Aude Lancelin : "A L'Obs comme au gouvernement, il y a eu une purge"

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L'ex-directrice adjointe sur son licenciement, les intellos, les actionnaires, le PS, etc


C'est l'histoire d'un licenciement brutal, sauvage, dans un magazine français jusqu'alors civilisé et confortable, qui ne nous avait pas habitué à une telle brutalité. Aude Lancelin était directrice adjointe de la rédaction de L'Obs, jusqu'au printemps dernier où elle a été licenciée dans des conditions largement relayées par @si (ici ou encore ). Est-ce qu'il s'agit d'un banal conflit du travail ou d'un épisode très révélateur de la décadence d'une presse française aux mains des milliardaires et de la dissolution des valeurs de la gauche ?

Résumé de l'émission, par Juliette Gramaglia

[Acte 1]Le Monde libre. C'est le titre du livre d'Aude Lancelin, qui raconte son éviction brutale en mai 2016 de la direction de L'Obs. Un titre plein de symboles : le "Monde Libre", c'est le nom de la Holding de Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse (qui détiennent L'Obs, mais aussi Le Monde, Télérama...). Mais c'était, rappelle Lancelin, l'expression donnée pendant la Guerre froide au monde qui avait échappé à l'emprise soviétique. Un monde dans lequel une certaine gauche semble encore vivre, dans un "entre-soi" qu'elle protège farouchement, à coup "d'opérations de maccarthysme au sein des rédactions".

Qui a tué Aude Lancelin ? Car elle a beaucoup d'ennemis. Bernard-Henri Lévy, par exemple. Les rapports étaient tendus avec lui, depuis l'affaire "Botul", quand Lancelin, en 2010, l'avait épinglé pour avoir cité dans un de ses livres un philosophe qui n'existe pas (Jean-Baptiste Botul). Il y a pourtant un intérêt médiatique à interviewer BHL, malgré sa "pratique de la connivence continuelle", soutient Lancelin. Qui ajoute : "On finira par regretter BHL quand il n'y aura plus que des [Eric] Zemmour et des [Philippe] De Villiers à la télévision".

[Acte 2] Parmi ses ennemis, citons également Alain Finkielkraut. Un homme "révélateur d'un déplacement de la deuxième gauche sur les question identitaires" pour Lancelin. Il y a une corruption du milieu dans lequel baigne L'Obs par des voies mondaines, flatterie et dîners. Critiquer Finkielkraut, c'est du coup s'exposer à des ennuis : menaces de blâme, recherches de fautes professionnelles. Ces intellectuels sont-ils les coupables du "meurtre" de Lancelin ? "Non, ils ont joué un rôle d'ambianceur", répond elle.

Le coupable pourrait-il être Matthieu Croissandeau, le directeur de L'Obs ? "C'est un système des tabassages actionnariaux, des coups de pression, des exigences, qui finissent par produire quelqu'un capable de faire ça", explique Lancelin. "Ça" : Croissandeau l'avait engagée pour ouvrir la ligne éditoriale de l'hebdomadaire à toutes les gauches, et pourtant c'est précisément pour cette raison qu'elle a été renvoyée. Le mobile de Croissandeau ? Au cours des semaines précédant son licenciement, des rumeurs avaient couru sur une connivence entre Pigasse et Lancelin pour qu'elle remplace Croissandeau à la direction de L'Obs. Une "calomnie", réagit Lancelin.

[Acte 3] Un autre acteur important du "drame Lancelin", c'est le mouvement Nuit Debout, né au printemps dernier et abondamment traité sur @si. Frédéric Lordon, dont Lancelin est la compagne, y a joué un rôle important. Et Lancelin se retrouve alors en porte-à-faux. L'histoire est suivie a minima, se souvient-elle. Elle ne peut pas voir les articles avant parution. Et les réflexes misogynes ne manquent pas : "A quel homme irait-on reprocher les opinions de sa compagne ?", se désole Lancelin face à ce qu'elle analyse comme un "réflexe clanique". Le "clan", c'est celui créé par la charte, que doit signer tout journaliste à L'Obs, et qui exige qu'on adhère à la social-démocratie. "Commercialement, il est absolument suicidaire de se verrouiller sur la ligne hollando-vallsienne", assure Lancelin.

Mais revenons à la recherche du coupable : et si c'était Claude Perdriel, le co-fondateur de L'Obs ? Perdriel a explicitement reproché par SMS à Lancelin sa vie privée, et ses opinions. Non, retorque Lancelin : Perdriel n'a pas le pouvoir de licencier. "Il a le pouvoir de parler aux oreilles du seul vrai décideur à L'Obs, Xavier Niel".

Avant d'arriver à Niel, arrêtons-nous un instant sur les hauts dirigeants (ou ex-dirigeants) des hebdomadaires parisiens : Laurent Joffrin, Franz-Olivier Giesbert ou encore Jean-François Kahn (qui passent Noël ensemble). Ces trois hommes, qui dirigent pourtant des hebdomadaires d'orientations politiques différentes, n'ont que des querelles apparentes, explique Lancelin. "Ils se séparent au moment d'entrer dans les kiosques", mais la "gauche morale" incarnée par Joffrin et la "pensée unique" de Giesbert sont main dans la main.

[Acte 4] Alors si c'était Niel, le coupable ? Lancelin a rencontré un journaliste d'investigation, qui lui a révélé le fin mot de l'histoire. "Il s'est passé une connexion qui n'aurait pas dû avoir lieu entre l'Elysée et l'actionnariat", explique-t-elle. Lancelin évoque à demi-mots des rendez-vous pendant lesquels "l'Elysée" se serait plaint de la direction prise par le journal.

Hollande a-t-il demandé la tête de Lancelin ? Niel a-t-il prévenu Hollande qu'elle allait tomber ? Car les deux avaient des mobiles. Dans le cas de Niel, le lien est indirect, mais il existe : car en plus de Lordon, l'autre figure de Nuit Debout c'est François Ruffin, auteur du film Merci Patron! (et invité d'@si) qui ridiculise Bernard Arnault. Bernard Arnault, dont la fille Delphine Arnault... est la compagne de Niel.

La question est bien plus grave, pour Lancelin : "Que des actionnaires géants des télécoms tels que Patrick Drahi ou Xavier Niel puissent investir dans la presse, au point de posséder la plus grande holding de presse française, c'est un séisme démocratique". Pourquoi investissent-ils dans la presse, alors même que depuis des années, le secteur peine à être rentable ? Pour Lancelin, "ces gens ont des intérêts vitaux à acquérir des moyens d'influence, des moyens de respectabilisation".

Qui sont les commanditaires, finalement ? Lancelin ne veut pas donner de réponse, pour ne pas "spoiler" les lecteurs. Une chose mérite tout de même d'être dite sur cette histoire : "Il n'y a que des hommes dans cette affaire. […] Il y a quelque chose de l'ordre de la chasse aux sorcières".

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