"JDD" : l'extrême droite remporte une bataille
Pauline Bock - - Déontologie - Financement des medias - Sur le gril - 15 commentaires...dans sa guerre contre la liberté de la presse
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Cette semaine, la presse française a perdu le JDD indépendant. Le 1er août, "jour du saigneur" comme l'a titréLibération, Geoffroy Lejeune a pris ses fonctions de fossoyeur au Journal du Dimanche, dans une rédaction presque vide, condamnée à choisir entre rester sous les ordres de celui qui ne peut pas promettre que le futur journal ne sera ni raciste, ni sexiste, ni homophobe, ou partir.
Ils ne sont pas nombreux, mais certains journalistes ont salué l'arrivée de Lejeune au JDD (il faut ici entendre "journaliste" comme "personne travaillant pour un média lui permettant l'octroi de la carte de presse", et non nécessairement "professionnel respectant la charte de Munich"). Parmi eux, Amaury Bucco, qui couvre actuellement les sujets police-justice à CNews, journaliste qui ne vérifie pas toujours ses sources comme nous vous le racontions en 2021, et personne très objective concernant Geoffroy Lejeune, puisqu'il n'a passé que trois ans sous ses ordres à Valeurs actuelles, de 2019 à 2022, et concernant Bolloré, son patron à CNews. Amaury Bucco, donc, considère que la mort du JDD ancienne version n'est pas "une affaire d'indépendance des rédactions, comme le prétend la gauche", mais une simple "bataille culturelle entre la droite et la gauche". Il salue le fait qu'"avec le JDD, la gauche a perdu une bataille (ou plutôt la droite en a gagné une, ce qui est insupportable à la gauche)". Il tempère : "Mais la gauche possède toujours des pans entiers de l'espace médiatique, et n'est donc nullement menacée. L'espace médiatique se rééquilibre légèrement."
Le JDD aurait donc été "de gauche" ? Voilà qui pourrait faire sourire bien des confrères et consoeurs, y compris parmi les ancien·nes du journal : dans une touchante lettre"au JDD qu'elle a aimé", la journaliste Anne-Laure Barret, désormais à Libération, admettait qu'"il est évident que le JDD s'est droitisé en vieillissant", tout en rendant hommage à "l'îlot démocratique" qu'était la rédaction pré-Lejeune, "une communauté utopique en mode coalition à l'allemande, chose rare au pays de la presse d'opinion, en compagnie de collègues, de droite ou de gauche, avec lesquels ils ne sont pas d'accord". Arrêt sur images a rarement été tendre avec le JDD, qualifié de "chambre d'écho des puissants", des puissants rarement de gauche, et encore récemment épinglé pour avoir relayé la défense de l'ex-président condamné en appel, Nicolas Sarkozy (une grande figure de "gauche", c'est bien connu).
Mais peu importe que l'on pense ou non que le JDD, journal d'opinion, s'est "droitisé avec le temps". Ses journalistes travaillaient sous une direction dont ils considéraient qu'elle garantissait leur indépendance juridique et éditoriale, et dont les valeurs n'étaient pas, à leurs yeux, "en totale contradiction" avec celle du journal. C'est cela, l'indépendance éditoriale, et les défenseurs de Lejeune savent parfaitement le comprendre lorsqu'ils le souhaitent : lors du licenciement de Geoffroy Lejeune de Valeurs actuelles il y a quelques mois, Charlotte d'Ornellas, ancienne collègue de Bucco à Valeurs, expliquait avec émotion sur le plateau de CNews qu'elle "ne pourrait pas rester dans ce journal, c'est impossible". Devinez où elle travaillera à la rentrée.
Si "bataille culturelle" il y a, c'est celle, justement, de l'indépendance de la presse. Caricaturer le débat en deux "armées", celle ayant tous les droits, y compris celui de piétiner une rédaction entière, et celle devant se plier aux décisions des premiers, aussi largement rejetées par des rédactions entières soient-elles - c'est révéler son jeu : en guerre, on rêve d'anéantir l'ennemi. Ils veulent une presse d'opinion unique. La leur.