Précarité et désillusions : les jeunes journalistes à "l'heure du doute"

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Cette émission est diffusée en direct un mardi sur deux à partir de 17 h 30 sur notre chaîne Twitch.

- 2:00 Interview : pourquoi les jeunes journalistes quittent leur métier-passion ?

"40 % des nouveaux titulaires de la carte en 2008 sont sortis des fichiers de la CCIJP au bout de 7 ans. Pour la cohorte 1998, ils n'étaient que 28 % sur la même période." Ce constat accablant pour les médias, issu d'une étude menée en 2017 à l'initiative de la Commission paritaire nationale emploi formation (CPNEF) et de l'Observatoire des métiers de la presse, est rappelé par le sociologue des médias Jean-Marie Charon tant dans son livre paru en 2021, Hier journalistes, pourquoi ils ont quitté la profession (envoiciquelquesrecensions), que dans son ouvrage à paraître Jeunes journaliste, l'heure du doute (en voiciquelques recensions). Dans le premier, il racontait à partir d'une enquête sociologique menée avec Adénora Pigeolat les raisons qui poussent les journalistes, jeunes ou pas, en rédaction ou pigistes, hiérarques ou soutiers, à quitter leur métier-passion : ils et elles racontaient une charge de travail devenue trop importante, souvent jusqu'au burnout, mais aussi, entre autres raisons, un sexisme structurel engendrant un épuisement accru chez les femmes.

Jean-Marie Charon a poursuivi ce travail d'enquête dans le second ouvrage, en s'attachant cette fois-ci spécifiquement aux jeunes journalistes. On y découvre de nouveau le poids de la charge de travail demandé à ces professionnel·les de l'information, et celui de la désillusion entre l'image qu'ils et elles pouvaient se faire de ce métier et la réalité de bien des rédactions dans lesquelles ces journalistes ne sont que les rouages d'une machine à produire qui les dépasse. Sans oublier des discriminations durement ressenties, en particulier par les jeunes issus de milieux moins favorisés que la moyenne. Mais est-ce une réalité ou le biais de sélection d'une enquête sociologique faite par appel à témoins ? On reçoit Jean-Marie Charon pour en parler, ainsi que de la manière dont ses deux livres ont été reçus par les grands médias et leurs hiérarchies. 

- 57:00 Interview : À LYON, ELLE ENQUÊTE POUR FRANCE 3 SUR LES PFAS ET ARKEMA

C'est la première fois que France 3 est présélectionnée dans la catégorie "presse écrite" pour le prix Albert Londres, pour une enquête au long cours de France 3 Auvergne - Rhône-Alpes menée autour de la pollution aux PFAS de l'usine Arkema de Pierre-Bénite, au sud de Lyon. La journaliste qui en est à l'origine, après avoir vu un Envoyé Spécial sur le sujet en 2022 (réalisé en partenariat avec l'émission de France 5 Vert de rage), c'est Émilie Rosso. En sus de son exercice journalistique quotidien pour la chaîne, elle a engagé un lourd travail qui l'a menée à rencontrer des riverain·es, des associations, des scientifiques, à visiter l'usine bien sûr, mais aussi à croiser le chemin de la journaliste du Monde Stéphane Horel, spécialiste des perturbateurs endocriniens et elle-même autrice d'enquêtes au sujet de ces "polluants éternels" dans le cadre d'un travail collaboratif européen, le "Forever Pollution Project". On reçoit Émilie Rosso pour qu'elle nous raconte les coulisses de son enquête, dont elle couvre toujours les suites localement.

- 1:58:20 Total promeut le solaire sur Twitter pour mieux vendre le gaz

Une récente étude scientifique s'est penchée sur la communication faite sur X (ex-Twitter) par les géants du pétrole et du gaz. Elle souligne "le décalage entre les tactiques de communication et les efforts réels de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à l'exploitation des hydrocarbures fossiles", a relevé la climatologue du Giec Valérie Masson-Delmotte. Ce n'est pas tout : l'étude nous apprend aussi que si ces multinationales promeuvent bien les énergies renouvelables sur leurs comptes X, c'est d'abord et avant tout afin d'y promouvoir en réalité le gaz en tant qu'énergie "plus propre", indispensable à la transition énergétique… avec pour principale conséquence de chercher à retarder cette dernière, comme elles l'ont en réalité toujours fait depuis plusieurs décennies. Chez TotalEnergies, c'est ainsi le photovoltaïque qui est mis en avant dans ce but. En 2023, nous avons dévoilé comment la société avait tenté de faire un partenariat avec le média engagé dans l'écologie l'ADN, mais aussi comment elle avait répondu à un documentaire de Cash Investigation, ou la manière dont elle avait musclé sa communication sur les réseaux sociaux face aux journalistes.

- 2:10:10 Sondage en RDC : "Le Point" victime d'une opération de désinformation ?

Tout juste renommée la Lettre, l'ex-Lettre A (une lettre confidentielle spécialiste des enjeux de pouvoir) a dévoilé, le 6 octobre, comment le Figaro et le Point s'étaient faits le relai "d'une opération d'influence du président de la RDC" Félix Tshisekedi à l'approche de la tenue d'élections (déjà contestées pour cause de répression de ses opposants politiques et des militants des droits humains). Dans une des rubriques du quotidien gérée par Yves Thréard, seulement publiée dans l'édition papier, une brève indiquait : "Félix Tshisekedi fait la course en tête dans les sondages". En l'occurrence dans un sondage "réalisé par l'institut One to One pour l'agence Kuna, basée à Paris". Sauf que la Lettre révélait que ladite agence était dirigée par une ancienne du Figaro, Diane Levy… aussi ex-compagne de Thréard. Et qu'elle était en contrat pour un livre à venir avec le président congolais, qu'elle avait récemment rencontré à Bruxelles. Oups ? Yves Thréard a répondu au média qu'il n'avait fait que reprendre une information du Point. Quelques jours plus tôt, le Point Afrique avait en effet publié un long article axé sur l'incertitude de l'élection à venir malgré les pouvoirs plus qu'étendus du président de la République démocratique du Congo. 

Article dans lequel figurait déjà ce sondage de l'agence Kuna, sans qu'il ne soit précisé, là non plus, son origine probable – Félix Tshisekedi, donc. Suite à l'article de la Lettre, le Point a ajouté la mention suivante dans son texte : "Ces données sont à prendre avec des pincettes, dans la mesure où des doutes existent sur les conditions de réalisation de ce sondage." Jointe par Arrêt sur images, son autrice Viviane Forson assure qu'elle avait simplement reçu un courriel de l'agence Kuna pour mettre en avant ce sondage, dont elle ne connaissait donc pas l'origine, si ce n'est que sa réalisation par l'institut One to One, connu en Afrique, lui avait inspiré une certaine crédibilité. "Je reçois régulièrement des sondages, des informations, on parlait justement de la RDC en conférence de rédaction à l'approche de l'élection, commente-t-elle. J'ai proposé un article en m'appuyant sur ce sondage qui sortait, mais je cite d'autres sondages, je fais intervenir un expert, je compare et je dis ce qui va ou pas en RDC, l'article est équilibré." Viviane Forson rappelle aussi que le second sondage qu'elle évoque, réalisé par l'Institut canadien Léger, l'avait aussi été à l'initiative du pouvoir congolais, ce qu'elle ne précisait pas dans son article : a allait embrouiller les gens, je voulais montrer que rien n'est joué alors que le président a tous les moyens pour lui."

- 2:29:00 L'Iran au coeur des attaques contre Israël… ou un scoop bidon du "WSJ" ?

"Le Corps des gardiens de la révolution islamique a donné son feu vert définitif lundi dernier, lors d'une réunion à Beyrouth."L'accusation du Wall Street Journal (ici traduite par l'Opinion), ce dimanche 8 octobre, est lourde d'implications. Le plus prestigieux des journaux de la galaxie Murdoch affirme en effet que l'Iran ne s'est pas contenté de son traditionnel soutien matériel et financier au Hamas, mais aurait été directement impliqué dans l'offensive, et ce jusqu'à la présence du ministre des Affaires étrangères lors de réunions de planification opérationnelle avec le Hamas. Les fermes démentis officiels pleuvent immédiatement en provenance d'Israël et des États-Unis et  d'autres journalistes mettent rapidement en cause la crédibilité de ce récit médiatique. "Pourquoi le ministre des Affaires étrangères iranien serait-il présent à une réunion pour discuter de l'opération militaire ?", demande le journaliste d'Al-Jazeera Ali Hashem – un des correspondants de The Economist au Moyen-Orient, Gregg Carlstrom, pose la même question

Le lendemain de la publication de l'article du WSJ, c'est au tour de la crédibilité de sa principale autrice, Summer Said, d'être mise en cause, et par nul autre que son ancien supérieur hiérarchique de l'agence Reuters pour laquelle elle avait précédemment travaillé. "Elle a un passif de malhonnêteté et d'inventer des informations. Je l'ai licenciée de Reuters en 2008 pour cette raison. Je suis surpris que le WSJ l'ait embauchée et publie ses affirmations manifestement aberrantes", écrit ainsi Andrew MacGregor Marshall. "Elle aurait dû être licenciée mais Reuters lui a permis de démissionner. Je suppose que le WSJ n'est pas au courant", poursuit-il. Alors, scoop bidon ? Ce n'est pas si simple : 24 heures après la publication de l'article du Wall Street Journal, le média francophone libanais l'Orient - le Jourpublie à son tour un article exposant "comment le Hamas, le Hezbollah et l'Iran ont minutieusement planifié l'offensive en Israël depuis Beyrouth", en assurant dévoiler "la teneur des réunions organisées depuis plusieurs mois dans la capitale libanaise". Dans une analyse publiée au lendemain des révélations du WSJ, le Grand Continent rappelle par ailleurs que "le régime iranien a été le premier à soutenir explicitement l'attaque de Hamas, en laissant tantôt entendre avoir aidé à son organisation, et tantôt que le Hamas est parfaitement indépendant".

- 2:49:50 Les "États généraux de l'information" doivent-ils être hackés par les médias indés ?

Ce 3 octobre, alors que sont lancés sous l'égide de l'Élysée des États généraux de l'information déjà vivement critiqués par les syndicats de journalistes (qui sont absents de son comité de pilotage), le Fonds pour une presse libre (que chapeaute Mediapart) a annoncé son initiative "pour des États généraux de la presse indépendante". Le relais de cet appel par Edwy Plenel a entraîné la réponse suivante du secrétaire général de Reporters sans frontières Christophe Deloire : "Bien entendu que les journalistes, les syndicats et les SDJ sont partie intégrante des États généraux de l'information. Toutes les voix seront entendues, et toutes les contributions prises en compte. Nous avons lancé un appel à candidatures pour les groupes de travail, et la participation sera ouverte à toutes les organisations." Ce à quoi le cofondateur de Mediapart a notamment répondu : "Non Christophe Deloire dans le comité de pilotage des États généraux il n'y a aucun représentant qualifié de la profession." Sollicité par ASI, Christophe Deloire n'a pas répondu.

L'occasion de rappeler que les syndicats de journalistes français et leurs fédérations internationales reprochent depuis de nombreuses années à RSF et à son secrétaire général de s'immiscer à leur détriment dans le dialogue entre les pouvoirs publics, en France comme à l'international, et les journalistes – on en parlait en juin 2022 dans un précédent Proxy. La composition du comité de pilotage de ces États généraux de l'information semble leur donner raison, celui-ci ne comportant en effet ni syndicat de journaliste, ni aucun·e représentant·e des Sociétés de journalistes (SDJ) qui représentent elles aussi les journalistes dans beaucoup de rédactions françaises (y compris à ASI). Des États généraux qui mettent en avant malgré tout la participation du public et des journalistes, malgré une procédure d'inscription opaque et incompréhensible, a relevé Paul Aveline dans une récente matinale. Après un vote interne, ASI a donc décidé de participer aux États généraux de la presse indépendante, qui auront au moins le mérite d'inclure des journalistes à tous les niveaux.

- 2:56:45 Alvexo dans le viseur de l'AMF : "Capital" supprime ses publireportages

L'histoire de la plateforme de trading d'options sur des cryptomonnaies, devises et actions (des paris à la hausse ou à la baisse sur leurs valeurs, souvent avec effet de levier) Alvexo est similaire à celle de bien d'autres homologues basées dans les petits paradis fiscaux européens que sont Malte et Chypre, hors d'accès du régulateur financier français. Sauf qu'Alvexo a ouvert une succursale française, ce qui a permis à l'Autorité des marchés financiers (AMF) de se saisir de son cas : un jugement est attendu prochainement, et il sera très probablement défavorable à la plateforme faisant par ailleurs l'objet de nombreuses plaintes en justice d'épargnant·es ayant perdu tous leurs investissements. Alvexo était au cœur de "l'affaire Jean-Pierre Pernaut", qui promettait de dévoiler ses conseils en investissement, soit investir via Alvexo, sauf que tout était bidon, jusqu'à un faux article du JDD, affaire révélée par Numerama en 2020. Mais Alvexo a aussi diffusé, ces dernières années, plusieurs publireportages – flatteurs, forcément – dans les médias le Point et Capital, un classique des arnaques à l'investissement. Le magazine Capital a d'ailleurs supprimé en catimini, entre lundi 9 et mardi 10 octobre, les trois textespromotionnelsde son site.

Ce n'est pas le seul canal promotionnel utilisé par Alvexo : dès 2018, le site de référence sur les arnaques financières Warning Trading (on recevait son journaliste Philippe Miller en 2022 dans Proxyse penchait sur la plateforme… et sur le rôle plus que trouble de Stéphane Ceaux-Dutheil – une enquête du JDD avait ensuite repris les révélations de Warning Trading en 2021. Ceaux-Dutheil intervient en effet en tant qu'expert boursier sur BFM Business depuis plus d'une décennie, et le faisait ces dernières années en tant qu'analyste pour Alvexo. De quoi procurer à la plateforme une publicité gratuite inespérée, facteur de confiance et de crédibilité pour les victimes d'Alvexo, constate Philippe Miller auprès d'ASI : "Le passage sur BFM d'un ambassadeur est décisif [pour convaincre les victimes de ces plateformes de trading], quand vous le voyez sur BFM toute la journée, et que le mec qui passe à la télé vous accueille en webinaire ensuite…" Les enquêtes de Warning Trading sur Alvexo ont d'ailleurs valu au site une plainte en diffamation de la part de la plateforme, avec un coût afférent de "5 000 à  10 000 euros" pour ce petit média : "Mine de rien, les procédures-bâillon, ce n'est pas que contre Bolloré."

Aujourd'hui, Stéphane Ceaux-Dutheil continue de passer plusieurs fois par semaine à l'antenne de BFM Business, dans l'émission BFM Bourse animée par Guillaume Sommerer. Il n'est plus présenté comme analyste d'Alvexo, mais comme "responsable du site technibourse.com". Un site internet qui n'est plus accessible depuis juin 2023, sans que cela ne semble troubler la chaîne qui continue d'en indiquer l'adresse à son antenne. Sollicités par ASI pour savoir pourquoi cet expert était toujours jugé crédible, et pourquoi la chaîne continuait de le présenter via un site n'existant plus à ce jour, ni Guillaume Sommerer ni la direction de la communication de BFMTV n'ont répondu. 

- 3:27:00 FAQ - COurrier des lecteurs

On rappelle la campagne d'abonnements en cours, vitale pour la survie d'ASI.

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