RN : rediabolisation express

Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Le matinaute - 165 commentaires

"Je suis un homme qui a vu son âme à jamais meurtrie…" Étreint par l'émotion, José Gonzalez s'interrompt. "Excusez-moi, je pense à mes amis que j'ai laissés là-bas…" Là-bas : en Algérie, où est né le doyen d'âge de la nouvelle Assemblée, et qu'il a dû quitter en 1962, alors âgé de 20 ans. Larges applaudissements. 


À l'écran, on ne discerne pas qui applaudit le discours inaugural du doyen RN de l'Assemblée. Mais au volume sonore, il est évident que ce ne sont pas seulement les bancs lepénistes. La droite, et les macronistes, applaudissent ensemble au récit émouvant d'un pied noir. Cette émotion, à l'évocation du temps béni des colonies, est à leurs yeux légitime. C'est une honorable émotion dans laquelle on peut honorablement communier. On ne saurait mieux qualifier une chambre coloniale. 

Un peu plus tard, dans les couloirs, interrogé sur les crimes de l'OAS, l'organisation terroriste qui a tenté d'empêcher l'indépendance de l'Algérie, le doyen refuse de répondre. "Je ne suis pas là pour juger si l'OAS a commis des crimes. Je ne sais pas ce que c'est l'OAS. Ou presque pas." Lui qui a adhéré en 1978 au FN de Jean-Marie Le Pen justement sur la question algérienne, "ne sait pas" ce qu'est l'OAS.

"Vous êtes plusieurs, à avoir été un peu choqués par son discours" fait remarquer à Sandrine Rousseau, députée Nupes, une journaliste de LCP. "Pas un peu choqués, reprend Rousseau. Très choqués." Et une autre journaliste de LCP, face à la présidente du groupe LFI Mathilde Panot qui a qualifié le discours de Gonzalez de "révisionniste" : "Révisionnisme, carrément ? Vous employez le mot ?" Ayons une pensée pour les confrères et consœurs de La Chaîne Parlementaire. Ils ne vont pas avoir la partie facile.

Si les journalistes de LCP ne savent pas s'ils doivent  être un peu, moyennement, ou très choqués par l'ambiance néo-coloniale de cette nouvelle Assemblée, le plateau de BFM, plus tard dans la soirée, est à l'évidence maxi-choqué par le jeune député insoumis Louis Boyard, qui a refusé de serrer la main de plusieurs de ses collègues RN. Et c'est Sandrine Rousseau, encore elle, qui doit en répondre. Benjamin Duhamel : "Vous pensez que c'est efficace, de refuser de serrer la main ? On ne peut pas passer sa journée à parler de la radicalisation des uns et des autres, de la difficulté de se parler, et refuser de serrer la main. Vous comprenez au moins que ça puisse interpeller, quoi qu'on pense de la nécessité de lutter contre le RN ?" Bruno Jeudy : "Qu'est ce qu'il faut faire, Madame Rousseau ? Interdire le RN" ?" Ah oui. Ce refus de poignée de main est à l'évidence liberticide. Emmanuelle Souffi, du JDD : "Mais est-ce que ce n'est pas une forme de mépris pour cet électorat-là, qui peut être très populaire ? Ce n'est pas leur cracher au visage ?" Maxime Switek, l'animateur : "Mais Marine Le Pen, vous lui serrez la main ou pas ?" "Non. Il faut rediaboliser le RN, répond Rousseau. On a vu ce que ça donnait aux États-Unis, comme ça leur permettait d'accéder au pouvoir, et d'entamer les droits humains." Et de prendre l'exemple de l'avortement. C'était bien la peine de mettre des cravates, et de faire l'effort de parler correctement aux huissiers.




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