De CNews à Enthoven : la campagne à charge contre l'humanitaire Raphaël Pitti
Élodie Safaris - - Déontologie - 48 commentairesRaphaël Enthoven a notamment retiré l'un de ses tweets
Alors qu'il multiplie les interviews pour crier sa colère face au sort des Gazaouis massacrés par Israël et pour appeler à l'action citoyenne et politique, le médecin humanitaire Raphaël Pitti fait l'objet d'attaques l'accusant, entre autres, d'être un acteur de l'antisémitisme. Il réagit auprès d'Arrêt sur images.
Après son passage dans Quelle Époque !
le samedi 10 mai, où il était invité pour partager son cri du cœur sur l'effroyable condition des Palestiniens de Gaza, le médecin Raphaël Pitti a fait l'objet d'une campagne twitto-médiatique visant à le disqualifier. Une "déferlante de haine sur les réseaux",
comme le rapporte le Républicain Lorrain.
"Vous êtes le nouveau visage de l'antisémitisme"
Dès le lendemain de l'émission de France 2, certains comptes X pro-israéliens ont dégainé les tweets pour l'attaquer. Le compte anonyme "Jugé Coupable" (qui prétend lutter contre la haine en ligne et contre l'antisémitisme en employant des méthodes de délation très contestables) a diffusé une vidéo agrémentée de l'inscription "Balance ton antisémite". Elle est
présentée ainsi : "Raphaël Pitti qui a pu tout au long de cet entretien
[dans Quelle Époque!] dérouler sa propagande pro Hamas sans avoir le moindre contradicteur en face de lui. Un membre de la communauté l'a donc appelé"
. La séquence au montage très "cut" filme ce coup de fil entre ce "membre de la communauté"
et le médecin humanitaire. L'on n'y entend quasiment que les saillies de la personne qui appelle Raphaël Pitti et qui conclut par "vous êtes le nouveau visage de l'antisémitisme"
.
Auprès d'ASI, le médecin humanitaire rapporte que cette personne s'est "fait passer pour quelqu'un du consulat de France à Jérusalem"
. "Il ne me laissait pas parler et m'agressait,
détaille Pitti, j'ai fini par lui dire que sa haine ne pourrait jamais m'atteindre
". Arrêt sur images a sollicité le service communication de Quelle époque!, pour obtenir sa réaction. Le service nous a répondu qu'il reviendrait vers nous. Nous n'avons, à cette date, pas encore reçu de réponse de leur part.
Raphaël Enthoven, a reposté deux tweets visant également le médecin humanitaire. Une publication de Jules Laurans (rédacteur en chef du média d'extrême droite Frontières) datant de juin 2024. Un contenu qui cherchait, déjà à l'époque, à décrédibiliser Pitti, affirmant (sans l'ombre d'une preuve) que le Salon des Rencontres Annuelles des Musulmans où l'ONG Mehad (dont il est administrateur et responsable de formation) avait un stand en 2017, serait en réalité le salon des frères musulmans. Contacté par Arrêt sur images
, Raphaël Enthoven a répondu :"Je regrette vivement d’avoir partagé un tweet de Jules Laurans, dont je découvre les fonctions en vous lisant. C'est la raison pour laquelle je supprime ce retweet."
Raphaël Enthoven a également retweeté une vidéo relayée par le compte pro-israélien @SlMONWEINBERG. Initialement diffusée sur le compte X du rabbin de Levallois-Perret, ladite vidéo date de la campagne des législatives 2024. Raphaël Pitti était alors candidat Place Publique sous l'étiquette NFP, dans la 5e Circonscription Levallois-Clichy. La vidéo mélange deux extraits. Dans le premier, on entend Raphaël Pitti déclarer (sans que l'on ne puisse savoir à quelle question ni à qui il répond) : "J'ai dit que le travail, l'action était admirable, mais je n'ai jamais dit que l'homme était admirable"
. D'après le texte de @SIMONWEINBERG, accompagnant le post, le médecin parle du "ministre de la santé du Hamas".
Dans ce premier extrait, Raphaël Pitti fait, en réalité, référence à des déclarations qu'il a tenues sur Sud Radio, quelques mois plus tôt. Dans cette interview datée du 9 février 2024, le médecin - qui revenait tout juste de Gaza - délivrait au micro de Jean-Jacques Bourdin un récit glaçant de la situation sur place. À propos du ministre gazaoui, il évoquait "un homme admirable pour le travail qu'il est en train de faire par rapport à cette situation de confusion, de chaos, qui essaie quand même de maintenir un système de santé, ce qui est extrêmement compliqué"
. Auprès d'ASI, Pitti détaille davantage : "Il essayait d'organiser les choses pour la population dans une situation aléatoire,
qui changeait constamment, alors qu'il aurait très bien pu fuir avec sa famille"
. Le médecin, spécialisé en médecine de guerre, rappelle que "toutes les ONG sur place étaient obligées de passer par le ministre de la santé qui leur attribuait les endroits en fonction des besoins"
.
Le second extrait est tiré d'une vidéo que l'on peut retrouver sur la chaîne Youtube de l'AFPS - Association France Palestine Solidarité. Elle a été tournée lors de l'intervention de Raphaël Pitti "à l'Ecole Normale Supérieure, le 17 janvier dernier, à l'occasion de leur Séminaire palestinien"
nous explique-t-il. Il s'y exprime à un micro : "Ça n'a pas plu à la communauté juive française que je puisse dire que j'ai rencontré un homme admirable, oui, je le dis, c'était un pédiatre"
puis "bien évidemment il appartenait au gouvernement du Hamas, mais il était ministre de la santé"
. La séquence est utilisée pour prouver que le médecin se serait contredit et aurait "menti"
, écrit @SlMONWEINBERG.
Le
compte partagé par Raphaël Enthoven prétend faire du "#FactCheking" et accuse Pitti de relayer "des chiffres invérifiables et accusant Israël de génocide sur les plateaux de télévision français, sans aucune vérification indépendante des faits ni contradiction des journalistes l'interviewant".
Il ne précise pasque le médecin est avant tout un homme de terrain, qu'il est allé par deux fois à Gaza depuis 18 mois et que son ONG HuSoMe a créé six centres de santé à Gaza, avec lesquels il est en contact quotidiennement, nous dit-il. Questionné sur ce retweet par ASI, Raphaël Enthoven maintient deux reproches envers Pitti. D'abord, "S'interdire de dire du mal du Hamas sous le prétexte qu'il doit se rendre sur place. Ce qui est une façon de reconnaître la dangerosité de l'organisation terroriste tout en faisant profession de langue de bois". Il déplore également une "emphase obscène". Pour lui, "présenter comme «admirable» le «ministre de la santé du Hamas»" est "monstrueux".
"Un porte-parole du Hamas"
Lundi, c'était au tour de la Bollosphère d'ajouter sa pierre à l'édifice de cette campagne de disqualification. "
Quelle époque! et Gaza : Présenté comme «humanitaire», le Dr Raphaël Pitti est en réalité un militant politique du Front Populaire proche de Raphaël Glucksmann, mari de Léa Salamé
" titrait le site de Jean-Marc Morandini (en confondant le Front populaire et le Nouveau Front Populaire
). Certes, il eut été préférable que Léa Salamé fasse mention des engagements politiques de Pitti et de sa qualité d'élu (il est conseiller municipal de Metz). Reste que c'est bien en tant que médecin humanitaire qu'il témoigne: "quand j'affirme quelque chose, je dis ce qui est, je témoigne, c'est une obligation éthique sur le plan de l'action humanitaire"
plaide-t-il auprès d'ASI.
Pascal Praud qualifie également le médecin de "
porte-parole du Hamas"
qui s'exprime "sans contradiction sur une antenne de la télévision publique".
Signe, pour lui, du "
parti pris idéologique de l'espace médiatique qui relaie la parole de l'extrême gauche avec indulgence"
Pour CNews, Place Publique, c'est l'extrême gauche. Le service communication de la chaîne n'a pas répondu aux questions transmises par Arrêt sur images
sur le sujet.
L'Heure des Pros, a également diffusé une vidéo de Frank Tapiro (toutologue communiquant dont ASI vous parle régulièrement) dans laquelle il développe 2 minutes durant sa charge anti-Pitti. Le médecin est là encore désigné comme "porte-parole du Hamas"
, à grand renfort de slogans ("vous avez prêté le serment d'
Hippocrate mais vous n'êtes en fait qu'un hypocrite"
; "
vous ne serez plus jamais la Pythie humanitaire puisqu'on vous a démasqué"
). Le communiquant y instrumentalise et détourne, lui aussi, les propos (qualifiés d'"ignobles"
) du médecin concernant le ministre de la santé à Gaza. Il cite également une autre déclaration de Raphaël Pitti, toujours tirée de Sud Radio, dans laquelle il aurait dit, selon Tapiro, que"le Hamas était un mouvement de résistant"
.
Raphaël Pitti répondait en réalité à la question de Jean-Jacques Bourdin ("est-ce qu'Israël détruit Gaza sans détruire le Hamas ?")
."
Le Hamas est là tout le temps, il continue à tirer,
la résistance du Hamas est toujours présente"
avait répondu l'humanitaire avant de s'expliquer sur l'emploi du terme "résistance"
: "dans cette situation-là, par rapport à ce qui est en train de se passer,
par rapport à cette population fragilisée, le Hamas leur donne le sentiment de se battre dans l'honneur"
.
"V
ous êtes pieds et poings liés par le Hamas au lieu d'être juste dans votre métier, de continuer à sauver des victimes civiles"
assène Tapiro, oubliant certainement que Pitti est allé à deux reprises soigner des civils à Gaza. Le médecin précise d'ailleurs à ASI que depuis son dernier voyage sur place en mai 2024, ses trois demandes d'y retourner ont été refusées par Israël.
"Je ne me tairai pas"
Du cofondateur de Franc-Tireur, en passant par Frontières et les comptes pro-israéliens qui défendent les massacres en cours à Gaza, jusqu'à CNews, c'est une nouvelle tentative médiatique pour disqualifier une voix dénonçant le génocide à Gaza. La violence de la charge peut-elle s'expliquer par la présence médiatique accrue du médecin ces derniers jours (C Ce Soir, Loopsider, Ici, ex France Bleu) ? "C
'est évident !,
répond le médecin à ASI,ils veulent faire pression pour que ma parole ne soit pas écoutée".
Il ajoute que pendant "plus de dix ans"
, il a rapporté "de la même façon"
ce qu'il voyait, sur le terrain en Syrie et que jamais cela n'a suscité de commentaires suspicieux et accusatoires similaires.
Aux accusations qui le visent, l'homme ne veut pas répondre : "je n'ai pas à me justifier, qu'ils prouvent l'inverse de ce que je dis à propos de la population à Gaza"
. Concernant le cyberharcèlement dont il est victime, il assure ne pas se laisser atteindre. "J'ai ma conscience tranquille"
assène celui qui s'est fixé pour objectif de faire bouger la France. "Je ne me tairai pas, je continuerai parce que nous sommes arrivés à un point extrêmement critique du non respect du droit international
".
Alors que Human Rights Watch vient d'affirmer que "Le nouveau plan israélien se rapproche de l'extermination"
, que Le Conseil de l'Europe dénonce "une famine délibérée"
dans la bande de Gaza, et que le ministère de la Santé à Gaza vient d'annoncer plus de 250 personnes tuées en l'espace de 2 jours, le médecin en colère estime qu'il ne suffit plus de "dire que c'est honteux et insupportable"
mais qu'"il est temps d'agir".
Pour lui, c'est l'heure de la "désobéissance civile"
.