Le futur "JDD" sera "raciste, sexiste et homophobe", ou ne sera pas

Pauline Bock - - Silences & censures - Déontologie - Sur le gril - 19 commentaires

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Pour la sixième fois, ce dimanche 30 juillet 2023, le Journal du Dimanche ne paraîtra pas. La grève de la rédaction contre la nomination de l'ex-Valeurs actuelles Geoffroy Lejeune à la direction du journal, reconduite à 96% ce vendredi, est la plus longue dans l'histoire des médias contemporains, et force l'admiration. Mais cette semaine, le combat a un goût particulièrement amer : lundi, le dirigeant Arnaud Lagardère a rompu les négociations avec la Société des journalistes du JDD et imposé l'arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête de la rédaction dès le 1er août. C'est-à-dire mardi prochain.

Dans un communiqué, la rédaction du JDD déplore cette rupture du dialogue et la nomination "non négociable" de Lejeune. Surtout, elle confirme une info des Jours : c'est sur la charte de déontologie du groupe Lagardère "que les négociations ont achoppé". Plus précisément, parce que la direction a refusé de s'engager sur "certaines valeurs élémentaires" et supprimé un passage de la charte rédigé par les grévistes, qui demandaient "d'empêcher «toute publication de propos racistes, sexistes et homophobes et, plus généralement, de tout contenu discriminant ou haineux»".

"Terrible aveu de Lagardère News refusant ainsi d’un coup de stylo d’interdire dans les pages d’un futur JDD aux mains de Lejeune ce qui est pourtant déjà proscrit par la loi", écrivent les spécialistes de l'empire Bolloré et journalistes des Jours Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, qui était invitée dans notre émission récente sur le combat du JDD. Bien sûr, Lagardère s'en défend : dans le communiqué du 24 juillet qui annonce l'arrivée prochaine de Lejeune, le dirigeant "prend acte, avec regrets, de l’absence d’accord avec la Société des journalistes et les organisations syndicales" : "Nous ne ferons pas du JDD un tract idéologique ni militant", promet-il. "Ce fantasme de l’extrême droite est infondé et méprisant."

Mais mardi prochain, Geoffroy Lejeune - dont l'ancien magazine, Valeurs actuelles, a sous sa direction été condamné pour injure publique à caractère raciste - prendra la tête du JDD. Geoffroy Lejeune, qui dès 2015 rêvait dans un livre de la présidence de son ami Éric Zemmour, lui-même multi-récidiviste condamné pour provocation à la haine raciale. Geoffroy Lejeune, qui a oeuvré pour la campagne de Zemmour en lui allouant des aides matérielles via Valeurs actuelles. Ne me dites pas que ce Geoffroy Lejeune est le "fantasme de l'extrême droite" dont parle Arnaud Lagardère ? Et puis quoi encore, Éric Zemmour, d'extrême droite ? Quelles accusations "infondées" et "méprisantes" !

À ce niveau, ce n'est plus de la mauvaise foi, mais un cynisme sans nom, qui n'a d'égale que la cruauté d'un patron prêt à tout pour casser une grève et imposer coûte que coûte sa décision, dont il jure - croix de bois, croix de fer - qu'elle n'a pas été influencée par Vincent Bolloré. Aux États-unis, les patrons des studios hollywoodiens, face à la grève des scénaristes, clament être prêts à "saigner" les grévistes jusqu'à ce qu'ils "perdent leurs appartements, leurs maisons" plutôt que d'accéder à leurs demandes. En France, les patrons comme Arnaud Lagardère préfèrent détruire l'âme et la réputation d'un journal plutôt que de respecter les rédactions.

Ce dimanche est peut-être le dernier sans JDD, en tout cas sans l'ancien JDD, celui auquel ont rendu hommage journalistes et politiques en soutien aux grévistes. La rédaction du JDD reste ferme : ils ne signeront pas d'articles sous Geoffroy Lejeune. Dans de telles conditions, la publication début août du JDD version "fantasme d'extrême droite" reste peu probable ; mais on apprend, dans le Monde, que la direction réfléchit déjà à débaucher des plumes de Valeurs actuelles et autres figures de CNews. Il y aura peut-être dans les kiosques, d'ici la fin de l'été, un journal fantôme qui n'aura du JDD que le nom. Pour Arnaud Lagardère, il semblerait que ce futur JDD sera "raciste, sexiste et homophobe", ou ne sera pas.

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