Comment enquêter sur le racisme en école de journalisme
La rédaction - - Médias traditionnels - Déontologie - Financement des medias - 3 commentaires Voir la vidéo
Cette émission est diffusée en direct un mardi sur deux à partir de 17 h 30 sur notre chaîne Twitch.
- 2:10 Enquêter sur le racisme en école de journalisme
"Lorsque les étudiantes racisées se plaignent de comportements ou remarques racistes, on convoque l’humour ou bien l’erreur, et on culpabilise les personnes qui osent faire remarquer le problème." Pour le média Guiti News, fondé en 2019 par le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi (actuellement incarcéré en Afghanistan), Margaux Houcine a récolté des témoignages atterrants d'étudiant·es en école de journalisme. Elle nous raconte son enquête dans l'émission. Et on se demande si ces faits n'ont pas des conséquences éditoriales, par exemple lorsque, une fois de plus (a pointé la toute nouvelle Association des journalistes antiracistes et racisé·es), des journalistes se trompent de photo à propos d'une personnalité racisée.
- 34:00 France Inter décrite de l'intérieur par un attaché de production
Il a été "atta pro" de remplacement pour France Inter pendant plusieurs années : "De la définition de la thématique abordée jusqu’à l’accompagnement des invités pour les installer en plateau, ce sont les atta pro qui sont aux manettes", écrit-il. Dans un témoignage à la première personne publié chez Lundi matin, puis chez Acrimed, Maxime Cochelin (joint par ASI, il n'a pas souhaité s'exprimer publiquement) raconte de l'intérieur son expérience. Parcouru par son statut d'étudiant à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), son récit montre bien des travers structurels qu'il qualifie de néolibéraux. Travers aux effets plus puissants que les idées (teintées à gauche) de la majorité des journalistes de la radio. Habitude de piocher des sujets déjà traités par la presse écrite ou les agences de presse, rotation infinie des mêmes toutologues sur les plateaux, dictature de "l'actualité" dans laquelle se "dissout" la ligne éditoriale, expose-t-il tout en constatant que la machine se laisse peu saboter de l'intérieur. Elle sait en effet reléguer les plus contestataires aux émissions moins centrales – ils et elles peuvent alors s'y ménager un espace de liberté sans mettre en danger le fonctionnement de la radio.
- 50:25 En presse locale, les emplois priment-ils sur le climat ?
Titré "Sécheresse : peut-on remplir sa piscine avec de l'eau de pluie ?", l'article publié le 15 mai par le responsable du service web du quotidien régional l'Indépendant du Midi était passé inaperçu. Jusqu'à ce que le 20 mai, un autre journaliste du même service publie un second article, repris du premier… mais avec un angle légèrement plus sensationnaliste, puisque titré "Sécheresse : voici comment remplir sa piscine sans payer d'amende". De quoi entraîner une vive critique de l'association Quota Climat, qui examine le traitement des enjeux climatiques et environnementaux dans les médias. Ce qui n'a pas empêché quelques autres médias de relayer l'article, par exemple CNews et Maison & travaux (avec une "patte" Reworld très reconnaissable).
Pour comprendre les enjeux, on préfèrera ces quelques articles de Reporterre, à propos des piscines ou de la sécheresse dans les Pyrénées… ou de l'Indépendant, qui couvre le sujet de près et a envoyé ses journalistes en Catalogne pour savoir ce qui attend les Pyrénées françaises, met en avant auprès d'ASI le responsable du service web du quotidien régional, Stéphane Sicard – joint après le direct. Il nous a indiqué que le second article, au titre incitatif, n'aurait pas dû être publié, et qu'il a rapidement été remplacé par une redirection vers son propre article publié cinq jours avant (article examiné pendant le direct). Stéphane Sicard estime que ce premier article ne constituait pas un encouragement à remplir sa piscine avec de l'eau de pluie, mais seulement une réponse factuelle à une question des lecteurs et lectrices du journal.
Autre titre de presse régionale, même absence dommageable du contexte environnemental et climatique : pendant trois jours, la Voix du Nord a fait sa Une avec la création d'emplois industriels à Dunkerque (en particulier dans l'enceinte du port et de sa future extension). Mais dans cette multiplicité d'articles, on ne trouve nulle trace d'un examen critique des enjeux environnementaux de ces implantations. Par exemple, l'association locale de défense de l'environnement, Virage énergie, qui lutte pour "une transition vers une société sobre en énergie et en ressources naturelles", assure auprès d'ASI ne pas avoir été contactée par la Voix du Nord et son communiqué de presse, publié lors de la visite de Macron, n'a pas été repris. Pas plus que n'a été relayée une information pourtant connue pendant ces journées, publiée par 20 Minutes et par la radio locale Delta FM : l'avis défavorable de l'Autorité environnementale sur le projet d'extension du port de Dunkerque.
Du côté de la Dépêche du Midi, c'est sa Une sur l'interview par des lecteurs et lectrices du patron du concessionnaire de la future autoroute A69 ("dialoguer, c’est déjà, sans doute, commencer à agir…", concluait l'édito d'accompagnement du directeur de l'information Lionel Laparade) qui a déclenché les critiques, comme celle du fondateur du média indépendant Vert, Loup Espargilière. Ce n'est pas la première fois que la Dépêche récolte des reproches pour ses choix éditoriaux vis-à-vis des enjeux écologiques ! En janvier, une couverture à propos de "la menace écolo"envers les stations de ski avait entraîné le rappel suivant d'un ingénieur prévisionniste de Météo France : "Je crains que la principale «menace» pour l'industrie du ski ne vienne pas des «écolos», mais du réchauffement climatique lié aux activités humaines. Il permet l'émergence d'épisodes de douceur à des niveaux inédits, tel que celui observé ces 4 dernières semaines." Le tout rappelle, aussi, la couverture enthousiaste du secteur aérien par le quotidien toulousain de la famille Baylet, qui lance d'ailleurs une newsletter thématique sur le sujet (on pressent que l'écologie n'y sera pas centrale).
On peut aussi penser à la vision très favorable d'ArcelorMittal proposée dans les pages de la Provence. La presse régionale est-elle seule concernée ? Pas vraiment, comme en témoigne le parrainage tout juste annoncé de la Patrouille de France par Anne-Claire Coudray, présentatrice du 13 h de TF1 le week-end. "Peut-on s'attendre à être informés de manière factuelle et honnête par une représentante d'intérêt, qui n'hésite pas à poser devant un jet à l'heure des polémiques ?, a demandé Quota Climat. Nous en doutons."
- 1:19:28 Médias, milliardaires et transparence
Il a pris soin de répondre aux ragots cannois ayant entouré sa "power list" des gens qui comptent dans le cinéma français, publiée dans Paris Match. Mais Christophe Carrière se montre tout à fait surpris lorsqu'il est appelé par Arrêt sur images : la première question qu'on avait ne portait en effet pas sur les positions respectives des uns et des autres. Mais plutôt sur l'absence de mention, concernant la troisième place de la directrice de StudioCanal Anna Marsh, pour rappeler qu'elle est salariée d'une filiale de Vivendi. Comme le sont les journalistes de Paris Match. "Je ne me suis pas du tout posé la question ! Si vous croyez que les banquiers, décideurs et assureurs qui m'ont parlé se posent la question… ça n'a eu aucune espèce d'incidence, la position d'Anna Marsh dans le classement n'a d'ailleurs pas été débattue en interne, on a fait remonter deux autres noms, explique le journaliste. Canal+ finance 80 % du cinéma français, on devrait préciser que pour tel ou tel film il y a Bolloré derrière ? […] On sait à qui appartiennent les médias, c'est comme ça depuis la nuit des temps, et ça n'a aucune incidence dans le classement : je l'ai fait à l'Express
, vous imaginez que j'avais des coups de fil de Drahi ?" Les hiérarques de Canal+ et Vivendi ont en tout cas exprimé toute leur satisfaction en partageant le classement sur Twitter, et un autre média filiale de Vivendi (Europe 1) a été le seul à juger important de relayer le classement.
Autre média, autre politique éditoriale, même résultat en aval : le patron de la communication de LVMH a récemment partagé un article des Échos (propriété de LVMH) sur le "luxe discret", avec des citations d'Antoine Arnault (fils de Bernard) au titre de deux des marques de luxe de LVMH évoquées dans l'article. En avril, c'était Alexandre Arnault (fils de Bernard) qui avait les honneurs de la rubricarde "luxe" du quotidien économique à travers une couverture plus que flatteuse du joaillier Tiffany's (racheté par LVMH). Dans ces trois articles, il est néanmoins précisé que LVMH possède aussi les Échos, comme le veut la charte éthique du quotidien, mise en place justement lors de son rachat par Bernard Arnault en 2010. Une charte à laquelle il est néanmoins parfois fait brèche, par exemple lorsqu'au printemps 2022, le supplément week-end du quotidien avait été fort flatteur envers le fonds d'investissement Tikehau capital (sans préciser que la holding d'Arnault était un des ses premiers soutiens), après l'avoir également été peu avant avec le directeur artistique des collections femme de Louis Vuitton (sans préciser que LVMH était propriétaire de Vuitton et des Échos), révélait alors la Lettre A – la rédaction était alors montée au créneau via sa Société des journalistes.
- 1:40:10 La renouée du Japon, menace sous les radars des journalistes (parisiens)
Le quotidien britannique The Guardian, sous la plume du journaliste Samanth Subramanian, vient de publier un long reportage dédié à la renouée du Japon, plante considérée comme une espèce invasive en Occident où elle fut importée il y a deux siècles. Au Royaume-Uni, sa propagation (par des rhizomes dont le moindre éclat peut prendre racine ailleurs) a atteint de telles proportions que sa présence fait chuter la valeur de l'immobilier. En France, pour l'instant, le sujet semble avoir échappé aux médias parisiens... mais certainement pas à la presse locale, qui multiplie depuis plusieurs années les articles à propos de la renouée du Japon –, la presse agricole s'y intéresse aussi. Des articles cependant trop souvent restreints à une situation donnée : un média, local ou national, s'emparera-t-il du sujet pour lui accorder l'importance éditoriale qu'il semble mériter au vu de la situation outre-Manche ?
- 2:01:20 HelloFresh : les liens affiliés plus efficaces que les sponsos ?
La semaine dernière, notre chroniqueur Vincent Manilève a signalé sur Twitter que la société de kits de repas allemande HelloFresh avait sponsorisé une vidéo du vidéaste Léo Grasset, son premier partenariat depuis qu'il avait fait l'objet de deux enquêtes de Mediapartportant sur son comportement avec les femmes (il avait répondu à la première). Dans la foulée, HelloFresh a annoncé à BFMTV la fin de ce partenariat rémunéré.
Répondant à Vincent Manilève, la journaliste et vidéaste Marine Périn signale par ailleurs, en s'appuyant sur une enquête du site belge Tchak, que la société allemande ne respecte pas vraiment son propre message promotionnel écolo. Sollicitée il y a quelques mois pour un partenariat, elle avait donc refusé. Bien d'autres vidéastes ne se sont pas posés la question… tandis que beaucoup d'autres encore mettent en avant des vidéos "non sponsorisées". Mais gagnent de l'argent grâce à des liens affiliés présents dans la description de leurs vidéos, très largement favorables aux kits de repas HelloFresh (et c'est sans doute une coïncidence si les seules vidéos moins favorables de notre recension ne proposent pas de liens affiliés). Le tout rappelant l'affaire Displate, lorsque des illustrateurs et illustratrices avaient reproché à des vidéastes d'accepter des publicités de la plateforme d'illustrations (alors souvent d'origine douteuse) sur plaque métallique.
- 2:12:55 "Le poulpe" attaqué par un industriel de la dépollution
Site d'enquêtes locales en Normandie, le Poulpe avait révélé, début 2022, la dépollution incomplète de l'ex-raffinerie rouennaise Petroplus – l'enquête en trois volets avait entraîné l'annulation de l'implantation d'un entrepôt Amazon. Près d'un an plus tard, le journal révèle que l'industriel mis en cause, Valgo, a utilisé le tribunal de commerce pour faire la chasse aux sources du Poulpe (en envoyant des huissiers chez un de ses concurrents soupçonné d'avoir alimenté les journalistes). L'article est republié chez Mediapart, partenaire du média local. En début de semaine, les deux cofondateurs du Poulpe, Manuel Sanson et Gilles Triolier, ont lancé un appel aux dons en dévoilant que leur média et Mediapart, font l'objet d'une plainte en diffamation de Valgo pour cet article sur la chasse aux sources. On reçoit Manuel Sanson pour en discuter.
- 2:41:30 FAQ : l'enquête "Diplo" a désormais son médiateur
Je prends quelques minutes pour revenir sur la publication du médiateur, signé Maurice Midena, concernant ma propre enquête sur le Monde diplomatique.