Du "gang de l'omelette" à la mafia du clic des reprises média
La rédaction - - Médias traditionnels - Déontologie - Scandales à retardement - 6 commentaires Voir la vidéo
Cette émission est diffusée en direct un mardi sur deux à partir de 17 h 30 sur notre chaîne Twitch.
- 3:08 Du "gang de l'omelette" à la mafia du clic des reprises média
Tout commence par un article du Parisien, et la curiosité d'un lecteur-journaliste. "Je tombe par hasard sur ce fait divers du Parisien", poste le fondateur de la newsletter Bulletin Jean Abbiateci le 9 août dernier au début de sa "petite expérience". Laquelle ? Suivre la trajectoire d'une information insolite dans laquelle il perçoit le "potentiel de viralité". Sur le compte Twitter du Parisien, ça ne prend pas. Ça viralise déjà beaucoup plus sur un compte Twitter de relais d'informations sans liens (qui sont réputés parmi les gestionnaires de ce type de comptes comme limitant la viralité des publications). Les premières reprises de "vrais" médias passent par Femme Actuelle et d'innombrables pages Facebook un peu louches, par Yahoo (qui republie Femme Actuelle). Puis par RMC, BFMTV, la Dépêche du Midi, l'Indépendant (ce qui témoigne de la stratégie du groupe La Dépêche), Ouest-France (via l'agence de contenus NewsGene), bien d'autres médias, et ce jusqu'au Telegraph britannique… on analyse cette circulation de l'information.
- 33:42 Histoires d'algues, quand "Ouest-France" répond à "L'Huma"
Tout commence par un journaliste indépendant en vacances en Normandie, Mourad Guichard. Sa curiosité est attisée par un post Instagram d'une association écologique locale de Langrune-sur-Mer, Land Growan au pied du mur, qui critique le ratissage de la plage, malgré leurs actions de sensibilisation des élu·es et institutions locales "pour expliquer l'importance de la laisse de mer et de la biodiversité du littoral". La laisse de mer, ce sont ces amas composés d'algues, de coquillages et de crustacés présents sur les plages, qui servent "de gîte et de couverts à de nombreuses espèces". Résultat après avoir interrogé l'association, des commerçant·es et les élus locaux, Guichard publie un article dans l'Humanité, signé de son pseudonyme Joseph Korda – pas une figure communiste comme je l'indique de manière erronée dans l'émission, mais un assemblage du prénom de son premier fils et du nom du photographe Alberto Korda rencontré en 1992 par Guichard à la Fête de l'Humanité.
Fin de l'histoire ? Non, puisque cet article est suivi d'un autre dans Ouest-France, mais cette fois-ci exclusivement avec les paroles des élus locaux qui défendent le ratissage au nom de la pression touristique. L'article n'est pas signé, donc probablement écrit par un·e correspondant·e local·e de presse. L'association, elle, regrette de ne pas avoir été contactée par Ouest-France. Et n'est d'ailleurs pas mentionnée dans l'article, pas plus que l'Humanité auquel ce texte répond sans le dire. Une pratique habituelle de la part du quotidien régional, qui avait aussi procédé de cette manière lorsque nous avions critiqué il y a quelques mois sa couverture de la destruction de menhirs à Carnac pour laisser place à une grande surface de bricolage. Pas plus qu'ASI, l'Humanité n'a laissé passer cet article sans rien dire. "Contacté, Ouest-France a botté en touche : «[La situation] a été signalée par plusieurs élus, dont le maire de Langrune». Donc, oui, pour obtenir un article où n’apparaît que son propre point de vue sans contradiction, il suffit d’appeler le journal régional", commente le quotidien dans un article de sa rubrique Médiatoc publié le 18 août (après cette émission), titré "Quand Ouest-France assure le SAV d'élus ronchon".
- 51:00 Grève à la gare de Marseille, BFMTV oublie le motif de la grève
Le 13 août, un reportage de BFMTV relate les effets de la grève des éboueurs de la gare Saint-Charles de Marseille, malgré le retrait ponctuel des ordures ordonné par la préfecture des Bouches-du-Rhône. Ce reportage qui débute par un micro-trottoir d'habitant·es mécontent·es donne bien la parole aux grévistes salarié·es d'un sous-traitant de la SNCF… mais oublie d'indiquer les raisons de leur grève : le non-paiement de leurs salaires par l'entreprise. Un oubli que n'a faitaucun autremédia dema recension.
- 56:50 Photojournalisme et exclusion de médias : interview de Juliette Robert
Second numéro, seconde étrangeté iconographique en Une de la part du nouveau JDD de Vincent Bolloré et Geoffroy Lejeune, ex-rédacteur de chef de Valeurs actuelles : la photo utilisée provient d'un photographe, Julien Mattia, qui a explicitement excluValeurs actuelles de la diffusion de son travail. Deux photojournalistes prennent la parole pour expliquer ce type d'exclusion : Louis Witter, bien connu des asinautes, et Juliette Robert, qui avait été la première à inviter les photographes à exclure le nouveau JDD. Photojournaliste depuis une quinzaine d'années, elle vient nous expliquer comment et pourquoi les photographes choisissent d'exclure des médias ou des pays entiers des contrats de rediffusion de leur travail.
- 1:27:14 Taxes sur l'alcool et le tabac, les médias contextualisent peu l'info
Fin juillet, l'Observatoire des drogues et des tendances addictives (OFDT) publiait une étude sur "le coût social des drogues" en France en 2019. "Le coût social du tabac et de l’alcool est respectivement de 156 et 102 milliards d’euros, et de 7,7 milliards d’euros pour les drogues illicites", conclut l'institution publique. De quoi relativiser les rentrées fiscales liées aux substances légales (15,9 milliards d'euros pour le tabac, 5,3 milliards d'euros pour l'alcool), ou même le chiffre d'affaires de la "filière alcool" française d'environ 20 milliards d'euros, au regard des plus de 73 000 morts dues au tabac et des plus de 41 000 morts dues à l'alcool chaque année. L'étude de l'OFDT a donnélieu àde nombreuxarticles, mais sans que les médias ne décident de porter le sujet au-delà de ce relais ponctuel. Comme en 2015 d'ailleurs, année de la précédente étude de l'OFDT, aux conclusions similaires.
Quelques jours avant la dernière étude, les médias avaient offert une très large couverture (articles, et débats) à l'opposition des viticulteurs à la potentielle augmentation des taxes sur l'alcool, estimée de quelques centimes par bouteille de vin à quelques euros pour les alcools les plus forts… mais aucun journaliste (ou presque) ne précisait le coût social ou le nombre de morts dus à l'alcool, ni ne citait l'association Addictions France et sa défense de la santé publique – donc de la taxe. Et le tabac ? Les médias rappellent un peu plus les effets délétères de cette drogue, mais beaucoup continuent de relayer abondamment et souvent sans aucun esprit critique le lobbying des cigarettiers, comme on vous le racontait il y a quelques mois.
- 2:23:18 "The Intercept" et le "New York Times" en conflit autour du Pakistan
Élu en août 2018 premier ministre du Pakistan grâce au soutien des militaires, Imran Khan a été renversé par une motion de censure en avril 2022, puis arrêté et emprisonné pour corruption en août 2023. En juin de cette année, il accusait dans The Intercept les militaires pakistanais d'avoir manipulé les États-Unis, allié historique (avec des hauts et des bas) du Pakistan, pour soutenir sa chute. Ce 9 août, une enquête du site d'investigation révèle, grâce à l'obtention de câbles diplomatiques pakistanais, qu'un diplomate états-unien a fortement appuyé la motion de censure, en raison de la neutralité d'Imran Khan autour de la guerre en Ukraine. Des révélations que n'a pas reprises le New York Times… il faut dire que son correspondant au Pakistan a publiquement jugé l'information de peu d'intérêt, tout en assurant que la source des documents de The Intercept était probablement le parti de l'ancien premier ministre – engendrant de farouches démentis des journalistes de The Intercept.
- 2:43:54 Comment couvrir (ou pas) les annonces d'Elon Musk ?
Du Guardian britannique au washingtonien Politico en passant par les plus grandes agences de presse mondiales, ainsi quede trèsnombreuxmédias français, difficile de rater les annonces fantasques d'Elon Musk, ici à propos de son "combat" de MMA annoncé avec le propriétaire de Facebook/Meta Mark Zuckerberg. Les journalistes "font les mêmes erreurs qu'avec Trump", écrivait un conseiller de Zuckerberg dans Time en décembre 2022. Le 8 août, le journaliste états-unien Casey Newton écrivait à son tour qu'il était "temps de changer la manière dont nous couvrons Elon Musk". Ce qui a poussé le journaliste français Cassim Ketfi à faire un semi-mea culpa sur le site spécialisé Frandroid : "Peut-être était-il raisonnable de couvrir le défi lancé entre les deux hommes tout en prenant le recul nécessaire, sans en parler avec fascination, puis ne plus discuter chaque moment de ce feuilleton en attendant un passage des annonces aux faits."
- 3:03:57 FAQ - Courrier des asinautes
En octobre 2022, je vous racontais comment les journalistes d'un site "tech" spécialisé se sont toujours vu refuser la carte de presse par la Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels (CCIJP), notamment parce que la CCIJP considère la proportion de publicités natives trop importante sur le site. La situation a changé, et la CCIJP a accordé la carte de presse, notamment parce que le site a obtenu un numéro de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), et que ses statuts ont été modifiés pour ajouter la notion d'information du public. Mais les journalistes qui y exercent restent soumis à une autre convention collective que celle des journalistes – et donc dépourvus de certains droits, tels que celui de pouvoir refuser de participer à des contenus publicitaires.
Suite à mon article sur les "off" présidentiels autour de l'interview de la secrétaire d'État Sabrina Agresti-Roubache dans le JDD, un asinaute m'a reproché de ne pas apporter d'information nouvelle sur le fond. Ce qui est parfaitement exact, j'y reviens en expliquant pourquoi.