Sarkozy à "la Santé" : réalité parallèle sur BFM
Daniel Schneidermann - - Obsessions - 126 commentaires
"Le voilà, on le voit au bout de l'impasse où se trouve son domicile !"
Sarkozy part à la (prison de la) Santé "la tête haute"
et en direct, sort à pied, main dans la main avec Carla, et s'engloutit dans le cortège des motards de police et de presse, façon Tour de France. Et sur BFM, soufflent des gifles en rafale. Chaque mot, chaque seconde, est une gifle au spectateur sidéré, à sa dignité, à sa "common decency". Gifle, l'interview de l'avocat Christophe Ingrain, de passage sur le plateau juste avant d'embarquer avec l'incarcéré : "Écrire un jugement c'est facile n'importe qui peut le faire"
. Gifle, le journaliste Laurent Neumann, qui s'efforce de croire et de faire croire qu'il exerce encore son métier d'origine ("Tout de même, est-ce que c'est une bonne idée, cette manifestation devant son domicile, par rapport à l'opinion publique ?")
Car oui, il doit bien subsister, quelque part, très loin, une "opinon publique".
Gifle, le : "merci d'être venu, je vous laisse rejoindre Nicolas Sarkozy"
qui conclut l'entretien.
Gifles, en duplex les images de la famille, les frères, les enfants, les petits-enfants du potentat condamné, et aussi Henri Guaino, Nadine Morano, que de souvenirs, regroupés dans ce coin du seizième, autour de la voiture qui attend. Gifle, cette Marseillaise
des quelques dizaines de fans rameutés par le fils Louis. Gifles, les "présumé innocent, tant que..."
. Gifles, déjà, les jours précédents, les égards des comparses des palais officiels, les "à titre humain"
de Macron qui l'a reçu la semaine dernière. Gifles, les "j'irai le voir"
de Gérald Darmanin. Gifles, les "ex-président de la sixième puissance mondiale"
.
Gifles encore, les visites virtuelles en boucle de la cellule de la Santé, dix mètres carrés, huit à dix numéros de téléphone autorisés, ses propres sanitaires "pour sa sécurité"
. Gifle, le "c'est tout sauf un régime de faveur"
. Gifle, ce traitement VIP du "régime d'isolement"
, maquillé à la hâte en humiliante double peine. Gifles, les "une heure de promenade par jour dans une cour grillagée"
. Gifles, les "trois parloirs par semaine, pas davantage"
. Gifle, les "il sera sans doute sorti à Noël, et peut-être bien avant"
. Gifle, les conseils de confection du
par le journaliste Laurent Valdiguié. Des pulls car il fait froid à la Santé. Pas bleu marine, c'est la couleur des surveillants. De la mousse à raser pour calfeutrer les fenêtres. Des boules Quiès. De la patience car tout est long en détention, même pour changer les piles de la télécommande."baluchon"
Gifle, cette injection massive de réalité alternative. Cette bulle de dissonance cognitive. Gifle, tout ce que BFM maintient soigneusement hors-champ ce matin-là. La douleur des familles des victimes du DC 10. Les honoraires et jetons de présence du "monde des affaires"
(Natixis, Axian, Marietton, Chargeurs, Lagardère, Accor, Sucres et Denrées) qui, selon Le Monde
, continueront de ruisseler sur l'ami à l'isolement. Cette "stupéfaction à l'étranger"
, rabâchée de plateau en plateau, tout aussi imaginaire que le groupuscule du 16e arrondissement. Il en a tant supporté, "l'étranger"
, ces derniers mois, des inversions orwelliennes, manière "le coupable, c'est la victime"
! A qui donc reste-t-il de la "stupéfaction"
en réserve, pour prêter attention à cette métastase de trumpisme, dans un recoin de la vieille Europe ? Qui est fou dans l'histoire ? Eux ou nous ? S'il nous reste de l'énergie pour nous stupéfaire de quoi que ce soit, ce n'est pas de l'exécution d'une décision de Justice. C'est la construction inébranlable de cette réalité parallèle.