Les plus précaires des journalistes se révoltent
Loris Guémart - - Intox & infaux - Médias traditionnels - Déontologie - 24 commentaires Voir la vidéo
Cette émission est diffusée en direct un mardi sur deux à partir de 17 h 30 sur notre chaîne Twitch.
- 3:21 La révolte des soutiers de la presse locale s'amplifie
Depuis maintenant trois ans, des Correspondants locaux de presse (CLP) se mobilisent à travers un collectif national né d'une révolte locale en Loire-Atlantique de CLP d'Ouest-France. Chargés de collecter et de mettre l'information locale en forme, ils ne sont pourtant pas journalistes, statut obligatoirement salarié, mais prestataires précaires rémunérés (faiblement) à la tâche, pour une rémunération globale horaire brute inférieure à cinq euros – et parfois beaucoup moins.
Cette semaine, on reçoit un CLP du quotidien régional Var-Matin, Marc Volpin, membre du bureau du collectif national et à l'origine d'un mouvement social des correspondants du groupe Nice-Matin (propriété de Xavier Niel) pour obtenir de meilleures conditions de travail, qu'ils ont exposé dans un texte de plusieurs pages : ils doivent être prochainement reçus par le directeur des rédactions Denis Carreaux, qui, joint par Arrêt sur images, a souhaité leur réserver "la primeur de nos réflexions et de nos décisions".
On examine ensuite une avancée significative pour le Collectif national des correspondants locaux de presse, par l'intermédiaire d'un texte cosigné avec trois organisations syndicales de journalistes – le SNJ-CGT, la CFDT-Journalistes et la Filpac – pour demander l'abolition de ce statut créé en 1987 et pourtant si actuel en ces temps d'ubérisation. Un statut qui commence à intéresser de très près l'inspection du travail, qui s'est rendue dans certains bureaux locaux d'Ouest-France, a révélé le média indépendant nantais la Lettre à Lulu. Elle pourrait bien en conclure que les CLP ne sont pas plus indépendants vis-à-vis de la presse locale que les chauffeurs VTC vis-à-vis d'Uber.
- 49:40 Quand l'AFP relaie une fausse nouvelle sur France 24
Début mars, France 24 décrochait après plusieurs mois de négociations l'interview (à distance et par messages audio interposés) du nouvel émir d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abou Obeida Youssef al-Annabi. Un échange inédit et une exclusivité mondiale (pas seulement d'un média occidental comme je l'indiquais de manière erronée dans l'émission). Que la chaîne publique décidait cependant de ne pas diffuser : le journaliste Wassim Nasr, spécialiste reconnu du djihadisme à l'origine de l'entretien, s'est contenté d'en extraire les informations d'intérêt public pour les évoquer à l'antenne – seule une séquence de salutations de quelques dizaines de secondes a été diffusée afin de prouver la réalité de l'interview. Quelle ne fut pas la surprise du journaliste lorsque plusieurs semaines plus tard, dans une dépêche AFP rapportant l'interdiction de diffusion de France 24 annoncée par le pouvoir en place au Burkina Faso, l'agence de presse affirmait que la chaîne avait diffusé l'interview ! Et ce sans avoir essayé de le joindre avant publication, regrette Wassim Nasr auprès d'ASI.
"La mention d'une interview «diffusée», en effet inexacte, a été corrigée rapidement, a commenté l'agence auprès d'ASI. L'AFP a largement cité les explications de France 24 sur sa façon de traiter cet entretien, et nous avons ensuite choisi d'évoquer un «décryptage» de ladite interview par la chaîne." Malgré la correction, la fausse nouvelle s'est rapidement répandue, jusqu'aux organisations de défense des droits humains comme Human rights watch ou Reporters sans frontières – et dans notre newsletterAux petits oignons du vendredi 1er avril. Obligeant le journaliste de France 24 à se mobiliser afin que les médias, notamment français, qui avaient republié la dépêche initiale rectifient l'erreur. Le Monde, en sus de sa correction, a mis en ligne une interview de Wassim Nasr. Quelle était l'origine réelle de cette fausse information ? L'AFP n'a pas voulu l'indiquer à ASI, mais relevons que le communiqué officiel burkinabé annonçant (avant la dépêche) la suspension de diffusion laissait entendre que l'interview avait en effet été diffusée.
- 1:09:05 Naissance d'une Association des journalistes antiracistes et racisé·e·s
Depuis plusieurs mois, des journalistes français racisé·es construisaient patiemment une association. Celle-ci, l'Association des journalistes antiracistes et racisé·e·s (Ajar), a annoncé sa naissance en mars avec une tribune dans Libération. Puis un compte Twitter sur lequel l'Ajar a diffusé des témoignages anonymisés de racisme dans les rédactions, ainsi que des éléments de critique des médias – par exemple concernant le relais de l'expression (raciste) "jeunes de banlieue", issue de la Préfecture de police, à l'antenne de BFMTV. On reçoit l'une des représentantes de l'association, la journaliste de Mediapart Khedidja Zerouali, afin de raconter la genèse de l'Ajar et ses futures actions.
- 1:52:13 Des journalistes français payés par les Émirats Arabes Unis ?
Début avril, une longue enquête du New Yorker sur l'officine "d'influence" suisse Alp services (notamment au service des Émirats Arabes Unis, entre autres contre le Qatar) révélait, comme le notait le journaliste Olivier Tesquet sur Twitter, des documents faisant état de virements de 5 000 euros adressés à deux journalistes français "qui ont attaqué des cibles d'Alp dans leurs articles et éditoriaux", écrit la publication états-unienne : l'ex-journaliste de Valeurs actuelles et présentement chef du service politique d'Europe 1 Louis de Raguenel, ainsi que le correspondant en Suisse du Point Ian Hamel. Les deux hommes ont démenti avoir été rémunérés par Alp auprès du New Yorker.
Un média français a aussi travaillé de fraîche date sur Alp, à travers le prisme des actions d'influence des Émirats Arabes Unis : Mediapart, dans une enquête fouillée passée sous nos radars début mars, révélait également des faits, disons, troublants à propos de certains médias et journalistes francophones. Dans des échanges de courriels, le journaliste Yann Philippin a trouvé la trace d'un article de Valeurs actuelles. "Dès le lendemain de la publication de l'article, les équipes d'Alp revendiquaient la paternité de la publication […] «Excellente nouvelle, nous avons enfin notre gros article en France, qui vient d'être publié dans le magazine Valeurs actuelles. […] C'est dévastateur pour les réseaux des Frères musulmans français et embarrassant pour les autorités, qui ont oublié de se focaliser sur le Conseil des musulmans d'Europe.»" Le directeur adjoint de la rédaction, Tugdual Denis, dément auprès de Mediapart qu'il s'agissait d'un article de commande.
Mediapart dévoile aussi que les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot (bêtes noires du Qatar) soupçonnaient les Émirats Arabes Unis d'avoir financé les traductions en anglais et en arabe de leur livre Qatar Papers via une société-écran, mais n'en avaient jamais parlé avant que Yann Philippin ne les appelle. Les enquêtes de Mediapart et du New Yorker ont eu pour conséquence la plainte en justice de la principale communicante du Qatar en France, Sihem Souid. Ces stratégies vous rappellent celles de l'agence Avisa partners, dont nous vous avons beaucoup parlé l'an dernier ? Vous avez raison, et Mediapart dévoile d'ailleurs qu'Alp avait Avisa (prestataire du Qatar) dans le viseur… mais que la société française est désormais "sur les rangs" pour racheter Alp services. Le milieu de la désinformation professionnelle est décidément tout petit.
- 2:11:45 Les sociétés de trottinettes paient des vidéastes pour influer sur la votation parisienne
L'information a été révélée par notre chroniqueur Vincent Manilève sur Twitter : à l'approche de la votation de la mairie de Paris pour interdire (ou non) les trottinettes en libre-service, des influenceurs et influenceuses ont multiplié sur TikTok les appels à voter pour leur maintien (sans succès). Certain·es indiquaient bien que ces appels parfois déchirants étaient issus de "partenariats rémunérés", mais ce n'était pas le cas de tous, du moins jusqu'à ce que Vincent Manilève en fasse état. Ce qui ajoutait une illégalité à ce qui en semblait une autre, la publicité électorale étant théoriquement interdite en France. Le tout ne manquait pas d'une certaine ironie au moment précis où des agences d'influenceurs et d'influenceuses tentaient de limiter au maximum la régulation publique de leurs pratiques publicitaires souvent délétères, a justement relevé le chef du service "tech" de BFMTV Raphaël Grably.
- 2:26:04 Corriger les fausses infos, c'est très surfait
Une récente étude expérimentale menée par des spécialistes anglo-saxons des médias, résumée par l'un d'eux sur le site web du Nieman Lab, conclut que la correction de fausses informations par les médias qui les ont diffusées a une double conséquence : une meilleure information du public… et une perte de confiance de celui-ci envers le média concerné, ce qui constitue indéniablement une surprise pour les journalistes (l'auteur de ces lignes compris) qui prônent une correction rapide, extensive et transparente des erreurs – qu'on essaie de s'appliquer au quotidien au sein de la rédaction d'ASI.
- 2:43:20 Deux incendies, deux couvertures médiatiques
Un abonné nous a écrit pour pointer la divergence massive d'intérêt des médias, en particulier télévisuels, pour deux faits pourtant d'importance comparable. D'un côté, l'incendie un jour de manifestation de la porte de l'hôtel de ville de Bordeaux, pour lequel étaient soupçonnés des opposants à la réforme des retraites (sauf que ce n'est pas si évident, a pointé Rue89 Bordeaux), a été débattu sur moults plateaux de télévision. De l'autre, l'incendie de l'Office français de la biodiversité à Brest, intervenu dans la foulée d'une manifestation de pêcheurs à proximité du bâtiment : s'il a passionné la presse bretonne et intéressé les journaux nationaux, aucune chaîne d'information en continu n'y a consacré le moindre contenu accessible sur le web. "Il s'agit là d'un cas d'école quant au traitement médiatique de cet incendie (silence radio) à mettre en parallèle avec la dégradation de la porte de la mairie bordelaise (scandale national)", analysait notre abonné à propos de cette indéniable différence de traitement.
- 2:52:38 FAQ : vos questions, nos réponses
On parle notamment de notre volonté de recruter un·e chargé·e de communication et marketing, et on répond à toutes vos questions ou propositions.