Campagne des législatives 2024 : une noyade collective

Pauline Bock - - Déontologie - Sur le gril - 47 commentaires

Tous les samedis (aujourd'hui, exceptionnellement, le vendredi), l'édito médias de Pauline Bock, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !

La campagne électorale qui rend fou. Trois semaines ayant semblé durer trois ans. Une avalanche de contenus médiatiques fracassant avec violence le front républicain pour condamner l'union de la gauche et militer toute honte bue pour amener l'extrême droite au pouvoir - les médias Bolloré en tête, mais pas que, loin de là.

Il en faut beaucoup pour étonner voire choquer un·e journaliste d'Arrêt sur images : nous passons l'année à scruter l'horizon médiatique, débusquer les erreurs dans les articles et entendre les éditos délirants de certain·es sur CNews et consorts. Mais ces trois dernières semaines ont été un maelström ininterrompu de propos irresponsables et haineux, une noyade collective dans les eaux sombres de ce qui ressemble, chaque jour un peu plus, au marasme du discours fasciste. Si l'on pouvait s'attendre à ce que les médias Bolloré penchent pour l'extrême droite, leur façon de se mettre en ordre de marche pour faire campagne pour le RN, tout en appelant à "l'union des droites" (Pascal Praud en tête) et en tapant sur le Nouveau front populaire à peine créé, a surpris par sa férocité. On a observé, impuissant·es, Vincent Bolloré parachuter Cyril Hanouna sur Europe 1 pour une émission de propagande qui ne se cache même plus et n'invite presque que l'extrême droite, au point que l'Arcom a dû réagir, malheureusement bien trop tard et bien trop peu face aux forces déployées.

Mais même au-delà de l'armada bolloréenne, point de salut. Du Figaro à France 2, nombreux ont été les médias à accepter la version dédiabolisée que le RN leur a vendue. Et à tomber dans tous les pièges tendus, quitte à se les tendre eux-mêmes : LCI, en organisant un "face-à-face" entre la France RN et "l'autre" qui n'a servi qu'à laisser libre cours à des paroles horriblement racistes ; France Culture, en invitant en grande pompe un éditorialiste d'extrême droite (Mathieu Bock-Côté) pour... disserter de l'extrême droite ; BFMTV, servant la soupe jusqu'à 7 fois par jour aux journalistes de Valeurs actuelles en plateau ; LCI, encore, laissant Ruth Elkrief s'écrier que l'union de la gauche, "c'est un très grand choc"(mais pas les records du vote RN) ; BFMTV, encore, qualifiant Éric Zemmour de "journaliste avec beaucoup de talent"... Sans compter le fait que la presse locale est plus que jamais menacée par l'extrême droite ; que toutes les télés se sont accordées pour attaquer le programme économique de la gauche (mais jamais de l'extrême droite) ; et que les grands médias ne voient aucun souci sémantique à brandir l'expression "les extrêmes" afin de convaincre que si si, vraiment, la gôôôche, ça fait très peur, plus que l'extrême droite d'ailleurs. Soupir. Immense soupir teinté de colère, de désespoir et d'épuisement.

Au sein de la profession journalistique, comme dans l'ensemble de la société, la panique est encore diffuse, mais palpable. Et si les éditorialistes de plateau s'inquiètent de l'économie sous un gouvernement NFP, à ASI, on s'inquiète davantage du sort déjà réservé à nos collègues, confrères et consœurs : depuis plusieurs semaines, des journalistes sont menacé·es. Karim Rissouli, journaliste à C ce soir sur France 5, a décrit les messages de haine raciste qu'il a reçus, à son domicile personnel. Mohamed Bouhafsi, de C à vous, a renchéri : lui aussi, il en reçoit, "quatre à cinq par jour". Notre collègue Nassira El Moaddem aussi : un courrier raciste a été envoyé jusque chez sa mère.

La situation politique et médiatique française est insoutenable, irrespirable. Une digue s'est écroulée. Il faut la reconstruire. Il faut tenir. Il faut se battre. Ou nous sombrerons tous et toutes.

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