Plagiats de Rachel Khan : malaise à "Radio Classique"
Maurice Midena - - Scandales à retardement - 40 commentairesL'essayiste et éditorialiste Rachel Khan a tenu, de février à mai 2023, une chronique quotidienne sur l'écologie dans la matinale économique de "Radio classique". La station y a mis fin après avoir découvert que plusieurs de ces chroniques résultaient de plagiats d'articles de presse, des copiés-collés de passages entiers d'autres productions. Auprès d'Arrêt sur images, Rachel Khan plaide le manque d'encadrement sur sa chronique, et estime payer les frais d'une défiance entre la rédaction et la direction.
Recycler des chroniques, est-ce un geste qui sauvera la planète ? La question peut se poser quand on écoute par exemple la chronique du 24 avril 2023 de l'éditorialiste Rachel Khan sur Radio classique. Aux alentours de 6 h 54, François Geffrier, l'animateur, la lance : "Est-il préférable de prendre une douche ou un bain ?". Réponse de Khan : "Oui c'est un thème cher à Guillaume Durand [directeur de l'information de Radio classique à l'époque, ndlr], qui m'en parle régulièrement, car selon lui, le monde se divise en deux catégories : ceux qui prennent un bain, et ceux qui préfèrent la douche. En somme, les décontractés toujours relax contre les dynamiques dans l’action." Un peu plus loin, Khan reprend : "Mais si on est véritablement écolo pur et dur, on préfèrera la troisième voie, c'est-à-dire la toilette de chat, la toilette au lavabo avec un gant. Douches et bains exigent toujours beaucoup d'eau, bon alors c'est sûr que la douche a un net avantage niveau consommation, puisque c'est environ 60 litres d'eau pour cinq minutes, contre 120 à 200 litres pour le bain."
Deux passages qui ressemblent énormément à... une autre chronique : celle d'Aline Perraudin, sur RTL, le 16 décembre 2021, soit près d'un an et demi avant Rachel Khan. Voici comment commence la chronique de Perraudin : "Si j'étais la Clint Eastwood des salles de bains, je pourrais vous dire : «Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui prennent un bain... et ceux qui préfèrent la douche.» Les décontractés toujours relax contre les dynamiques toujours dans l’action. Deux philosophies... Pourtant, les deux ont leurs avantages et leurs inconvénients. Sur le plan écologique, la douche semble gagner haut la main. Mais si on est un écolo pur et dur, on préfèrera la troisième voie : celle de la toilette au lavabo avec un gant, évidemment plus économe en eau. Car douches et bains exigent beaucoup d'eau avec quand même un net avantage pour la douche qui consomme environ 60 litres d'eau si on n’y reste que cinq minutes, contre 150 à 200 litres pour le bain." Mis à part quelques passages "originaux" et un changement de structure, la majeure partie de la chronique de Khan est un copié-collé de celle de Perraudin.
Le Monde, l'AFP, Wikipedia et... Enedis
Ce cas de plagiat n'est pas le seul qu'ASI a pu constater de la part de celle qui, en deux ans, est devenue une figure médiatique majeure de "l'universalisme" : nous brossions en 2021, le portrait de ce personnage hybride, ancienne athlète de haut niveau, conseillère politique, responsable d'une association, autrice et scénariste, devenue la coqueluche des médias, de LCI au Figaro. Problème, toutes les chroniques de Rachel Khan ont disparu du site de Radio classique. Nous en avons tout de même retrouvé certaines grâce au site Web Archive.
Sur les seuls mois d'avril et mai 2023, ASI a pu réécouter 28 chroniques : 16 comportent des emprunts manifestes d'autres travaux, avec des passages entiers reproduits mots pour mots. Le tout, sans jamais citer les sources originales. Cela peut être donc une autre chronique, comme celle de RTL ; mais aussi un article du Monde, sur les super coraux de la mer Rouge (chronique du 7 avril) ; de l'Humanité sur la viticulture du futur (chronique du 31 mars) ; de la fiche Wikipedia sur la diplomatie du Panda (chronique du 19 avril) ; ou de dépêches AFP reprises par d'autres médias, comme celle-ci sur la fin du nucléaire allemand, qui représente la quasi-totalité de sa chronique du 14 avril.
Plus cocasse encore, Rachel Khan s'appuie même, pour une chronique du 17 mai, sur un post de blog d'une entreprise qui commercialise des cartes cadeaux pour des produits écologiques et solidaires. Des plagiats qui atteignent sans doute leur paroxysme dans sa chronique du 21 avril : les deux premières minutes (sur 2 minutes 30) de sa chronique sur les jeux vidéo, correspondent quasiment mot pour mot à un article publié dans les Echos... qui est en fait un article sponsorisé par Enedis.
"Je me retrouve à prendre une balle perdue"
C'est pour cette raison que, selon nos informations, la chronique de Rachel Khan s'est arrêtée le 26 mai dernier. Quelques jours plus tôt, un journaliste de la rédaction de Radio classique s'est en effet rendu compte des nombreux copiés-collés commis par l'éditorialiste en effectuant une simple recherche Google sur l'un des sujets traités par Rachel Khan dans la matinale. Il l'a signalé à la direction de la rédaction, qui a mis fin dans la foulée à la chronique.
Rachel Khan s'est entretenue avec nous lundi 30 octobre, par téléphone. Elle a, dans un premier temps, cru à une vengeance contre le magazine Franc-tireur : "Il y a un malentendu. Je sens que je me retrouve dans quelque chose qui me dépasse, et je me retrouve à prendre une balle perdue." L'essayiste fait ici référence à un article de Tristane Banon du 18 octobre, dans la revue Franc-tireur donc– avec qui Khan collabore régulièrement, jusqu'à se présenter comme responsable culture du magazine sur son compte Linkedin. Dans son article du 18 octobre, Banon fait un portait vitriolé du fondateur de notre site et co-actionnaire, Daniel Schneidermann, qui lui a répondu sur son blog. Outre le fait que nous enquêtons depuis début octobre sur le sujet, avant donc la publication de l'article de Tristane Banon, ASI ne nourrit aucune vendetta personnelle contre Rachel Khan ou contre les médias auxquels elle collabore.
L'éditorialiste a-t-elle été informée des raisons de la fin de sa chronique ? Difficile à dire. Rachel Khan assure ne pas avoir été évincée, mais être partie d'elle-même. Elle estime également que nos accusations de plagiat sont "graves" et que cela "n'a rien à voir avec ce qu'il s'est passé". Elle affirme que son travail paye les pots cassés et un problème de communication avec la direction de l'antenne : "Au départ, je devais faire une chronique sur l'art et l'écologie, puis on m'a dit de faire une revue de presse." D'art, pourtant, il n'en a jamais été vraiment question : quand Radio classique annonce l'arrivée de Rachel Khan dans sa matinale économique le 26 janvier, la radio parle d'une "chronique qui traitera de l’urgence environnementale sous l’angle du développement durable" : "Être responsable aujourd’hui et pour demain, expliquait alors Rachel Khan, implique un changement de modèle qui organise les interactions positives entre l’économique, le social, l’environnemental, sans oublier le culturel."
Gros malaise en interne
Pour ce qui est de la revue de presse, nous faisons remarquer à Rachel Khan qu'il est étrange d'en faire une sans donner la source des articles cités, tout en en lisant des passages entiers. L'éditorialiste plaide le manque d'accompagnement : "Moi, j’ai envoyé mes textes àmahiérarchie. Je ne savais pas comment il fallait faire, c’est un exercice que je n’avais jamais fait. J’avais demandé à être accompagnée. Et si j’avais su qu’il ne fallait pas que je fasse ça, je ne l’aurais pas fait comme ça." Elle ajoute : "Si j'avais vraiment plagié, pourquoi auraient-ils continué à m'inviter ?", notamment dans l'émission de débat Esprits libres. L'éditorialiste pense également faire les frais d'une défiance entre la direction de la station et la rédaction. Selon nos informations, la rédaction a en effet peu goûté la nomination de Rachel Khan à la tête de cette chronique, auparavant tenue par le journaliste Baptiste Gaborit.
Une rumeur court dans les bureaux : Rachel Khan aurait été choisie par la direction du groupe Les Echos-Le Parisien, auquel appartient Radio classique. Elle assure d'ailleurs que le poste de chroniqueuse lui a été proposé par Pierre Louette, PDG du groupe : "Ça ne se passait pas bien avec la rédaction, il y avait une défiance de la part des journalistes et dans ce contexte, je ne parlais plus qu'à Pierre Louette". Son de cloche différent de la part d'un journaliste de la station auprès d'ASI : "Il n'y a pas eu de règlement de compte. Elle ne nous a pas fait de mal, et nous non plus. Elle a juste fait une connerie." Ce même journaliste relève que, bien avant le plagiat, les chroniques de Rachel Khan faisaient tiquer la rédaction : "C’était mal écrit et très lu, plusieurs personnes de la rédaction se sont demandé si elle ne découvrait pas son texte." Le malaise est en tout cas palpable dans la station : ni Pierre Louette, ni Hervé Gattegno, directeur de la rédaction, ni Sophie Paolini, rédactrice en chef, ni Remi Vallez, rédacteur en chef adjoint, n'ont donné suite à nos nombreuses sollicitations.
Invitée à relire ses citations, Rachel Khan semble se convaincre que cet article n'a pour but que de la disqualifier, dans le cadre d'une guéguerre supposée entre ASI et Franc-tireur. "Pour le reste, je ne vais pas commenter quelque chose qui n'existe pas". Ses nombreux emprunts et copiés-collés d'autres sources sont pourtant bien réels. "J'aime beaucoup ma station, mais je pense que c'est important que ça sorte", conclut un journaliste de Radio classique. Station visiblement lassée des errements déontologiques des uns, et de recrutement des autres.