Club indé #2 : idées fascistes, "l'ouverture des vannes"

La rédaction - - Nouveaux medias - 60 commentaires

ASI invite Mediapart, Bastamag et Mag'Centre à réagir sur l'actualité


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Dans cette nouvelle édition du Club indé, le club de la presse indépendante, les journalistes Dan Israel de Mediapart, Olivier Petitjean de Basta ! et Mourad Guichard, journaliste indépendant qui travaille pour Mag'Centre et Le Canard Enchaîné, réagissent avec Emmanuelle Walter sur l'actualité et la "fascisation" en cours dans la société française.

Les journalistes commentent tout d'abord les événements de la semaine : la vidéo des youtubeurs fascistes Papacito et Code-Reinho appelant au meurtre de "gauchistes", et la gifle reçue par le président Macron de la part d'un jeune homme qui se dit "de droite, voire d'ultradroite" et a poussé un cri royaliste. Dan Israel, journaliste au service économique et social de Mediapart, soupire : "Aujourd'hui, on peut simuler l'exécution d'opposants politiques et présenter ça comme une blague." Il cite l'éditorial d'Edwy Plenel, "La catastrophe en marche", ainsi que le travail de ses collègues Lucie Delaporte sur les deux youtubeurs et Marine Turchi et Matthieu Suc sur le risque terroriste d'extrême-droite. Dans leurs enquêtes, explique-t-il, ils révèlent que les profils qui "inquiètent les services de renseignement" sont semblables à celui du "gifleur" Damien Tarel. Ce qui inquiète Olivier Petitjean, journaliste à Basta ! et coordinateur de L'Observatoire des multinationales, c'est la "complaisance" du "côté institutionnel, comme la police" dans ce moment fascisant. "Il y a une importation claire du modèle américain," explique-t-il en référence à la montée de l'extrême droite trumpiste. Pour Mourad Guichard, journaliste indépendant basé en Centre-Val-de-Loire, la fascisation est bien avancée : "Il y a quelques années, il fallait fouiller dans des librairies spécialisées pour trouver des brûlots d'extrême-droite comme Le Crapouillot." Maintenant, dit-il, le CSA ne peut rien face à Éric Zemmour et à Vincent Bolloré, qui paie les amendes afin de conserver sa vedette d'extrême droite sur CNews. Il mentionne la sortie de Raphaël Enthoven, intellectuel habitué des plateaux TV et qui se veut de gauche, sur Twitter, le 6 juin dernier : "Plutôt Trump que Chavez", avait-il écrit pour annoncer qu'il voterait Marine Le Pen plutôt que Mélenchon. "C'est open bar," dit Mourad Guichard, "il y a une ouverture des vannes."

Sur Mélenchon, justement, Emmanuelle Walter montre un extrait de sa conférence de presse du 7 juin, donnée en réponse à la vidéo du youtubeur Papacito qui menaçait les Insoumis, et alors que Mélenchon avait dû s'expliquer pour des propos jugés complotistes. BFM TV, qui retransmettait en direct le discours de Mélenchon, a décidé de couper court alors que le chef de la France Insoumise montrait les images violentes de Papacito afin de les dénoncer : les présentateurs se sont dits "gênés" devant une "manœuvre politique" pour "détourner l'attention". Dan Israel se demande si BFM TV a choisi de couper la transmission de peur d'une condamnation pour avoir diffusé la vidéo de Papacito. Pour Olivier Petitjean, au contraire, ce qui dérange BFM, c'est que "Mélenchon joue à leur propre jeu" : la chaîne diffuse souvent des images violentes, mais refuse que lui utilise son temps de conférence à l'antenne pour faire de même.

Dan Israel revient ensuite sur un sujet qu'il a couvert depuis 2019 : la victoire des femmes de chambre de l'hôtel Ibis-Batignolles à Paris, qui demandaient de meilleures conditions de travail et ont gagné contre le géant du tourisme Accor après 22 mois de lutte, dont 8 de grève. Cette victoire a été largement médiatisée, selon lui, car elle a su capter l'attention des médias : "C'est un symbole, les salariées en lutte sont 20 femmes, noires, elles ne sont pas toutes françaises, elles parlent avec un accent africain... et elle font plier Accor !" Le temps de lutte - 2 ans - est également exceptionnel. Pour Mourad Guichard, les femmes de chambre de l'hôtel Ibis représentent parfaitement le "lumpenproletariat", d'autant plus que depuis la crise sanitaire, l'importance des personnels jusque là invisibilisés a été revalorisée : du coup, "même Le Figaro a été obligé d'en parler"

Olivier Petitjean présente ensuite le projet de l'Observatoire des Multinationales, Allô Bercy ?, en collaboration avec l'économiste Maxime Combes. Il explique avoir voulu analyser l'utilisation des aides publiques allouées par l’État français pendant la crise du Covid aux grandes entreprises : "Il y avait un risque que cet argent soit détourné pour des entreprises qui n'en avaient pas besoin." Le rapport de l'Observatoire des Multinationales "Allô Bercy ? Pas d'aides publiques aux grandes entreprises sans condition", Combes et Petitjean écrivent que "seulement un petit tiers du CAC 40 a effectivement supprimé ses dividendes, et certains ne les ont réduits que de manière symbolique. Huit firmes du CAC40 ont même augmenté leurs dividendes par rapport à l’année dernière." Selon Olivier Petitjean, ce rapport - qui n'a été médiatisé que modérément, dans des médias plutôt engagés à gauche : Mediapart, Arte... - n'a pas franchi les "barrières" des grosses chaînes de télévision et des médias nationaux à cause d'une stratégie empêchant toute possibilité de contradictoire journalistique. "Les entreprises comme Total, Sanofi, et Bercy [le ministère des Finances, ndlr], ne voulaient pas répondre," dit-il. Il note également qu'en début de pandémie, "le gouvernement français annonçait tout et n'importe quoi, qu'il y aurait des engagements des PDG pour réduire leurs rémunérations, pour le climat" puis qu'une "lutte souterraine s'est jouée" afin que ces mêmes entreprises n'aient pas à prendre leurs responsabilités. "Le gouvernement a choisi de ne pas employer la manière forte," regrette-t-il. Et un an plus tard, ils font "comme si c'était normal", alors que les entreprises du CAC 40 qui ont touché des aides ont maintenu leurs dividendes pour 2020 tout en annonçant, pour certaines, des plans de licenciement. 

Mourad Guichard, journaliste indépendant basé à Orléans, parle ensuite de son quotidien dans le Centre-Val de Loire : il a récemment été à l'origine de deux scoops dans la région. D'abord, fin avril, sur le publireportage financé par la mairie d'Orléans sur Jeanne d'Arc, avec la voix de Charlotte d'Ornellas : c'est Mourad Guichard qui avait indiqué à France 3 Régions, censé le diffuser, que la voix de la journaliste de Valeurs actuelles avait été utilisée. "C'était complètement intenable," se souvient-il. "La chaîne du service public n'est pas un déversoir ! C'était un publireportage pro-armée, pro-Jeanne d'Arc." France 3 l'a déprogrammé et Pascal Praud, sur CNews, a "balancé le nom du journaliste de France 3" qui avait pris cette décision, résume Guichard, ce qui a valu à son confrère des menaces de mort. Loris Guémart revenait sur cette affaire pour ASI le 2 mai dernier. Mourad Guichard a également été à l'origine d'un autre scoop orléanais, en révélant que l'un des adjoints au maire, l'horticulteur Jean-Paul Imbault, n'a jamais reçu la distinction "Meilleur ouvrier de France", comme il le prétendait dans la région et ses médias depuis... 53 ans. 

Un scoop publié dans Mag'Centre, un site d'actualité indépendant auquel participe Guichard. Pauline Bock revenait sur sa révélation dans un article d'ASI le 28 mai, qui détaillait le "rembobinage" effectué par le journal local La République du Centre : tous les articles mentionnant le titre de "Meilleur ouvrier de France" avaient été modifiés sans prévenir le lectorat. 

"Certains médias locaux agissent davantage comme des pouvoirs que comme des contre-pouvoirs," regrette le reporter. "On n'est plus vraiment dans le journalisme." Mais être dans le viseur des pouvoirs locaux ne l'empêche pas de travailler, dit-il : "On croit toujours qu'on reçoit des informations en étant bien avec la mairie, mais en fait, en étant bien avec la mairie, on ne reçoit pas d'informations, on reçoit de la communication." Comme quoi, l'indépendance, c'est plutôt pas mal.

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