Nupes et RN : applaudir ensemble ?

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 375 commentaires

Ils sont là. Indiscutablement, affreusement légitimes, avec leurs cravates et leurs tailleurs. Mais ils sont là, les députés RN. Les chaînes d'info poursuivent dans les couloirs de l'Assemblée l'un d'entre eux, qui a évoqué, à propos des "Uber files", "l'homo-érotisme" d'Emmanuel Macron. La séquence sera bonne. Il est vrai que le niveau du susdit n'est pas plus élevé, dont la réaction aux révélations, reprenant une formule prêtée au regretté Jacques Chirac, est "ça m'en touche une sans faire bouger l'autre" (à noter que la formule n'a jamais été proférée en public par Chirac. Au contraire, dès que s'allumait une caméra, il redevenait automatiquement Chirac Langue de Bois. On ne badinait pas, à l'époque, avec la frontière langage public / langage privé. Pitié, ne me demandez pas si c'était mieux).

Bref, ils sont là. À gauche, depuis l'installation de l'Assemblée, on a dénoncé avec raison les accommodements de la macronie avec le RN, les applaudissements au doyen nostalgique de l'OAS, les deux postes de vice-présidents décrochés avec le soutien de la majorité, les "on ira chercher leurs voix", les "avancer ensemble". Et puis voici, ce matin, cette image : la Nupes et le RN applaudissant ensemble leurs victoires dans un projet de loi visant à prolonger certaines dispositions contre l'épidémie de Covid-19 (les oppositions ont exempté de pass vaccinal les mineurs de 12 à 18 ans, et supprimé l'obligation du pass pour les déplacements entre l'hexagone et l'outre-mer, et l'hexagone et l'étranger). Debout ensemble. Célébrant ensemble leur première victoire, prenant en tenaille une majorité relative atterrée. 

Pour décrocher cette victoire, les députés des oppositions ont dû se précipiter dans l'hémicycle à chaque vote, au préjudice par exemple de la discussion, en commission des finances, du projet de loi sur le pouvoir d'achat. En toile de fond de cette mobilisation, LA question dont LFI, étrangement, a décidé de faire son premier grand combat parlementaire : la réintégration des personnels de santé qui ont choisi de ne pas se faire vacciner. Sur ce plan aussi une victoire se profile. Le ministre de la Santé François Braun, qui avait initialement refusé cette réintégration, va aller consulter la Haute autorité de santé, le comité national d'éthique, et les syndicats.

J'entends bien la légitimité de la satisfaction des élus de gauche, devant un Parlement qui retrouve enfin son rôle. Je ne prétends pas détenir une solution au problème inédit que posent ces convergences ponctuelles (faire des "tours d'applaudissements", pour ne pas applaudir ensemble ?) J'entends bien que la gauche n'a rien négocié avec les infréquentables, n'a pas sollicité leurs voix. Je pose seulement à ces nouveaux députés Nupes, dont j'ai suivi les belles campagnes, une question sans réponse : vous êtes-vous vus, joignant vos applaudissements à ceux des cravates et des tailleurs de l'autre extrémité ? Au fond de vous mêmes, à cet instant-là, qu'avez-vous pensé ?

Sauf imprévus, cette chronique s'interrompt pour quelques semaines. Prenez soin de vous.

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