Obs : de quoi Aude Lancelin est-elle le nom ?

Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Le matinaute - 90 commentaires

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Ça ne rigole plus. Plus du tout. S'il fallait une preuve de la crispation du socialisme institutionnel, c'est le sort réservé à la directrice adjointe de la rédaction de L'Obs, Aude Lancelin. Voici quelques jours, elle a été, non seulement débarquée de son poste de directrice adjointe par le directeur Mathieu Croissandeau, mais menacée de licenciement (l'entretien préalable prévu par la loi doit se tenir ce vendredi). A la suite de quoi, la rédaction de L'Obs a voté à 80% une motion de défiance contre Croissandeau, et demande explicitement l'interruption de la procédure de licenciement.

Cette brutalité n'est pas dans les habitudes de l'hebdomadaire, grand dispensateur de placards dorés pour journalistes tombés en disgrâce. Est-ce son rachat récent, par le trio Bergé-Niel-Pigasse, qui a changé ces habitudes ? Ou bien cette brutalité signifie-t-elle que l'affaire Lancelin a touché un nerf, et alors lequel ?

On serait tenté de n'y voir qu'une révolution de palais, dans un ancien media dont la révolution numérique a racorni l'influence, si ce n'était la personnalité de la licenciée potentielle. Lancelin, nous avons fait sa connaissance ici en 2010 : c'est elle qui a démasqué l'erreur de BHL, citant dans un livre un philosophe imaginaire, Jean-Baptiste Botul, qui n'était que le fruit d'un canular. Pour le reste, elle animait ces dernières années avec Alain Badiou, philosophe marxiste-léniniste, une émission sur Mediapart. A son poste de L'Obs, elle s'est opposée (sans succès) à la publication d'une tribune de Manuel Valls sur la déchéance de nationalité. Que l'on ajoute qu'elle est, à la ville, la compagne de Frédéric Lordon, un des inspirateurs de Nuit debout depuis près de deux mois, et on aura compris que son (possible) licenciement ne peut pas être seulement une révolution de palais. D'une manière ou d'une autre, elle paie ses convictions.

Or voilà. Les journalistes de L'Obs ne sont pas exactement libres de penser ce qu'ils veulent.Libéassure que le fondateur de L'Obs, Claude Perdriel, aurait accusé Lancelin de contrevenir à la charte du journal. Car oui, je le découvre ce matin, il existe une charte, que signent, parait-il, les journalistes de L'Obs à leur embauche. Et cette charte stipule (c'est même sa première phrase) que "le Nouvel Observateur est un hebdomadaire culturel et politique dont l’orientation s’inscrit dans la mouvance sociale-démocrate". Si vous pensez en dehors des clous, ne frappez pas à la porte de L'Obs.

C'est une relative surprise. On croyait que ce système fonctionnait davantage sur le principe du "cause toujours", que sur celui du "ferme ta gueule". C'était une erreur. Il subsiste quelques îlots de "ferme ta gueule". Et ces îlots, en ces temps troublés, sont défendus avec une vigilance redoublée par leurs généraux, même si les fantassins s'insurgent. Qu'on se le dise : les incendiaires de voitures de police n'auront pas de défenseurs plus ou moins masqués dans les pages Débat de L'Obs. Entre les deux gauches, celle qui invente son futur à tâtons sur les places françaises, et celle qui commande les porteurs de matraques, il n'y a plus de dialogue possible. Pas à L'Obs, en tous cas.

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