Précarité : la presse régionale n’a pas attendu Uber

Loris Guémart - - Silences & censures - Médias traditionnels - Financement des medias - (In)visibilités - 21 commentaires

Pas de carte de presse, pas de contrat, pas de protection sociale

Le journaliste local rencontré par la plupart des interlocuteurs de la presse régionale ne l’est qu’à leurs yeux. Le correspondant local de presse, acronyme CLP, représente en réalité une sous-catégorie de journaliste, sans carte de presse, bureau ou matériel, payé à la tâche pour quelques centaines d’euros par mois. Face à cette réalité, objet d’un silence médiatique absolu, 60 de ces soutiers de l'information se révoltent en Loire-Atlantique.

"Ubérisation." Le terme revient plusieurs fois dans leur bouche, spontanément, au cours de cette enquête pour laquelle Arrêt sur images a échangé avec une vingtaine de ces étudiants, retraités ou actifs, souvent des femmes, dont la plupart ont requis l’anonymat pour ne pas perdre leur travail. Leur nombre est estimé entre 22 000 et 35 000 selon les comptages, à comparer aux 35 000 cartes de presse en France. Eux ne l’ont pas, et ne peuvent l’obtenir sous peine de perdre immédiatement leur travail : bienvenue chez les correspondants locaux de presse, les CLP tels qu’ils sont acronymisés au sein des journaux régionaux dont ils fournissent, selon les titres, de 15 % à 70 % des pages d’actualité. Autrefois dédiés à apporter des informations brutes au journal, ils sont progressivement devenus un véritable lumpenprolétariat du journalisme local, à qui il est désormais demandé un travail journalistique de fond, des articles anglés, mis en forme, et des photos attractives… le tout rémunéré à l’article, pour un tarif dérisoire, décidé par chaque rédaction et sans négociation possible.

Alors, à l’instar de bien d’autres secteurs, l’épidémie de Covid-19 a agi comme un puissant révélateur. Lorsque les journaux régionaux ont réduit leur pagination, confinement oblige, ils ont placé leurs rédactions en chômage partiel, et ramené quasiment à zéro la production d’informations habituellement demandée à leurs centaines de CLP. Contrairement aux pigistes de la presse nationale, considérés comme salariés, soutenus par les syndicats de journalistes et in fine dûment indemnisés, les correspondants locaux n’ont eu que leurs yeux pour pleurer. La plupart d’entre eux ont perdu la quasi-intégralité de leurs revenus pendant plusieurs mois, sans aucun recours. En Loire-Atlantique, un collectif d’une soixantaine de CLP a décidé d’une action sinon inédite, du moins d’une extrême rareté. Il a en effet été collectivement demandé  une indemnisation à la direction de Ouest-France. Confrontés à une fin de non-recevoir, ces prestataires indépendants s’expriment pour exiger publiquement une aide de leur employeur de fait, et une révision de leur statut.

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