Hanouna part en campagne pour Vincent Bolloré
Pauline Bock - - Coups de com' - Sur le gril - 18 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
En temps normal, passée la mi-juin, dans les médias, les choses se tassent un peu. Les annonces du "mercato" (quelle émission continue ou s'arrête, avec quel·les présentateur·ices) sont lancées, les saisons se terminent, et Touche pas à mon poste ! touche... à sa fin : cette année, le dernier épisode a été diffusé le 13 juin. En temps normal, donc, on respire un peu mieux, l'air de l'actu ayant été temporairement dépollué des habituelles sorties bolloréennes. Mais nous ne sommes pas en temps normal. Pas du tout. Et Vincent Bolloré l'a bien compris : impossible de laisser Cyril Hanouna désœuvré en pleine campagne-éclair des législatives !
Il a donc fait ce que n'importe quel patron-de-presse-qui-n'interfère-jamais-dans-ses-médias ferait : il a dépêché le sieur Hanouna sur Europe 1, virant au passage Sophie Davant de sa tranche horaire. La chose ainsi créée en catastrophe se nomme On marche sur la tête : chaque jour, pendant deux heures, du 17 au 30 juin, Cyril Hanouna "revient sur l'actu politique", "entouré de ses chroniqueurs". Bref, un TPMP version micro, moins clinquant mais tout aussi déplaisant.
Dès la première émission, lundi dernier, Hanouna s'est vengé en balançant à l'antenne les noms des journalistes ayant osé - crime de lèse-majesté suprême - accueillir d'un œil critique le lancement de son nouveau cirque radiophonique. "Je voudrais revenir sur les articles qui sont tombés", dit-il, avant de distribuer les bons et les mauvais points : le journaliste du Parisien a "fait le job" selon lui, contrairement à Télérama, qu'il "ne lit jamais" de toute façon, Libération ou le Monde, dont la journaliste à qui il a laissé "des messages perso" préfère "lui répondre dans ses pages". "Ils se tirent une balle dans le pied tous seuls, estime Hanouna. On a l'impression qu'ils sont dans leur tour d'ivoire, ils ne voient pas ce qu'il se passe."
Hanouna, quant à lui, voit ce qu'il se passe. Il voit la montée en puissance de l'extrême droite, il voit les discours fascistes progresser dans le débat public. Résultat, il invite dans son émission Éric Zemmour, Robert Ménard, Manuel Valls (le 17 juin) ; Nicolas Dupont-Aignan (le 18) ; Alexandre Avril des Amis d'Éric Ciotti et Julien Odoul du RN (le 19), Marion Maréchal-Le Pen (le 20). Bon, et le communiste Léon Deffontaines (le 20), pour équilibrer. LeMonde a élégamment résumé le problème : "L'émission traite les différentes forces politiques en présence de manière délibérément inégalitaire."
Ça, c'est pour la politique, mais même la parole des auditeur·ices penche pour la radicalité droitière. L'un d'eux n'a pas hésité à dire à l'antenne d'une radio nationale que "[s]on grand-père était dans la Waffen-SS". L'auditeur, qui vient de déclarer que "le Rassemblement national doit arrêter de s'excuser, doit assumer ses positions", explique ensuite de façon confuse que son grand-père a été "déporté" puis "naturalisé «Juste» parce qu'il a sauvé énormément de personnes" et qu'il était "malgré-nous". Hanouna et ses chroniqueurs ne rappellent ni les crimes de l'armée nazie, ni la situation des malgré-nous, ces Alsaciens et Mosellans enrôlés de force dans les forces allemandes pendant la Seconde guerre mondiale. L'auditeur tente en fait de prendre pour exemple le parcours de son grand-père - un malgré-nous devenu Juste - afin d'attaquer la gauche, qui devrait "arrêter de se servir de ce prétexte de guerre contre le RN pour une personne". Il fait référence au co-fondateur du FN, Pierre Bousquet, lui aussi Waffen-SS, mais pas du tout malgré-nous - et ça fait une gigantesque différence. Mais personne sur Europe 1 ne relève le confusionnisme d'un tel propos.
À l'inverse, certaines prises de parole d'auditeur·ices ne sont pas encouragées dans l'émission. C'est en tout cas ce qu'affirmait une auditrice passée à l'antenne le 20 juin : "Je m'appelle Imane [...]. Ça fait trois jours que j'essaye de vous joindre, quand je dis que je m'appelle Imane, on ne m'a pas rappelée, quand je dis que je m'appelle Justine, on me rappelle dans la minute." Réponse formelle d'Hanouna : "Non, non, je vous jure, c'est pas ce qu'on dit au standard."
Alors qu'Europe 1 vient de recevoir un rappel à l'ordre de l'Arcom sur le temps d'antenne accordé à la droite, la nouvelle émission de Cyril Hanouna ne risque pas de rééquilibrer la parole politique sur la radio. Et au fond, pourquoi s'en soucier à Europe 1 ? Si sanctions de l'Arcom il y a, payer moult amendes ne sera pas davantage un problème pour Bolloré que ça ne l'est sur CNews, qui les collectionne déjà. Et s'il faut rééquilibrer les invité·es, il reste Hanouna lui-même et ses chroniqueur·euses, dont le temps de parole, lui aussi très à droite, n'est pas décompté. Vincent Bolloré est en campagne : dans ses médias, désormais, la fin justifie les moyens. Moyens qui sont infinis, et contre lesquels il semblerait malheureusement que l'Arcom, dans les prochaines semaines, ne puisse plus rien.