Zohran Mamdani : de Cnews à Radio France, une semaine de diabolisation
Élodie Safaris - - Intox & infaux - 93 commentairesDans les médias, un portrait à charge empreint de suspicions et d'islamophobie
Dans les jours qui ont précédé le scrutin et surtout après l'élection historique de Zohran Mamdani à la mairie de New York, les médias français ont montré une certaine fascination pour le personnage et ses méthodes de communication. Mais dans certains médias et sur les plateaux télé, une suspicion généralisée s'est installée à l'égard de ce "musulman assumé" (sic). Retour sur une semaine de tentative de diabolisation médiatique aux relents islamophobes.
Dans la dernière ligne droite de sa campagne et depuis sa victoire à la mairie de New York, Zohran Mamdani a fait l'objet, en France, d'innombrables commentaires médiatiques. Quelle est la formule magique de ce "maire de TikTok"
? Quel signal pour la gauche américaine ? Est-il radical ou juste de gauche ? Comment La France Insoumise "
s'approprie
"
sa victoire ? Mais dans les médias les plus conservateurs, le premier maire musulman de la Grosse Pomme est surtout dépeint comme quelqu'un de "dangereux"
, "proche des Frères musulmans"
et même "antisémite"
. Une tentative de disqualification massive que l'on retrouve sur de nombreux plateaux télé, audiovisuel public compris.
Islamophobie en roue libre sur X
Dès 9h du matin ce 5 novembre, Céline Pina dégaine sur X "New-York s'est donnée à un islamiste"
doublé d'un montage photo de Zohran Mamdani et des Twin Towers en feu, le 11 septembre 2001. Un mème qui sera repris par Tristane Banon accompagné d'un mot : "l'époque"
. La première justifiera cette image en évoquant des "liens avérés entre le nouveau maire de NY et les islamistes"
qui seraient "documenté[s]"
et ira jusqu'à la republier. La seconde finira par supprimer sa publication après une vague d'indignation mais maintiendra que Zohran Mamdani a des "accointances"
avec l'islamisme. Aucune des deux ne sourcera ses dires. Dans la foulée de son élection, le 5 novembre, de nombreuses personnalités médiatiques de droite et d'extrême droite partageront sans grand scrupule d'autres parallèles visuels entre Mamdani et le 11-Septembre, accompagnés de commentaires islamophobes.
Sur CNews, Gilles-William Goldnadel estime que "ne le considérer uniquement comme un musulman"
est un peu "court idéologiquement"
et que "quelqu'un qui refuse à voir Israël comme un état juif et qui boycott cet état juif, ça
(sic) ressemble quand même à un islamiste"
. Dans un article de "décryptage"
au titre évocateur ("
De Zohran Mamdani à l'attaque de l'île d'Oléron : l'ère des ravages du décolonialisme"
) publié dans Atlantico, le nouveau maire est décrit comme "
la réussite du marketing décolonial d'influence frériste"
et l'incarnation de "l'entrisme islamique pur et dur".
Sur le plateau de 22h Rochebin (7 novembre, LCI),
le journaliste Jean-Dominique Merchet lance de façon très péremptoire
avant de tenter de nuancer :"une chose est claire : c'est un antisioniste radical et il fréquente les milieux islamistes"
"I
l est soutenu, en tout cas, par une grande partie de ces gens là"
.
Arrêt sur images a fait part de ces qualifications au journaliste indépendant et franco-américain Cole Stangler. "C'est vraiment n'importe quoi",
soupire l'auteur de Le Miroir Américain (Les Arènes, 2025), la voix pleine de lassitude à devoir commenter des tentatives de diabolisation aussi grossières."Ces gens ne connaissent vraisemblablement ni le parcours politique de Mamdani, ni le contexte politique de New York, ni ce qu'est le DSA qui est une organisation socialiste !"
analyse le journaliste qui estime que ces commentateurs "sont surtout complètement déconnectés du réel"
et que leurs accusations sont surtout le reflet d'une "
projection de fantasmes sur l'islam
très franco-français
"
.
"il fréquente les milieux islamistes"
Quant il n'est pas lui-même qualifié d'islamiste, Mamdani est accusé d'en être sympathisant. Une semaine avant son élection, Franc-Tireur publiait son "portrait qui fâche"
. Dès le chapô, il y est décrit comme "proche des Frères musulmans"
. Les deux auteurs (qui ne sourcent aucune de leurs nombreuses affirmations disqualifiantes) justifient cette accusation car le Council on American-Islamic Relations (CAIR), décrit comme "proche des Frères musulmans"
aurait "versé plus de 100 000 dollars à sa campagne"
. Ajoutant que "tout l'écosystème frériste américain semble miser sur ce candidat, cheval de Troie pour radicaliser la gauche américaine"
.
Une accusation que l'on retrouvera également sur les chaînes d'info. À l'instar du service public, par la voix de Marc Weitzmann, invité de l'émission Tout est Politique (France Info, 5 novembre). "Il faut savoir que Mamdani était financé officiellement par le CAIR qui est l'organisme officiel des Frères musulmans aux États-Unis"
lâche le producteur de France Culture."C'est totalement faux"
aura tout juste le temps de lui répondre la chercheuse Marie-Cécile Naves, sans avoir l'opportunité de revenir dessus.
Libé s'est penché sur le sujet et livre une double conclusion. D'une part, les dons en questions ne proviennent pas directement du CAIR mais du Unity & Justice Fund qui a seulement des liens avec une émanation du CAIR (CAIR Action). D'autre part, les liens entre le CAIR et Les Frères musulmans n'ont jamais été prouvés. Ces accusations émanent d'une liste rendue publique par les Emirats arabes unis il y a plus de 10 ans.
Pour Cole Stangler, cette proximité supposée du CAIR et des Frères musulmans relève, là aussi "plus de projections de fantasmes français"
qu'autre chose. "Aux Etats-Unis, ils sont plutôt considérés comme modérés"
, détaille le journaliste qui estime que cette proximité ne se retrouve que dans les discours de Fox News ou de médias associés au trumpisme.
“il y a un peu de Taqîya chez cet homme”
Quelques jours plus tôt, avant même l'élection, Caroline Fourest avait lâché, dans 24h Pujadas(4 novembre, LCI), à propos de Mamdani :"c'est quelqu'un qui est très sympathique en apparence, il sourit beaucoup mais le journalisme c'est pas de se contenter des sourires et des éléments de com".
Dans L'Heure des Pros (5 novembre, CNews), Eric Naulleau n'hésite pas à franchir les limites du complotisme en décrivant un homme à "deux visages"
: celui tout sourire, bien coiffé et habillé et un autre "pas bien coiffé"
, concluant "il y a un peu de taqîya chez cet homme" (
stratégie de dissimulation de sa foi, et par extension, de la radicalisation d'un militant islamiste).
L'avocat et ancien député européen d'extrême droite, Gilbert Collard, s'inquiète, lui aussi, du "réel danger"
que représenterait Mamdani : "I
l a beau se farder derrière le maquillage, on voit bien qu'il est le représentant du communautarisme radical musulman"
.
Dans une nouvelle chronique consacrée à Mamdani dans 24h Pujadas (6 novembre, LCI), Caroline Fourest évoque (comme sa collègue Abnousse Shalmani, l'avait pourtant déjà fait la veille) "un imam dont il est proche
avec lequel il a posé récemment tout sourire"
décrit comme "l'un des apologistes du premier attentat contre le World Trade Center en 1993" et "
qui est même passé à deux doigts d'être inculpé pour co-conspiration"
(sans sourcer ni même préciser de quoi il s'agit précisément).
Zohran Mamdani a, en effet, partagé lui-même cette photo sur ses réseaux, et décrit l'imam comme "l'
un des plus éminents dirigeants musulmans du pays et un pilier de la communauté de Bed-Stuy
[pour Bedford-Stuyvesant, un quartier de New York]depuis près d'un demi-siècle".
Suite à la polémique provoquée par cette photo, Mamdani avait plaidé que d'autres maires comme Mike Bloomberg ou Bill de Blasio avaient également rencontré l'imam Siraj Wahhaj sans que cela ne semble indigner personne.
"Antisioniste-antisémite"
Certains commentateurs accusent également Mamdani d'antisémitisme... ou plutôt d'"antisionisme-antisémitisme"
, les deux mots étant énoncés comme s'ils n'en formaient qu'un comme pour mieux affirmer leur prétendue synonymie. Comme le feront Romain Desarbres dans sa matinale (5 novembre, CNews) ou Abnousse Shalmani dans sa chronique (5 novembre, LCI).
Parmi ces toutologues assumés, c'est peut-être Bernard-Henri Lévy qui se montre le plus accusateur en qualifiant Mamdani de "maire antisémite"
dès le 29 octobre, soit plusieurs jours avant son élection, le 4 novembre. Dans ce texte publié par Le Point, BHL liste ses arguments. Mamdani est "partisan résolu du boycott du seul État juif de la planète"
; "
Il ne se cache pas d'être venu à la politique à travers la cause palestinienne et grâce à elle"
; "
Il reprend à son compte, sans état d'âme,
les accusations de famine organisée et de génocide portées contre Israël
"
; "
Il a dit et redit qu'il se ferait un plaisir de voir le Premier ministre de l'État hébreu arrêté"
; "
Il condamne, certes, le 7 Octobre – mais du bout des lèvres"
.
Auprès d'ASI, Cole Stangler estime que ces accusations d'antisémitisme relèvent de "procès d'intention"
, qu'elles ne sont accompagnées d'aucune "preuve"
, et qu'il suffit "d'aller écouter ses paroles et ses engagements"
pour le constater. Le journaliste américain rappelle également que Mamdani est proche de l'organisation IfNotNow, menée par des juifs progressistes, proche de DSA. Et qu'il avait "fait une alliance formelle avec Brad Lander, autre politicien new-yorkais de l'aile gauche du Parti démocrate qui est juif et se décrit lui-même comme sioniste de gauche"
. "Lander aurait ainsi soutenu un antisémite ?"
, s'interroge Stangler auprès d'ASI.
Le même BHL affirmera au micro d'Anne-Sophie Lapix (5 novembre, RTL) que "l'
une des raisons de la fièvre qu'il a soulevée, c'est pas les propositions de logement et de bus gratuit"
mais "quand il abordait la question de Gaza, de l'intifada, du terrorisme".
Qu'en pense Alexis Buisson, correspondant à New York et auteur de la newsletter Le Caucus ? "Je n'ai aucun doute sur le fait que les positions de Zohran Mamdani sur la Palestine ont joué un rôle dans le soutien que lui ont apporté certains électeurs"
estime le journaliste indépendant qui raconte à ASI avoir "assisté à la retransmission des résultats avec des centaines de personnes dans un bar de son fief d’Astoria"
et rapporte que "la foule a scandé « Free Palestine » après les premières projections"
.
Mais le journaliste français estime que "la question palestinienne a été moins importante pour ses électeurs que les considérations liées au coût de la vie"
. Cole Stangler abonde : "La question de Gaza était présente et Mamdani, qui vient d'une famille engagée et a
cette conscience politique anticoloniale, a participé aux mobilisations tout comme les
Socialistes démocrates d'Amérique (DSA)"
. Mais si l'on s'en tient à sa "plateforme"
de campagne et à "ses discours"
, le journaliste est catégorique, "
le thème principal c'était de rendre la vie plus abordable"
. Stangler pointe, par ailleurs, que Mamdani est "en phase avec les électeurs démocrates sur ce conflit"
et que l'on "
assiste à un basculement"
où ces derniers "
deviennent de plus en plus critiques d'Israël"
, "y compris au sein de la population juive"
.
NYPD et Israël
Parmi les éléments brandis tant sur CNews que sur le plateau plus feutré de C ce soir, pour prouver que Zohran Mamdani est antisémite ou, à minima problématique, une archive vidéo de 2023. On y voit Zohran Mamdani déclarant, lors de la convention nationale des Socialistes démocrates d'Amérique : "
Pour faire en sorte que tout le monde se sente concerné par ces questions, nous devons les rendre locales, très concrètes. Nous devons faire comprendre que lorsque la botte du NYPD vous appuie sur la nuque, c'est Tsahal qui l'a lacée"
.
"Une accusation extrêmement grave"
pour la spécialiste des États-Unis, Nicole Bacharan, invitée de C dans l'air (5 novembre, France 5). Du "c
omplotisme le plus total et antisémite"
selon Victor Eyraud, journaliste à Valeurs Actuelles et invité des débats d'Europe 1 Soir (5 novembre, Europe 1). Un propos qui "frise l'antisémitisme"
selon Marc Weitzmann invité de Tout est Politique (5 novembre, France Info) qui résume la chose ainsi : "dans la logique de Mamdani, la police new-yorkaise était secrètement entraînée par les Juifs"
. "De l'antisémitisme pur et simple, sans fard"
pour BHL qui sera également repris sur CNews.
Des déclarations "absolument consternantes
" selon Laure Adler qui s'en indigne sur le plateau de C Ce Soir (4 novembre, France 5) : "Je sais pas comment il faut comprendre ça si ce n'est comme une remar
que antisémite"
. Face à elle, le journaliste franco-américain Gallagher Fenwick tient la contradiction affirmant que "c'
est une réalité"
et qu'il y a bien une coopération entre la police new-yorkaise et l'armée israélienne. "Ils collaborent ensemble régulièrem
ent sur des exercices, ce sont des faits, qui sont documentés, qui sont connus… Il s'est expliqué à de multiples reprises sur cette citation…
"
. Le nouveau maire de New York s'en expliquait, en effet, encore, il y a moins de 10 jours sur CNN, précisant qu'il faisait référence à des "exercices d'entrainement"
qui ont lieu entre la police new yorkaise et l'armée israélienne.
Un naufrage en direct sur France Inter et Franceinfo
Le climax de cette forme d'acharnement médiatique a eu lieu ce dimanche 9 novembre, dans l'émission Questions politiques (France Inter, franceinfoTV et Le Monde). Questionnant le coordinateur de La France insoumise Manuel Bompard sur Zohran Mamdani, la journaliste de France Info, Alix Bouilhaguet, enchaîne les approximations et fausses informations. "Il est ouvertement propalestinien et il a repris, en son temps, le slogan «Mondialiser l'Intifada», en clair : faire la guerre aux Juifs partout dans le monde"
lance la journaliste en assénant, au passage, un raccourci plus que discutable aux téléspectateurs. "Et q
uand on lui demande de condamner le 7 octobre, souvent il botte en touche, il répète que le problème, c'est l'occupation d'Israël. Est-ce que ça ça ne vous choque pas ?"
poursuit l'éditorialiste politique, sans expliquer d'où elle tient ses informations erronées.
Pourtant, le 7 octobre dernier encore, Mamdani évoquait "l'abominable crime de guerre du Hamas"
et affirmait "pleurer ces vies"
et "prier"
pour "
le retour sain et sauf de tous les otages encore détenus et pour toutes les familles dont la vie a été brisée par ces atrocités"
. Quant à sa reprise du slogan "mondialiser l'intifada"
(qui n'est pas antisémite), il est question d'une polémique qui date du lendemain des primaires démocrates. Dans un podcast populaire aux Etats-Unis, Mamdani avait surtout refusé de condamner l'expression "mondialisation de l'intifada"
. Interrogé de nouveau sur le sujet sur NBC News, il avait explicitement dit que c'est une expression qu'il n'utilise pas, et même annoncé sur MSNBC que c'est une expression que désormais il déconseillait d'utiliser, suite, notamment, aux conversations qu'il avait pu avoir avec des représentants de la communauté juive new yorkaise.
"S'il vous plaît, donnez des informations qui sont exactes"
rétorque en plateau Manuel Bompard, après avoir corrigé en direct plusieurs de ces affirmations erronées. "A
lors une information exacte, il lève des fonds pour l'UNRWA,
une agence onusienne qui est accusée de collusion avec le Hamas"
réplique immédiatement Alix Bouilhaguet. Nouveau tacle de l'insoumis qui rappelle qu'"il
y a eu une enquête qui a été faite sur ce sujet sur cette soi-disant collusion avec le Hamas"
et que ses conclusions rapportent qu'il "n'y avait aucune collusion avec le Hamas"
.
Précisément, un avis de la Cour internationale de justice de La Haye a, en effet, estimé qu'Israël n'avait pas prouvé qu'une partie du personnel de l'UNRWA était membre du Hamas. Une autre enquête menée par le Bureau des services de contrôle interne (BSCI) des Nations Unies a "blanchi" 10 membres de l'UNRWA mis en cause et a conduit à la fin des contrats de 9 autres, comme le rapporte le ministère de l'Europe suite à une question d'un député RN. Une réponse qui rappelle, comme Manuel Bompard, que "la France continue, comme nombre d'autres partenaires y compris l'UE, de soutenir l'UNRWA financièrement"
.
"Tout est vu par le prisme de cette obsession sur les questions l'islam"
"Beaucoup de gens qui accusent Zohran Mamdani de tous les maux ne vivent pas à New York et ne connaissent pas les réalités sociales et économiques de la ville
" observe Alexis Buisson. Pour Cole Stangler, toutes ces accusations "en disent plus sur l'état des médias et des chroniqueurs français que sur Mamdani lui-même"
. "On est sur des projections où tout est vu par un prisme franco-français"
déplore encore le journaliste franco-américain qui regrette, tout comme son confrère, une époque du commentaire. S'attendait-il pour autant à un tel déferlement ? "Pour être honnête, ça ne m'étonne pas tant que ça, en France, tout est vu par le prisme de cette obsession sur les questions l'islam"
.
Contactée par Arrêt sur images, Franceinfo n'avait pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication de cet article.