"Les nouveaux antisémites" : le livre à la thèse jamais démontrée (1/3)
Élodie Safaris - - Scandales à retardement - 36 commentairesPremière partie de notre contre-enquête : où sont les preuves ?
Dans son dernier livre, la journaliste du "Point", Nora Bussigny entend révéler "l'antisémitisme qui sévit sous couvert d'antisionisme" dans les rangs de l'"ultra gauche". Lauréat du prix Edgar Faure, "Les Nouveaux antisémites" est présenté dans de nombreux médias comme une enquête d'investigation. Pourtant, de nombreuses personnes et organisations mises en cause dans le livre y voient surtout un "pamphlet idéologique". ASI s'est plongé dans cette "infiltration" et s'est entretenu avec plus de 25 d'entre eux pour vous proposer une recension aux allures de contre-enquête. Premier épisode.
Deux ans après Les nouveaux inquisiteurs : L'enquête d'une infiltrée en terres wokes (qu'ASI avait déjà chroniquée), Nora Bussigny, journaliste au Point et à Franc-Tireur, publie, toujours chez Albin Michel, Les nouveaux antisémites. Cette "enquête d'une infiltrée dans les rangs de l'ultragauche", sortie mi-septembre, a bénéficié d'une large couverture médiatique, la journaliste ayant été invitée sur BFM, LCI, France Info et dans l'émission Quotidien, sur TMC.
L'ouvrage prouve-t-il réellement, que "le 7 octobre a permis d'ériger un ennemi commun qui permet de fédérer des personnes LGBT avec des figures islamistes", comme l'autrice le dénonce sur BFM ? Et que cette "convergence des luttes" s'opère autour de la haine du juif qui "cristallise, obsède" et "galvanise les foules", comme elle l'affirme dans le livre ? Nora Bussigny révèle-t-elle vraiment "des preuves de dérive antisémite" de l'"ultragauche", comme l'avance Quotidien ? Enfin, cette "enquête d'une infiltrée" présentée partout comme une investigation approfondie respecte-t-elle les fondamentaux du travail journalistique ?
Pour répondre à ces questions, Arrêt sur images s'est plongé, en immersion, dans ces 248 pages et s'est entretenu avec plus de 25 personnes et organisations qui y sont mises en cause. Contactée à de multiples reprises depuis plusieurs semaines, Nora Bussigny n'a, pour l'heure, pas répondu à nos sollicitations.
Une compilation d'articles du "Point"
Pour présenter son livre, la journaliste assure s'être "infiltrée dans les rangs de l'ultragauche" qui semble, pour elle, recouvrir un (très) large spectre. "Caméra au poing, j'ai plongé au cœur des manifs, des regroupements, des boucles Telegram, invitant parfois le lecteur dans les coulisses de mes articles" prévient l'autrice. Les Nouveaux antisémites est composé de douze chapitres plus ou moins organisés par milieux militants progressistes (trans, LGBT+, féministes, pro-palestiniens).
Elle recycle dans son livre - mais ce n'est pas la seule journaliste à le faire - de nombreux articles qu'elle a pu écrire pour Le Point depuis deux ans.
Des sources unilatérales
De nombreux faits, événements ou anecdotes sont racontés par le biais de témoignages. Certains sont anonymisés, comme ceux de deux professeurs de Sciences Po, deux étudiants à Bordeaux, ou deux autres de l'UEJF de Toulouse, entre autres.
La majorité des personnalités qui témoignent en leur nom propre ont quasiment tous la même couleur politique (Printemps Républicain et centre-droit). Le lecteur découvre une vingtaine d'entretiens avec des figures telles que Caroline Fourest, l'élue de l'aile droite du PS Pernelle Richardot, la militante franco-iranienne Mona jafarian, le vice-président du Mémorial de la Shoah et Professeur à Sciences Po, Francois Heilbronn, ou encore Yonathan Arfi, président du Crif. Ce qui ne laisse quasiment aucune place pour des sources émanant du camp mis en cause ("l'ultragauche"
), à une ou deux exceptions près.
L'autrice n'hésite pas à exprimer sa sympathie pour les uns et les autres. Ainsi Mona Jafarian "se bat pour les valeurs universalistes et démocratiques, qu'elles soient françaises ou iraniennes", mais il n'est mentionné nulle part qu'elle a participé au gala de la Diaspora Defense Force qui s'est tenu en juin dernier lors duquel l'armée israélienne a été chaudement applaudie en plein génocide. Pernelle Richardot, élue socialiste de Strasbourg (récemment partie prenante d'une polémique aux relents islamophobes) est, elle, présentée comme une "universaliste engagée, qui se bat désespérément pour promouvoir les valeurs démocratiques".
La méthode journalistique de cette "enquête" interroge. En particulier concernant l'exercice du contradictoire et le croisement des sources pour recouper les informations rapportées. Selon notre recension, le livre fait état de très peu de demandes de contradictoires au vu du nombre de personnes mises en cause. L'on y retrouve, sur 248 pages, celle adressée à la présidente de l'université Toulouse Jean-Jaurès, Emmanuelle Garnier (qui a accepté de répondre à l'autrice). Et une dizaine d'autres demandes qui, selon Nora Bussigny, n'ont pas reçu de réponse, parmi lesquelles Omar Alsoumi d'Urgence Palestine, l'UNEF de Paris Dauphine, les influenceurs AmineMaTue, Shahin Hazamy, ou encore Youssra Mahdi, et Nous Toutes. Le collectif féministe a expliqué à ASI que "compte tenu de son précédent livre, de son procédé d'infiltration dans ce qu'elle appelle l'«ultra gauche» et de sa position sur [leur] collectif féministe, la confiance nécessaire à un entretien n'existait pas"
.
La vingtaine de personnes avec qui nous nous sommes entretenues sont unanimes. Toutes disent avoir appris via notre demande d'interview qu'elles figuraient dans le livre. D'après leurs témoignages, elles n'ont pas non plus été contactées par la journaliste avant la publication de l'ouvrage, mis à part Nous Toutes, Rima Hassan, et Omar Alsoumi d'Urgence Palestine. Toutes estiment que la façon dont les faits les concernant sont présentés dans le livre sont soit tronqués, soit déformés, soit carrément faux.
Accusations et manque de contradictoire
Exemple de faits tronqués, avec le festival de cinéma LGBT+ Chéries-Chéris et les accusations d'antisémitisme portées par Julia Layani contre ses co-jurés. À l'époque, ASI leur avait d'ailleurs donné la parole afin de contrebalancer un récit médiatique unilatéral.
Récit repris ici par Nora Bussigny qui s'est entretenue, dans le livre, avec Julia Layani mais aucun des mis en cause. Y est notamment rapporté que l'une des membres du jury aurait affirmé à Julia Layani : "Les réalisateurs arabes ne souhaitaient pas que tu voies leur film". Une phrase choc que les membres du même jury que Layani assurent n'avoir jamais ni prononcée ni entendue. L'une d'eux, Elsa A. (qui a souhaité conserver ici une forme de discrétion) est formelle sur ce point. Elle conteste également une autre affirmation du livre selon laquelle "lorsque [Julia Layani] doit ensuite remettre un prix, les autres jurés s'éloignent ostensiblement d'elle pour ne pas être aperçus à ses côtés", nous faisant parvenir des photos prises lors du festival et diffusées sur les réseaux sociaux où tous les membres du jury apparaissent bien côte à côte avec la podcasteuse.
plainte en diffamation
L'artiste Habibitch (mise en cause dans l'affaire du festival Chéries-Chéris) est également visée par Nora Bussigny pour ses publications sur les réseaux. Pour l'autrice, la danseuse et militante décoloniale "faisait croire qu'elle s'engageait contre les discriminations, tout en étant visiblement en exaltation absolue juste après le 7 octobre lors du pogrom du Hamas". En cause : les nombreuses stories Instagram sur la Palestine de la danseuse queer, comme celle reprenant une citation de Nelson Mandela ("Si l'oppresseur utilise la violence, l'opprimé n'a pas d'autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n'était qu'une forme de légitime défense") ou celle, aux lendemains du 7-Octobre ("Bonjour aux Palestiniens et aux Palestiniens seulement"). Des publications que la journaliste interprète comme un "soutien au pogrom du 7 octobre". Nora Bussigny va même plus loin. Après avoir cité des publications dans lesquelles Habibitch soutiendrait les "victimes israéliennes des attaques et leur famille"
et affirmerait que "les civils"
seraient des "dommages collatéraux"de "la violence d'Etat", l'autrice considère que la militante propalestinienne "applaudit le viol, la barbarie, les meurtres". Auprès d'ASI, Habibitch ne fera qu'un commentaire : elle a porté plainte contre l'autrice pour diffamation.
Autre mis en cause qui affirme que Nora Bussigny ne l'a pas contacté : Arlindo Constantino, président démissionnaire d'Act-Up. La journaliste l'évoque en racontant avoir été "prise pour cible" par le militant alors qu'elle animait, en 2024, un "débat pour l'association Fiertés citoyennes" (exclue de la Marche des Fiertés par l'inter-LGBT organisatrice, comme le rapportait à l'époque Mediapart). Arlindo Constantino est décrit comme "agressif, intimidant, obsessionnel, surexcité" et "venu pour en découdre verbalement avec l'association universaliste".
Auprès d'ASI, le premier concerné conteste, là aussi, fermement ce récit : "J'ai porté une parole assez forte et dit tout le mal que je pensais de son travail, mais agressif et intimidant : non !". Le militant LGBT+ se dit ulcéré par le portrait que la journaliste dresse de lui, notamment en affirmant qu'il "mêle inlassablement les Juifs, le Printemps républicain, la franc-maçonnerie, les gays qu'il estime de droite" (Bussigny y ajoute une longue liste de médias de droite pointés par Constantino). Il se défend, auprès d'Arrêt sur images. "Moi j'utilise X comme un outil militant mais je n'ai jamais accusé nommément les juifs, d'ailleurs j'ai moi-même des ascendants juifs marranes". Bien que "solidaire du peuple palestinien", le militant dit ne "même pas" se considérer "comme antisionniste". "Je suis le premier à dire que les tropes antisémites existent aussi à gauche, insiste-t-il, c'est pour ça que je fais super gaffe".
Des raccourcis malhonnêtes
Pour appuyer les accusations d'antisémitisme, des corrélations sont parfois établies entre des évènements qui ne sont tout simplement pas liés. Parmi les sources de la journaliste figure Diane Richard, une ancienne militante de Nous Toutes (désormais très critique du mouvement) qui dit avoir subi une vague de cyberharcèlement "après avoir publié un premier texte sur les réseaux sociaux et accepté de répondre à des journalistes". "Diane me montre certains messages qu'elle a reçus" indique Nora Bussigny, qui évoque des messages "outranciers" que Fatima Benomar (une autre militante féministe) aurait envoyé à Diane Richard "après qu'elle s'est rendue à l'hommage pour la jeune enfant juive victime du viol à Courbevoie" ("
«L'histoire te rattrapera» ou encore «Les féministes te jugeront collectivement pour ce que tu commets»"
).
La formulation de Nora Bussigny dresse un lien direct entre la présence de l'ancienne militante de Nous Toutes au rassemblement en soutien à la fillette victime du viol antisémite et les messages envoyés. Contactée par ASI, Fatima Benomar tombe des nues lorsqu'elle découvre l'extrait du livre."C'est grave de prétendre ça, ça tombe sous le coup de la loi tellement l'accusation est grave !". "Ce n'est évidemment pas après que Diane se soit rendue à cet hommage que j'ai envoyé ces messages mais après qu'elle a commenté pour Libération l'approche intersectionnelle de #NousToutes et sa prise en charge de l'actualité palestinienne et publié sur les réseaux sociaux des accusations diffamatoires visant le mouvement féministe", ainsi qu'un "thread sur le fait de relativiser le nombre d'enfants morts à Gaza".
Dans un autre passage du livre, l'autrice dresse un lien de causalité entre une conférence organisée par le média décolonial Paroles d'honneur le 6 octobre 2024 à Pantin et une tentative de viol à caractère homophobe et antisémite qui a eu lieu dans la même ville deux jours plus tard."Mais où diable ces jeunes délinquants auraient-ils pu entendre des propos glorifiant des attaques terroristes envers des «sionistes»?" s'exclame Nora Bussigny à propos des agresseurs avant de présumer qu'ils étaient "sans doute chauffés à blanc par une haine des juifs muée en «résistance palestinienne»". Un procès d'intention qui repose sur le seul fait que la conférence et l'agression ont eu lieu... dans la même ville.
Où est l'antisémitisme des "rangs de l'ultragauche" ?
Au-delà de ces premiers constats, quels sont les propos ou actes antisémites clairement documentés dans le livre ? Rien dans le premier chapitre. Dans le second, non plus. Mais la journaliste rapporte trois témoignages anonymes. Saul, qui dit "ne plus supporter d'être en permanence exposé à des discours antisionistes"
. Déborah, femme transgenre qui se dit "trop juive pour les queers et trop queer pour les juifs"
. Et enfin Ethan, dont Bussigny dit qu'il lui a montré "
les messages antisémites présents sur la boucle de discussion interassociative de son secteur qui appellent à «faire le ménage» pour trouver les «sionistes»"
.
Tout au long du livre, les déclarations visant "les sionistes" semblent systématiquement considérées comme étant de nature antisémite. "Je passe des heures à lire, échanger, passer au crible, mémoriser, écouter, retranscrire, jusqu'à la nausée, des récits de militants LGBT, tous d'une sensibilité de gauche et officiellement «engagés contre les discriminations», mais dont l'antisémitisme, sous couvert d'engagement pour la Palestine, ne se cache plus, voire se célèbre" insiste Nora Bussigny sans qu'on sache de quoi il en retourne précisément.
Dans son troisième chapitre sur les féministes, il est indiqué que la militante "Élise Goldfarb recevra un nombre si élevé de menaces de mort et de messages antisémites qu'elle sera contrainte de déposer plainte" après avoir publiquement dénoncé "le manque de solidarité envers les femmes israéliennes victimes du Hamas". Le signe, selon elle, d'un antisémitisme omniprésent dans notre société. Mais quel rapport avec "les rangs de l'ultragauche" ? Dans le chapitre 4, le rappeur Médine est décrit comme porteur de "saillies d'inspiration antisémites et homophobes récurrentes" sans que ces accusations ne soient étayées d'une façon ou d'une autre. Contacté par ASI pour pouvoir s'en défendre, le chanteur dit "apprendre à l'instant l'existence de cette autrice, tout comme celle de son livre et le fait d'y être cité" et préfère "continuer à vivre sans cette information", et cette "énième attaque infondée".
Dans le chapitre 5, la journaliste met bel et bien en lumière des propos des influenceurs Poupette Kenza et AmineMaTue qui pourraient être qualifiés d'antisémites. Mais ces derniers peuvent difficilement être considérés comme des figures de "l'ultragauche". Dans la sixième partie de l'enquête ("De Columbia à Sciences po, la promotion intifada"), la seule mention d'antisémitisme est celle de "dessins à caractère antisémite collés sur le mur" derrière des étudiants prenant part aux mouvements propalestiniens et pointés par Maxime Loth (Printemps Républicain). Ce qui n'empêche pas Nora Bussigny d'évoquer une "mainmise de l'ultragauche antisémite sur les lieux d'éducation".
Dans la partie consacrée aux écoles et aux universités, la journaliste détaille plusieurs exemples d'actes et propos antisémites visant des jeunes qui témoignent anonymement. Mais, ici encore, aucun lien n'est établi avec ce qu'elle appelle "l'ultragauche", sauf à considérer que tous les étudiants à la fac en font partie.Dans les passages concernant les quelques universités françaises qu'elle a pu visiter, l'autrice fait mention de multiples tags de croix gammées sans que jamais leurs auteurs puissent être non plus identifiés. De même pour des propos rapportés par l'une de ses sources étudiantes qui raconte qu'une élève a retrouvé l'inscription "sale juive crève" sur sa copie en revenant des toilettes. Pourtant, Bussigny rapporte elle-même les propos de David, un étudiant bordelais qui lui raconte comment ses années de lycée ont été "marquées par l'antisémitisme d'une extrême droite bordelaise où saluts nazis et croix gammées côtoyaient le racisme qui pèse sur des personnes comme lui".
Le livre recense également des actions antisémites survenues à l'université Paris-Dauphine (et rapportées à l'époque dans la presse) où un étudiant a piraté les photos de profils d'élèves juifs sur l'ENT de la faculté afin de remplacer leurs visages par des drapeaux palestiniens. Mathys Dupuis, étudiant cité dans le livre (et ancien candidat centriste aux élections Européennes de 2024), affirme qu'à Paris, "des étudiants ont proposé de faire des listes de juifs et de non-juifs". "J'ai remarqué les tags « Décolonisons la médecine » devant l'université, mais aussi une photo où l'on peut voir une large croix gammée dessinée au feutre noir sur un mur de l'hôpital Bichat, à Paris" assure la journaliste dans le même chapitre. Des actes antisémites bien réels mais dont le lien avec "l'ultragauche" n'est jamais avéré ni prouvé.
Culpabilité par association ?
Certains comptes militants, sur les réseaux, semblent mis en cause dès lors que des commentaires antisémites figurent sous leurs publications. C'est le cas pour le compte Instagram Blockout2024 et celui de Rima Hassan. Jamais ils ne sont qualifiés explicitement d'"antisémites"
mais le doute semble planer et c'est notamment à travers ce genre d'exemples que le lien est fait entre "ultragauche"
et "antisémitisme"
.
Premier exemple : le compte Instagram Blockout2024 qui affiche et dénonce "des célébrités silencieuses ou complice du génocide à Gaza" (selon sa description Instagram) et appelle à bloquer et boycotter leurs comptes. L'influenceuse Johanna Labretonnière témoigne des nombreux messages - dont certains sont clairement antisémites - qu'elle a "massivement reçus dès que son visage a été « ciblé » par le compte Blockout".
Deuxième exemple : dans le chapitre 8 sobrement titré "De Strasbourg à Bruxelles, l'islamisme au grand jour", l'autrice cite des commentaires antisémites figurant sous une vidéo de Rima Hassan. Alors qu'elle se rendait à une audition au tribunal administratif pour contrer l'interdiction de sa venue par le président de l'université de Strasbourg, l'eurodéputée LFI avait été accueillie par trois jeunes brandissant des drapeaux israéliens. Elle avait filmé et publié la scène sur son compte Instagram, le tout accompagné des commentaires "petit comité d'accueil" et "merci les gars". Nora Bussigny indique que "l
es vidéos atteignirent rapidement le million de vues
" et affirme que "les deux jeunes hommes qui souhaitaient rester anonymes" lui ont montré "les commentaires qui se sont alors succédés par milliers". La publication en question (toujours en ligne mais dont le nombre de vues n'apparaît pourtant pas) a bien récolté plus de 4400 commentaires dont certains à caractère antisémite, comme a pu le constater ASI.
Des "Liens étroits" jamais prouvés
La thèse de Nora Bussigny ne varie pourtant pas : il se "cache" quelque chose "derrière une instrumentalisation de la question palestinienne par les militants politiques de l'ultragauche". "Il y a une véritable infiltration de la mouvance islamiste dans toute la société française grâce à l'aide efficace, réfléchie, programmée, de la gauche radicale, véritable cheval de Troie de l'antisémitisme", écrit-elle, affirmant que "des organisations terroristes ont réussi à se frayer un chemin dans les luttes progressistes". Elle est également convaincue qu'il existe une "démarche concertée, pensée, dont le but avoué est d'instaurer en France un état de guerre permanente, un climat de lutte et d'exacerbation, une longue marche vers le chaos". La tonalité catastrophiste frôle par endroits le complotisme. L'autrice affirme, par exemple, dès le premier chapitre qu'elle à pu constater "preuves terribles à l'appui, à quel point l'islamisme, le militantisme prétendument progressiste d'ultragauche et les questions féministes et LGBT étaient si étroitement liés, et pouvaient conduire à une subversion calculée, voulue, de notre société et de nos valeurs républicaines". Mais ces "liens étroits" ne sont, au final, jamais prouvés.
Tout au long du livre, des opinions sont présentées comme des faits avérés. À titre d'exemple, encore, dans le chapitre 4, Nora Bussigny évoque le viol antisémite dont une enfant de 12 ans a été victime en juin 2024 à Courbevoie. "Pour les collectifs féministes, prendre clairement position dans cette affaire fait l'objet d'une véritable hésitation" assure la journaliste sans détailler davantage, sauf en citant des commentaires d'anonymes sur les réseaux sociaux. Pourtant, en prenant la peine de chercher, l'on retrouve, de la part des principales organisations et figures féministes de gauche, des communications qui condamnent très fermement l'agression antisémite (comme un tweet de la Fondation des femmes ; un autre de Nous Toutes ; ou encore de Manon Aubry). Ainsi que des traces de la présence de figures féministes comme Sandrine Rousseau (qui y avait été prise à partie) au rassemblement organisé alors par Nous Vivrons, ou de celle Anne-Cécile Mailfert (qui y avait même consacré une chronique sur France inter) à celui organisé le lendemain à la Bastille.
Le ton de l'autrice, ses sources (sans pluralisme ni récit contradictoire des membre de l'"ultragauche"
visée), les amalgames entre propos sur la résistance palestinienne et apologie de terrorisme ou entre critiques politiques et attaques antisémites, ainsi que le vocabulaire utilisé très connoté (à commencer par "ultra-gauche") et les outrances qui ponctuent les récits ("e
n
lisant l'échange, je suis dépitée: iels sont vraiment fou.olle.s!" pour se moquer de l'écriture inclusive), et surtout la faiblesse méthodologique,inspirent à minima cette question : l'ouvrage serait-il un pamphlet idéologique plus qu'une enquête journalistique ?
Le récit contradictoire de nombreuses personnes mises en cause est à retrouver dès demain sur ASI, dans le deuxième volet de cette enquête.
Malgré plusieurs demandes d'interviews formulées depuis le 10 octobre, via différents canaux, Nora Bussigny n'a jamais répondu aux sollicitations d'Arrêt sur images. Voici la liste intégrale des questions que nous lui avons adressées.