TVA : l'amendement pour la presse en ligne adopté par les députés
La rédaction - - 36 commentairesProchaines étapes : le Sénat et le Conseil constitutionnel
Surprise ! Au terme de trois quarts d’heure de débat, l’Assemblée nationale a adopté ce matin l’amendement déposé lundi et porté par le socialiste Christian Paul qui permet de faire bénéficier rétroactivement de la TVA réduite la presse en ligne – dont Mediapart, le groupe Indigo et @rrêt sur images. Mercredi encore, après le retrait d'amendements similaires déposés initialement par Les Républicains, les chances d'une adoption restaient minces. Prochaines étapes : le Sénat. Et sans doute le Conseil constitutionnel.
11 pour et 10 contre : résultat ric-rac mais les députés ont adopté aujourd’hui l’amendement au projet de loi de finances rectificatif de 2015 porté par le socialiste Christian Paul qui vise à ne pas réclamer les sommes exigées aux sites de presse en ligne – dont Mediapart, le groupe Indigo et @si – qui avaient appliqué le taux super réduit de 2,1% dont bénéficie la presse. Un autre amendement soutenu par la députée EELV Eva Sas était également discuté mais la députée l’a finalement retiré au profit de Christian Paul.
Cet amendement – s’il est voté dans les mêmes termes par le Sénat – permet de repousser la date harmonisant les taux de TVA au 12 juin 2009 au lieu du 1er février 2014. Comme nous l’expliquions ici, en 2008, la loi française accordait à la presse écrite ce taux réduit tandis que la réglementation européenne estimait que les "services en ligne" relevaient du taux maximal – soit 19,6% en France à l'époque. Nous considérant comme un site de presse, nous avions donc appliqué le taux réduit. Un choix reconnu par l’Assemblée nationale qui a voté à l’unanimité en février 2014 l’harmonisation des taux quel que soit le support de presse.
Pour autant, l’administration fiscale nous réclame des arriérés de 2008 à 2014. L’amendement restreint cette demande d’arriérés aux années 2007, 2008 et la moitié de 2009. Donc, contrairement à ce qu'écrit la dépêche AFP – reprise sur tous les sites de presse, dont Le Point ou 20 Minutes – l'amendement ne concerne pas la période de 2008 à début 2014 mais seulement celle de juin 2009 à 2014. De même, on ne peut parler d'amnistie comme le fait (encore) l'AFP puisque nos sites n'ont pas commis de délit comme nous l'expliquions ici.
"la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme"
L’amendement était soutenu par la rapporteuse générale de la Commission des finances Valérie Rabault (PS) mais combattu par le président de la dite Commission Gilles Carrez (Les Républicains) ainsi que par le ministre du budget Christian Eckert. Au cœur du débat qui a duré trois quarts d’heure : la constitutionnalité de cet amendement. Sans préjuger de la décision du Conseil constitutionnel, Rabault rappelle une décision de 1998 qui précise que "si le législateur a la faculté d’adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu’en considérant un motif d’intérêt général suffisant". En l’espèce, l’intérêt général est-il suffisant ? La rapporteuse générale fait alors référence à l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme qui stipule que "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux".
Un argument réfuté par Carrez, qui considère l’amendement "totalement inconstitutionnel". Selon lui, "il comporte un aspect d’amnistie fiscale déplaisant car on est face à certains contribuables qui de leur propre chef ont décidé d’administrer eux-mêmes leur propre taux de TVA". Même tonalité pour Eckert qui estime qu’on contrarie le principe d’égalité devant l’impôt. En clair, deux points de vue s’affrontent : les pro-amendement considèrent que les sites de presse en ligne étaient de fait inégaux face à l’impôt durant toute la période 2009-2014 – une inégalité qui doit être réparée – quand les anti-amendement se disent davantage attentifs à la rupture d’égalité entre les sites qui se sont acquittés de la TVA réduite et ceux qui ont payé plein-pot.
"ici on est tous des hommes libres"
Suite à l’exposé de ces questions de constitutionnalité, de nombreux députés ont souhaité prendre la parole. Sans surprise, dans la foulée de leur président de groupe Christian Jacob qui avait estimé voici quelques jours que cet amendement était "un scandale", les députés Les Républicains ont fustigé l’amendement. Parmi eux, Bernard Debré le trouve "moralement incroyable" car les deux "organismes" (sic) concernés (Mediapart et @si) "ont triché". Accepter un tel amendement serait "une servilité vis-à-vis de ces deux organismes que le parlement ne peut pas se permettre". Un argument repris… par le socialiste François Pupponi, l’un des plus virulents de l’hémicycle.
Le député estime que ce contribuable (visiblement Mediapart) "profite de sa situation de pouvoir, le pouvoir médiatique, le pouvoir de la presse, pour essayer de faire pression sur le parlement pour l’exonérer des redressements fiscaux qui lui sont notifiés par l’administration. Nous ne pouvons pas accepter que quiconque, au sein de cet hémicycle, puisse faire pression pour avoir un avantage indu". Qui plus est des journalistes, ajoute Pupponi, "qui sont là régulièrement en train de nous interroger de discuter, de faire des articles sur nous. Et nous allons les favoriser ?" Réplique du socialiste Pascal Cherki quelques minutes plus tard : "ici on est tous des hommes libres, cher collègue, personne ne subit de pression […] Moi je n’ai pas de contentieux personnel avec Mediapart et je ne suis pas leur représentant dans l’hémicycle."
Mediapart : Pupponi "rattrapé par les affaires"
Pas de condamnation mais une multiplication "d’affaires" et de mauvaises fréquentations. C’est ce qui ressort du portrait (à charge) de François Pupponi publié par Ellen Salvi et Karl Laske dans Mediapart en juillet 2013. On y découvre un député maire "récemment perquisitionné" et "visé par plusieurs enquêtes", notamment en lien avec le cercle Wagram ou "le grand banditisme corse".
Mais ce qui intéressait le plus Mediapart était la proximité de Pupponi avec DSK : "François Pupponi fréquentait régulièrement aux frais de la SEM [société dont le capital est majoritairement public] plusieurs établissements apparus dans l’enquête du Carlton, et semble-t-il, prisés par l’ancien patron du FMI". En conclusion de ce portrait, Mediapart rappelait toutefois que la Justice, elle, n'avait relevé aucun élément contre Pupponi (et l'affaire est restée en état depuis 2013), c’était surtout les fréquentations du socialiste que Mediapart fustigeait : "Les voyous ne portent pas d’étiquettes, et c’est tout le problème de François Pupponi."
L'adoption de cet amendement n'est cependant qu'une étape, dans ce feuilleton qui n'est pas terminé. Pour que son adoption devienne définitive, l'amendement devra encore être voté dans les mêmes termes par le Sénat et, en cas de rejet, par une commission mixte paritaire. Nul doute que le gouvernement s'y opposera encore vigoureusement, comme il l'avait déjà fait au Sénat, voici quelques jours, pour un amendement similaire (Mediapartcroit même savoir que le Premier ministre Manuel Valls s'est impliqué personnellement dans l'affaire). Restera (enfin) à passer l'obstacle du Conseil constitutionnel, qui devra donner son interprétation de l'intérêt général, et de l'égalité devant l'impôt.
Par Anne-Sophie Jacques et Vincent Coquaz