Soutiens de Depardieu : des trous dans la tête

Loris Guémart - - Intox & infaux - Scandales à retardement - Sur le gril - 63 commentaires

Tous les samedis, l'édito médias d'Arrêt sur images, cette semaine signé Loris Guémart, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !

Ils et elles ont des trous dans la tête, mais pas pour les mêmes raisons qu'Orelsan. À moins d'envisager que ces 55 personnalités aient décidé de signer une tribune en soutien à Gérard Depardieu après une gueule de bois monumentale – tout étant possible en cette fin d'année 2023, n'éliminons pas totalement l'hypothèse. Après une quinzaine de témoignages et d'accusations circonstanciées d'agressions sexuelles. Après trois plaintes, pour "agression sexuelle" et "viol". Après des propos sexualisants à l'égard d'une fillette nord-coréenne, une accusation mensongère de manipulation lancée par la galaxie des médias Bolloré parvenue en quelques jours dans la bouche d'un président de la République désespérant de faire oublier sa loi immigration scélérate et indigne – ayant obligé une émission de service public, pour la première fois de mémoire de journaliste d'Arrêt sur images, à faire regarder ses rushs par un commissaire de justice

Après, après, après... ces 55 acteurs, actrices, réalisateurs, réalisatrices, producteurs, productrices ont tout de même jugé utile de cosigner une tribune mettant une majuscule à Justice. Toute honte bue. "Lorsqu'on s'en prend ainsi à Gérard Depardieu, c'est l'art que l'on attaque", lance ce texte d'une rare indigence (ils ont oublié la majuscule à Art, quitte à faire dans le grandiloquent). Les cosignataires ne se contentent pas, comme d'autres, de rejeter l'idée qu'une chaîne de télévision puisse hésiter avant de repasser ses films, de la "pause" de France 2 au retrait des films où il tient le rôle principal par la RTBF. "Nous souhaitons, pour le bien du cinéma et du théâtre, le voir prêter son âme, son physique et sa voix unique aux œuvres qui l'attendent encore", écrivent plutôt les cosignataires de la tribune sans un mot pour toutes celles qui ont eu le courage de prendre la parole. Nous verrons combien joindront l'acte à la parole en tournant à ses côtés, en produisant ou en réalisant ses futures apparitions. 

Si on imagine bien pourquoi le Figaro s'est empressé de se positionner pour publier un 25 décembre cette tribune-Grinch de Noël, pourquoi signer ce texte ? Éliminons le quarteron de proches de Gérard Depardieu de notre réflexion, et réfléchissons aux autres. "Ami de Michel Fau et de Jean-Marie Besset, deux personnalités du théâtre français, Yannis Ezziadi vient en réalité de réaliser l’une des plus formidables opérations de séduction de la sphère réactionnaire au sein du monde de la culture, un bastion traditionnellement à gauche", écrit le Monde décrivant comment ce proche de Sarah Knafo, la compagne d'Éric Zemmour, est parvenu à convaincre tout ce beau monde. Parfois en laissant, d'ailleurs, d'autres porter ce texte à la signature de proche en proche. 

Protéger Depardieu au nom de l'art ? "Je ne suis pas d'accord avec ça. Moi, je m'en fous que ce soit un monstre sacré, s'est ému Yvan Attal sur BFMTV, critiquant le texte tout en confirmant sa signature, au fond. Mais il a le droit de ne pas être lynché publiquement depuis des mois. Et c'est justement parce qu'il y a une instruction qu'il faut laisser la justice parler." Revenons à la chute de la tribune, qui semble avoir emporté le principal de l'adhésion d'Attal (au-delà du non-dit de l'interview, son mépris des actrices) : "Le reste, tout le reste, concerne la Justice ; que la Justice. Exclusivement." La fameuse Justice, à laquelle il faudrait "exclusivement" se référer. Voilà qui nous ramène au champ journalistique. Que méconnaissent visiblement beaucoup trop des cosignataires de ce texte – quelques recherches leur auraient pourtant permis, grâce au travail des médias, de comprendre qui était à l'origine de la tribune et pourquoi elle allait être publiée dans le Figaro.

"Laissons faire la justice et n'en parlons surtout pas d'ici là", ont toujours entendu, en tout lieu et en toute heure (insérer ici toutes les variations possibles de type "ce n'est pas officiel"), les journalistes pratiquant leur métier autrement qu'en recopiant des communiqués de presse. Oui, des condamnations ou des non-lieux mériteront relais. Non, les journalistes n'ont certainement pas à attendre un quitus, d'où qu'il vienne, avant de publier des articles ou de diffuser des émissions portant sur des sujets qu'ils et elles jugent d'intérêt public. Fabrice Arfi aurait-il dû attendre un jugement pour évoquer l'affaire Sarkozy-Kadhafi avant de publier ? Celle-ci n'aurait peut-être jamais abouti à un procès, les œuvres journalistiques et judiciaires s'étant mutuellement nourries au fil des ans. Martin Boudot, Stéphane Horel et Emilie Grosso auraient-ils dû attendre des enquêtes épidémiologiques pour dénoncer les risques sanitaires des "polluants éternels" que sont les PFAS ? Lesdites enquêtes épidémiologiques n'auraient probablement jamais été lancées. CQFD.

Alors, s'il me reste un dernier conseil de fin d'année à donner à d'éventuels soutiens égarés envers Gérard Depardieu, assoiffés de Justice avec un grand J, ce serait, peut-être, de lire quelques-uns des nombreux contenus gratuits d'ASI, et pourquoi pas de s'abonner. Qui sait, ils pourraient en tirer quelques enseignements afin de s'épargner de défendre le Monstre sacré du cinéma un jour de Noël.


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