Soutenez-nous ! La caillasse, les pâtes et les patates
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 140 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
"Voilà, je viens de "lâcher la caillasse" comme disait Didier Porte. Mon addiction à Arrêt sur Images
va entraîner mes enfants à manger des pâtes et des patates pour une durée indéterminée et les femmes à se détourner de mon aspect misérable". Un message parmi d'autres, sur le site de crowdfunding Ulule. Un message rigolo, optimiste, exprimant la ferme résolution de ne pas laisser notre site disparaitre, à l'image de tant d'autres messages. Le message d'un nouvel abonné-crowdfunder, un parmi les 1535 qui sont accourus pour nous soutenir, dès la première journée de la collecte, faisant de cette première journée, déjà, un immense, un réconfortant, un enthousiasmant succès. Plus de 75 000 euros, à l'heure matinale où j'écris ces lignes. En y ajoutant une estimation des dons défiscalisables recueillis sur la plateforme J'aime l'info, nous avons vraisemblablement dépassé la barre des 100 000 euros. Nous savions bien pouvoir compter sur vous, mais pas aussi vite !
Cet enthousiasme de la Toile, il faut bien le reconnaître, contraste avec, disons, la réserve de la presse traditionnelle, qui ne s'est pas précipitée pour soutenir les deux sites, Mediapart et nous, mis en danger par ces aberrantes poursuites fiscales. Mais on ne va pas grincher. Je ne ferai pas semblant d'être surpris. On s'y attendait un peu.
Dans ce grand élan, cependant, quelques voix discordantes se font entendre. Minoritaires, ultra-minoritaires, mais il faut tout de même les écouter. En gros, ces voix discordantes estiment qu'en nous auto-appliquant le taux de TVA super-réduit dès 2008, nous nous sommes d'emblée placés dans l'illégalité. Aucun contribuable ne peut choisir son taux d'imposition, insistent ces voix discordantes. Nous ne pourrions donc, concluent ces voix, nous en prendre qu'à nous mêmes.
Alors, chères voix discordantes, écoutez bien ceci. Replacez-vous sept ans en arrière, en 2008. En 2008, quand nous décidons de nous appliquer le taux de 2,1%, nous ne nous situons pas dans l'illégalité. A l'époque, deux textes sont en confrontation. La loi française, qui accorde à la presse écrite le taux super-réduit de 2,1%. Et une réglementation européenne, qui estime que les "services en ligne" relèvent du taux maximal. L'anomalie que nous représentons alors, pure players d'information, n'existait pas lors de l'adoption de cette réglementation. Services en ligne ? avez-vous dit. Nous en connaissons tous, des services en ligne. Par exemple, Amazon est un service en ligne -par ailleurs champion de l'évasion fiscale, mais c'est un autre sujet. Donc, après (brève) réflexion, considérant que notre travail, notre rôle, nous rapprochent davantage du Monde que d'Amazon, nous nous appliquons le même taux que celui de nos confrères, en espérant bien, le cas échéant, créer la jurisprudence. Aussi simple que ça.
C'est ce que nous tentons, en vain, d'expliquer au fisc depuis de longues années. C'est ce que nous allons tenter, maintenant, d'expliquer aux juges et aux Sages de tous poils. Un peu pour la gloire, puisque le législateur nous a finalement donné raison en 2014 (et que l'UE elle-même envisage de modifier sa réglementation). Un peu aussi pour prévenir toute tentation de retour en arrière : le pire n'est jamais certain, mais le contraire non plus. Et si nous ne sommes pas paranos, nous ne sommes pas naïfs pour autant. Nous savons bien que la tentation peut toujours exister, ici ou là, de museler par l'argent une presse indépendante incontrôlable. Un peu enfin pour le plaisir innovant, si nous triomphons finalement, de rembourser nos nouveaux abonnés de soutien du crowdfunding, puisque, je le rappelle, si on gagne, on vous rembourse.
Pâtes aux patates, recette indicative
Actualisation 11 h: retrait de l'allusion à l'absence de compteur sur J'aime l'info, le développement ayant été fait pendant la nuit.