle mais j'ai aussi beaucoup aimé l'"histoire cachée qui n'a jamais été racontée" d'Ibrahim Benaissa (dont j'adore le ton et la "patte"). Pour un article, j'ai eu l'occasion de me plonger dans ce drame de Crépol et j'ai trouvé que ce documentaire de Blast, désespérant et plein d'espoir en même temps, racontait une histoire que je n'avais jamais vue ailleurs.

La pire interview : 

Nora Bussigny invitée chez Quotidien. Une interview extrêmement complaisante et "malaisante" durant laquelle le présentateur et les chroniqueurs lui ont laissé dérouler un paquet d'affirmations largement discutables sans aucune contradiction. L'entretien s'appuie sur des captures d'écran et vidéos fournies par la journaliste du Point, et autrice du livre Les Nouveaux Antisémites. Elle y accuse notamment une organisation étudiante, Students for Justice in Palestine Sciences-Po, d'avoir cherché à "faire des listes" avec tout l'implicite que cela comporte, en s'appuyant sur des captures qui ne prouvent pas grand-chose. En plateau, aucune question ou relance sur ce qu'elle avance. Quand j'ai contacté les étudiants de cette organisation, ils m'ont raconté que non seulement elle se trompait sur leur affiliation à une organisation américaine mais surtout, que ses affirmations sur leur questionnaire était fausses. Elle assure également sur le plateau de Quotidien que clamer "vive la lutte armée du peuple palestinien" est "une glorification du terrorisme" sans que personne ne fasse un rappel du cadre du droit international sur le sujet. Seul Yann Barthès lui demande vaguement de préciser son propos.

L'émission de télé que tu regardes le plus (si tu en regardes encore)

Pour dire vrai, je regarde assez peu la télévision en dehors de mes obligations professionnelles. Je regardais souvent C ce soir, mais je le fais beaucoup moins souvent.

La chaîne Youtube que tu regardes le plus : 

Je triche encore car je vais donner un compte Instagram. Celui de l'humoriste Kino pour son format qui reprend en chanson des commentaires d'internautes laissés sous les vidéos de femmes posant des questions disons très ouvertes à leurs abonnés. Ça n'a rien à voir avec les médias mais ça fait partie des choses qui m'ont le plus fait rire en 2025 (même s'il y a un petit côté moqueur pas très woke).

L'invité·e que tu aimerais recevoir sur le plateau d'ASI :

Raphaël Enthoven. Parce que j'ai beaucoup de questions à lui poser. Ou plutôt à lui reposer, comme celle sur les vidéos de la Diaspora Defense Forces qu'il a longtemps partagées sur son compte X sans jamais les sourcer. Ou revenir sur la façon dont il parle des journalistes palestiniens de Gaza en leur déniant la qualité de journaliste, comme il l'a justifié encore sur le plateau de BFM (entouré de personnes qui ne maîtrisent pas le sujet) en septembre dernier. Il venait alors d'être déprogrammé du festival littéraire de Besançon après avoir affirmé sur X : "Il n"y a AUCUN journaliste à Gaza. Uniquement des tueurs, des combattants ou des preneurs d’otages avec une carte de presse". Ou encore, pour questionner plus largement une humanité que je trouve à géométrie variable à propos de Gaza. Dans un échange sur X en 2024, il m'avait dit "j'aimerais parler davantage des Palestiniens et de leur souffrance, mais je suis privé de le faire par l'urgence de démentir constamment l’accusation grotesque de « génocide » et le risque d'anéantissement légitime qu'elle fait peser sur Israël". Une saillie qui mériterait qu'on y revienne, au regard de ses nombreuses prises de parole sur Gaza depuis ce 11 octobre 2024.

L'invité·e que tu n'as pas aimé voir sur le plateau d'ASI :

Juan Branco, pour les mêmes raisons que certain.e.s de mes camarades. Mais aussi parce qu'il a, pour moi, un pied dans la complosphère, que je l'ai toujours trouvé grossièrement mégalo et que je déteste ce genre de personnages (oui, ça fait beaucoup).

Le meilleur papier : 

"Dix ans après les attentats, l'interminable dérive du débat public" chez Mediapart et dans la même veine "Dix ans après la manifestation du 11 janvier 2015, les clivages intellectuels se sont creusés" (Le Monde). J'aime bien ce genre de papiers d'analyse assez riches qui déplient de façon nuancée mes marottes. L'état du débat public, la percée du "charlisme" dans l'espace médiatique, les "guerres culturelles" et la droitisation de notre société en font partie.

L'article dont tu es la plus fière : 

Je suis fière de bosser dans une rédaction où j'ai pu prendre le temps de travailler un mois durant sur le livre Les Nouveaux Antisémites de Nora Bussigny. J'étais partie, à l'origine, sur un article "classique" consacré à une couverture médiatique que je trouvais particulièrement complaisante. Mais après avoir lu le livre et contacté des personnes mises en cause (sans contradictoire apparent), j'ai tiré un fil qui m'a emmenée vers un travail beaucoup plus conséquent avec une trentaine de sources. J'ai dû demander à repousser la deadline pas mal de fois et cela a eu des conséquences sur le planning éditorial, mais quand j'ai proposé à Robin d'en faire une enquête en un, deux, trois volets, il m'a suivie et m'a fait confiance. C'est précieux et assez rare, je crois.

Sur le fond, il y a deux articles dont je suis assez fière car ils tentent de creuser des problématiques qui sont souvent effleurées dans le débat public mais jamais vraiment traitées. Le premier traite des énormes biais et failles du traitement médiatique de la Palestine et la quasi-impossibilité, sur les plateaux télé, d'évoquer sereinement et avec nuance le sort politique des Gazaouis, la colonisation, ou encore l'évolution du Hamas. Le second tente de comprendre et d'expliquer pourquoi la mobilisation en soutien aux journalistes palestiniens ciblés par Israël a été si faible. Dans les deux cas, j'y ai passé du temps et j'ai essayé de donner des pistes de réflexion en touchant du doigt des sujets encore très "tabous" dans les médias français.

le meilleur livre : 

La BD Désillusions perdues de Bakonet. Un recueil de certains de ses strips postés sur Instagram et l'histoire en dix épisodes de François Derubempute, un jeune éditorialiste/rappeur dont on suit les déambulations au sein de rédactions parisiennes très reconnaissables. C'est très bien vu, très très drôle et très très très sarcastique. Tout ce que j'aime.

La meilleure série : 

Je ne regarde quasi plus de séries depuis que j'ai un enfant et je suis donc totalement aux fraises en la matière. Cela dit, j'ai beaucoup aimé Somebody Somewhere. Vu les sujets que je traite pour ASI, j'essaie d'aller vers des fictions divertissantes. Cette série n'est pas que légère et drôle, elle est émouvante et surtout, elle fait du bien.

Un souhait médiatique pour l'année 2026 :

Que Libé (re?)devienne vraiment de gauche !

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