Les chaînes d'info n'ont pas aimé l'union de la gauche
Robin Andraca - - Médias traditionnels - 103 commentairesRuth Elkrief : "Pour moi, c'est un très grand choc"
En annonçant, tard dans la soirée, une alliance en vue des législatives anticipées, les partis de gauche ont bousculé les équilibres politiques, mais aussi les plateaux des chaînes d'info en continu. Comment ont réagi à cette nouvelle les éditorialistes de BFMTV, CNews et LCI ? Assez mal.
Un cri du cœur. Il est 22 h 43 sur LCI quand Éric Brunet, animateur de la tranche du soir, coupe ses invités. "Écoutez, j'ai une information majeure quand même". Quelques secondes plus tôt, les différents leaders des partis de gauche, Marine Tondelier (EELV), Fabien Roussel (PCF), Olivier Faure (PS) et Manuel Bompard (LFI) viennent d'annoncer une alliance en vue des législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet.
Autour du plateau, à ce moment précis : François Kalfon (PS), élu en 13e position sur la liste menée par Raphaël Glucksmann aux élections européennes, et opposant connu à la Nupes. Bastien Lachaud, député LFI jusqu'à la dissolution, Ruth Elkrief, journaliste et éditorialiste sur LCI, Yves Thréard, éditorialiste pour le Figaro. François Patriat, sénateur Renaissance, et enfin Renaud Pila, éditorialiste sur LCI. Les visages sont graves, seul Bastien Lachaud (rang du bas, deuxième en partant de la gauche sur l'image ci-dessous) a le sourire.
"Extrêmement choquant"
Ruth Elkrief semble particulièrement marquée. "Pour moi, c'est un très grand choc, et une extrêmement mauvaise surprise", assène-t-elle, dans une séquence isolée et vue des centaines de milliers de fois sur les réseaux. Elle poursuit : "Parce que malgré les dénégations de Bastien Lachaud, on pourrait faire une longue liste de dérapages antisémites de Jean-Luc Mélenchon, et de certains de ses proches. Donc c'est très choquant qu'un certain nombre de gens chez les socialistes, chez les écologistes, chez les communistes, considèrent que ce n'est pas un problème". "Extrêmement choquant", insiste-t-elle. Ces arguments seront repris sur d'autres plateaux, sur d'autres chaînes, par d'autres personnes.
Sur LCI, tout le monde partage cet avis, hormis bien sûr Bastien Lachaud. Yves Thréard, s'adressant à lui : "Quand, en plus, on vous entend dire qu'en face c'est le camp du racisme, vous devriez quand même faire du ménage… et vous considérer avant. Parce que si ce racisme augmente aussi, vous êtes sans doute responsable de ça aussi". L'insoumis tente de se défendre, arguant du fait que lors de ces élections législatives, "deux camps vont s'opposer. Le camp des racistes, et...". "Le camp des antisémites", complète Ruth Elkrief, dans un large sourire. Bastien Lachaud voulait bien entendu parler du "camp des progressistes".
Même unanimité sur le plateau de CNews, à 22 h 40 lorsque la nouvelle tombe. Autour de l'animateur de l'émission, Julien Pasquet, six personnes, et aucune étiquetée à gauche : Gabrielle Cluzel, rédactrice en cheffe du site d'extrême droite Boulevard Voltaire, Arnaud Benedetti, politologue, invité régulier sur CNews, Alexandre Devecchio, rédacteur en chef au Figaro, Jean-Sébastien Ferjoux, directeur de publication du site Atlantico, et enfin deux journalistes politiques de CNews, Karima Brikh, et Yoann Usai.
"Je tombe de ma chaise"
En maitre de cérémonie, Julien Pasquet donne le ton, sitôt l'annonce faite en direct : "La Nupes n'est pas morte, elle renaît sous un logo que chacun jugera opportun ou pas. «Front Populaire», voilà, on doute de rien du côté de la gauche…" Puis : "On croyait avoir tout vu hier soir, et bien on n'avait pas tout vu ! [...] En deux heures, ils se sont mis tous d'accord. Franchement, je tombe de ma chaise".
Là aussi, l'ensemble du plateau acquiesce et dénonce une alliance contre-nature, reprenant des arguments déjà entendus sur LCI. Yoann Usai, journaliste politique sur CNews, enfonce le clou : "Toute honte bue, Jean-Luc Mélenchon veut être le Premier ministre qui va lutter contre l'antisémitisme. Ça montre à quel point ils n'ont aucun respect pour rien, pour personne. Ils n'ont plus aucune valeur, ils ne sont plus évidemment républicains depuis longtemps, mais ils sont dangereux". Journaliste ou éditorialiste, sur CNews, les frontières sont poreuses.
"un rassemblement avec des antisémites"
Sur la dernière chaîne d'info en continu privée, BFMTV, ces mêmes arguments ont été repris par la journaliste Géraldine Woessner, rédactrice en cheffe au Point. En s'adressant à Ian Brossat, sénateur communiste et conseiller de Paris, elle se déclare, comme Ruth Elkrief avant elle, "assez choquée". "Je suis assez choquée que vous ayez balayé comme ça d'un revers de main ce problème de l'antisémitisme. Oser appeler du nom du Front Populaire de Léon Blum un mouvement, un rassemblement avec des antisémites...". Réponse de Brossat : "Je ne vous permets absolument pas de dire ça madame. Et vous pourriez être condamnée en diffamation pour les propos que vous venez de tenir".
Quelques minutes plus tôt, sur le même plateau, l'argument avait aussi été utilisé par... Julien Odoul, député du Rassemblement national, qui avait eu une "petite pensée pour le grand Léon Blum, qui doit se retourner dans sa tombe...". Commentaire du journaliste Benjamin Duhamel : "Je ne suis pas sûr que le grand Léon Blum que vous citez-là serait heureux d'être cité par un député du Rassemblement national". "Pourquoi ?", demande le député RN. Réponse immédiate de l'animateur : "Léon Blum, premier ministre du Front Populaire du Parti socialiste, repris par un parti qui a en partie été fondé par des membres de la SS, je ne suis pas certain que c'est exactement la revendication qu'il préfèrerait". "Je ne vous laisserai pas insulter mes électeurs", réplique Odoul. "Je n'insulte pas vos électeurs, je rappelle juste l'histoire d'un parti". Un bref rappel factuel bienvenu, dans un océan d'unanimité.