"Front républicain" anti-LFI : la nouvelle croisade de CNews

Sherlock Com' - - Médias traditionnels - Plateau télé - 144 commentaires

Y a-t-il encore des électeurs de La France insoumise parmi les abonnés d'ASI ? Si c'est le cas, sachez que vous êtes "tristes", "méchants", "pas ouverts d'esprit", "mal habillés" et surtout "très proches de l'idéologie nazie". Depuis une dizaine de jours, les éditorialistes de CNews multiplient les attaques contre LFI dans la perspective d'une éventuelle dissolution. Un feu nourri qui s'appuie, entre autres, sur un sondage tombé du ciel pour Bolloré et ses amis : une "majorité de Français" serait favorable à un nouveau front républicain contre LFI. Une majorité de Français qui regarde trop CNews ?

On n'était pas vraiment préparé à ça. Vendredi matin, alors que les éditorialistes de CNews étaient tranquillement en train de commenter le feuilleton de la semaine (dissolution ou pas dissolution ?), les chars allemands ont déboulé sur le plateau de Pascal Praud. C'est l'éditorialiste Rachel Kahn qui a sonné l'alerte : "Il y a des radicaux, des gens très proches de l'idéologie nazie, les islamistes, les séparatistes, les communautaristes (..) qui seront cet après-midi en réunion avec le président de la République."

"C'est-à-dire ?", relance Pascal Praud, qui ne comprend pas. "C'est-à-dire les gens qui se sont mis dans la Nupes, tous ces gens-là ont été mis en complicité avec une idéologie qui ne sert pas les Français et qui les met en danger par ailleurs." Hein ? Pas de nouvelle relance en plateau, le propos est confus, mais dans le doute, comme elle a dit "nazi, islamistes et nupes", le community manager de CNews balance l'extrait sur X :

Pour celles et ceux qui connaissent un peu Rachel Kahn, cette éditorialiste plus à l'aise à l'écrit qu'à l'oral (surtout quand elle plagie), le propos vise La France insoumise. Une semaine plus tôt, sur la même chaîne, elle avait davantage développé sa pensée : "LFI est un danger pour la France et pour notre République. C'est un parti qui est pro-Hamas, qui est dans la propagande et le porte-parolat des terroristes (...) qui met des cibles dans le dos des citoyens, notamment des Français juifs, (...) qui est dans le racisme, le communautarisme, l'entrisme, qui est contre la police, (...), contre les institutions et contre l'autorité et qui est pour la violence". C'est tout ? "Son seul programme [est] le chaos et la fracture, LFI est contre notre devise républicaine : violation de la laïcité, violation de l'égalité, de la liberté, de la fraternité encore plus". Des propos tenus le 3 octobre, à l'heure du déjeuner, pendant un débat intitulé "Le front anti-LFI plus fort que le front anti-RN".

Ce jour-là, la première chaîne d'info de France tourne en boucle sur un sondage paru sur le site du Figaro la veille au soir et indiquant que "58% des Français" estiment qu'un "front républicain contre la France insoumise serait une bonne chose" alors qu'ils ne sont que 46% à estimer que ce serait "une bonne chose" contre le RN. En clair, le fameux front républicain vise désormais LFI et non plus le RN.

Autant dire que ces chiffres ont libéré les éditorialistes de la chaîne, qui n'avaient pourtant pas besoin de ça pour se déchaîner contre LFI. Exemple ? Pour Yoann Usaï, "cela signifie que les Français ouvrent progressivement les yeux. (...) Ils disent majoritairement qu'ils ne veulent pas à la tête du pays un parti antisémite, un parti allié avec les islamistes, un parti immigrationniste qui prône le grand remplacement."

Le même jour, le "publicitaire" Frank Tapiro déclare que LFI est "une secte avec un fonctionnement totalement sectaire"(sic). "La honte de la gauche aujourd'hui, c'est Mélenchon et la secte LFiste, insiste Tapiro. Ce n'est qu'un début, ce n'est qu'un sondage, mais il faut que ça se concrétise maintenant encore plus dans l'opinion populaire par des votes. Et dès les prochaines municipales, j'espère que LFI sera sortie de là où il est."

"On connaît tous très bien le projet de la France insoumise", ajoute une autre éditorialiste, Madi Seydi. C'est de faire le chaos, c'est de diviser, c'est d'aller chercher toutes ces personnes qui détestent la France et de pouvoir faire un projet avec eux et faire éclater la France." 

Conclusion tout en nuances de Yoann Usaï : "Je considère que Jean-Luc Mélenchon est la plus grande menace politique qu'ait connu notre pays depuis la seconde guerre mondiale." Tout simplement.

Mélenchon, ce "danger"

Si CNews est à la tête de cette croisade contre LFI, les autres chaînes d'info, certes moins obnubilées par Mélenchon, ne font pas forcément plus d'effort quand elles évoquent les Insoumis. Rien que cette semaine, sur LCI, l'insubmersible Nicolas Domenach, relayant le sondage du Figaro, a tenu à rappeler que "la violence, l'intimidation, la pression, c'est un système de la secte Mélenchon".

Tout ça encore sur la base du sondage du Figaro, dont la méthodologie est d'ailleurs critiquée par LFI, puisqu'il inclut également les électeurs RN (qui pèsent 30% aujourd'hui contre environ 10-15% pour LFI). Toujours est-il que le résultat est là, sur les chaînes d'info : en 2025, le "danger" n'est plus Le Pen mais Mélenchon. Quel retournement ! Imaginez un instant le choc pour un électeur-marmotte qui se serait réveillé en 2025 après trois-quatre ans d'hibernation. 

Mais comment en est-on arrivé là ? Sur ASI, on a amplement documenté cette dégringolade médiatique de LFI. La grande glissade a commencé bien avant le 7 octobre. En mai 2022 par exemple, au moment de la création de la NUPES, une partie de la presse présentait déjà Mélenchon comme un "autre Le Pen".

Puis il y a eu les accusations d'antisémitisme, une fois les législatives de 2022 passées…

Des accusations qui ont redoublé après le 7 octobre comme l'a expliqué  Elodie Safaris dans son bilan de l'année 2024.

Et ça ne s'est pas vraiment calmé en 2025. Un sujet "inflammable" qui a aussi enflammé nos plateaux et nos forums en mars, en avril et en mai.

Dans cette longue dégringolade entraînant la disqualification de LFI, un livre a accéléré la descente : La Meute. Un objet médiatique pas toujours évident à appréhender pour un média de gauche. Mais dont la promo hors normes, sans aucune réserve, étonnait un journaliste politique qui témoignait sous couvert d'anonymat : "Ils ont été reçus partout sans contradiction réelle et avec très peu ou pas de fact-checking, je trouve ça hallucinant".

Le front républicain anti-LFI, c'est l'aboutissement de tout ce processus. Déjà utilisé à plusieurs reprises (en avril 2023, Raffarin parlait déjà d'un "front républicain anti-Nupes"), l'argument est revenu par la voix du sénateur LR, Roger Karoutchi, sans doute inquiet d'une probable dissolution.  Le 30 septembre dernier, en simultané sur Europe 1 et sur CNews (les médias Bolloré font bien les choses), il a déclaré "espérer un front républicain contre LFI aux prochaines élections".

Des déclarations identiques à Raffarin deux ans plus tôt, sauf que cette fois-ci, Le Figaro va saisir l'occasion pour commander le fameux sondage à Odoxa. Oui, la chronologie est implacable : le 30 septembre, Karoutchi fait cette annonce, et les 1er et 2 octobre, Odoxa sonde 1005 Français sur internet (mais dans le strict respect des quotas évidemment). Et voilà comment CNews a pu mouliner pendant toute une journée sur ce nouveau front républicain en reprenant un outil utilisé historiquement pour faire barrage à l'extrême droite. Un vrai tour de force qui récompense les efforts de la chaîne depuis des années.

Dézinguer LFI, mode d'emploi

Sur CNews, le travail de sape contre LFI est quotidien. Avec toujours la même méthode : la moindre info sur les Insoumis est scrutée et transformée en débat national. Exemple ? Le 4 octobre, CNews a une info de dingue : un ciné-débat est organisé à Mitry-Mory, une immense mégalopole de 20 000 habitants située en Seine-et-Marne. Le thème ? "Le voile, on va arrêter de se laisser faire".

Pour CNews, en 2025, il est inconcevable que des députés LFI défendent la liberté pour une femme de porter le voile. Résultat, à l'antenne, c'est la fête à LFI. Pour Gilles-William Goldnadel, "c'est bien parce que [le voile] n'est pas de culture française que LFI le défend. Tout ce qui est de culture française, tout ce qui est français, tout ce qui est blanc est détestable pour LFI. Donc ils sont dans une logique impeccable."

Autre exemple ? Le 1er octobre, la Voix du Nordpublie le témoignage d'un élu LFI, un certain Cédric Brun. Celui-ci vient de démissionner du conseil régional sous prétexte que le parti aurait des accointances avec les Frères musulmans. LFI et islamisme ? Le cocktail rêvé pour les éditorialistes de CNews qui relient quelques jours plus tard ce désistement d'un élu local au sondage du Figaro. "Aujourd'hui, je ne connais pas un compatriote juif en France qui n'est pas prêt à voter pour le Rassemblement national afin de faire barrage à la France insoumise, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, Jean-Luc Mélenchon fait aussi peur que Jean-Marie Le Pen il y a plus de trente ans", explique par exemple Amine Elbahi - "juriste". "Le départ de M. Brun en est la preuve. Les dégoûtés s'en vont, il ne reste plus que les dégoûtants", déclare un autre.

Face à un député macroniste, le journaliste de la matinale, Romain Desarbres, ose même cette question : "Un élu LFI des Hauts de France a quitté son groupe au conseil régional estimant que son groupe était infiltré par les Frères musulmans, ce qui est extrêmement grave. Est-ce qu'il faut aller jusqu'à la dissolution de la France insoumise ?" Réponse du député : "La question est sur la table" (et sur le bandeau).

Sur cette affaire, on n'en saura pas plus. Il faudra s'en tenir au témoignage de Cédric Brun, sans mention du démenti de ses anciens collègues qui dénoncent "des déclarations totalement inexactes, diffamatoires et délirantes". Mais peu importe le démenti, l'essentiel, c'est l'attaque.

Sur CNews, pour compléter les affaires montées en épingle, les éditorialistes citent régulièrement des livres censés être accablants contre LFI. Sans la moindre distance critique sur le contenu de ces ouvrages, tant que ceux-ci font le lien entre LFI, l'antisémitisme et l'islamisme.

ASI prépare d'ailleurs deux contenus sur Les nouveaux antisémites (oh la la, mais quel teasing !!). Bref, se saisir de la moindre occasion pour discréditer LFI, c'est un vrai savoir-faire. Et pour ça, la mécanique télévisuelle est implacable, CNews n'essayant même pas de faire semblant de proposer un débat pseudo-contradictoire. Comme ce soir du 1er octobre où ils vont être six à prendre la parole pour dézinguer le parti fondé par Jean-Luc Mélenchon. Six personnes, et une seule idée partagée par tous : LFI "est un danger". C'est même "le premier danger pour la France".

Un débat auquel participe la députée RN, Laure Lavalette, qui n'est pas venue pour débattre avec un contradicteur ou être interviewée. Non, elle se fond dans le paysage, c'est une éditorialiste comme une autre.

Etre entouré d'autant d'amis, ça met forcément à l'aise. Voici ce qu'elle dit à propos des responsables de LFI : "Ces gens-là n'aiment pas la France, ils n'aiment pas nos institutions, ils n'aiment pas Noël, ils n'aiment pas les sapins de Noël, ils n'aiment pas les barbecues, ils n'aiment pas Miss France, ils n'aiment pas le Tour de France, ils n'aiment pas Sardou, ils n'aiment pas ce que nous sommes."

"Triste vie", glisse Gauthier Le Bret qui remet une pièce dans la machine. "Vous savez quoi, je les trouve tristes. C'est très intéressant ce que vous dites Gauthier", reprend Lavalette. S'ensuivent des échanges invraisemblables sur l'antenne de "la première chaîne d'info de France" : "Ah le militant d'extrême gauche, je le trouve généralement très triste. Ils n'ont pas d'humour. Ils ne sont pas ouverts d'esprit", explique Gauthier Le Bret, qui a totalement oublié qu'il était censé animer un débat. "Et ils sont méchants, pardon", s'insurge Yoann Usaï. "Ils sont mal habillés", rigole Judith Waintraub. Difficile de lui donner tort : "De temps en temps, on a un peu envie de les rhabiller, de les doucher", poursuit Lavalette.

"Blague à part, l'intolérance d'extrême gauche, c'est quelque chose", se reprend Le Bret. "C'est le principe de la secte, conclut Judith Waintraub. La secte n'argumente pas, la secte n'essaie pas de convaincre, elle vous intègre ou elle vous désintègre." Un peu comme CNews qui a définitivement décidé de désintégrer LFI en exploitant cette idée d'un nouveau Front républicain, le tout dans une relative indifférence. Vertigineux.

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