"Une colonie, ça se démantèle" : enfin !

Daniel Schneidermann - - Alternatives - Obsessions - 77 commentaires

L'autre jour, sous le coup d'une soudaine inspiration comme il m'arrive parfois, je jette un tweet à la volée.

Ce que je voulais dire, sûrement maladroitement, puisque ce tweet n'a pas été compris, même par des proches bienveillants, c'est que les deux organisations, CRIF et FNSEA vivent, dans leurs relations avec l'Etat et les médias, sur l'imposture selon laquelle elles représenteraient l'intégralité de la catégorie sociale, ou de la communauté qu'elles prétendent représenter.

Or d'abord c'est faux : nombre d'agriculteurs ne sont pas, ou ne se sentent pas représentés par la FNSEA, comme nombre de Juifs de France ne se sentent pas représentés par le soutien inconditionnel du CRIF à Israël. Mais de surcroit, ces deux organisations sont néfastes aux intérêts bien compris, à long terme, de ce groupe social, et de cette communauté. Les agriculteurs, à long terme, et dans l'intérêt général, ont tout intérêt à offrir au consommateur des produits sains, non corrompus par des pesticides. Les Juifs de France, pour leur sécurité, ont tout intérêt à l'établissement d'une paix équitable avec les Palestiniens, à l'encontre de la politique de tous les gouvernements israéliens depuis Rabin. Je conçois que le parallélisme interpelle, il était fait pour ça.

Se sont alors abattus sur moi, comme c'était prévisible, outre les mis en cause,  les lobbyistes de l'agro-industrie, les bas du front habituels, les professionnels de la malcomprenance, les sentinelles implacables, les grand.es brûlé.es de leurs propres tricheries, qui rôdent sur X comme des oiseaux de proie, et quelques supplétifs inattendus. Sans parler de la cohorte réglementaire de courageux anonymes que j'ai pris la résolution définitive, heureusement pour ma santé mentale, de considérer comme nuls et non avenus.

Je parle d'une paix juste et équitable. Je ne suis pas le seul et suis loin d'être le premier. Mais encore faut-il avoir le courage de préciser ce qu'elle implique : un véritable Etat palestinien, qui lui-même suppose le démantèlement des colonies israéliennes illégales en Cisjordanie. Et là, silence. Pudeurs. Terreur. Or ces mots tabous ont été prononcés, la semaine dernière, à la télévision française, dans l'émission CCeSoir, par la directrice de la rédaction de Libération (disclaimer : journal dont je suis chroniqueur hebdomadaire depuis 2003), Alexandra  Schwartzbrot. A propos des colonisations israéliennes illégales, elle a lancé ces simples mots : "une colonie, ça se démantèle". Ecoutez-la.

Sauf erreur de ma part, c'est la première fois que ces mots sont prononcés en France, aussi clairement, aussi simplement, par un journaliste d'un media important, depuis le 7 octobre. Hélas, ce fut à la toute fin de l'émission. Dommage. Il aurait été éclairant que les autres participants puissent se prononcer sur cette parole de vérité.

Oui, si douloureux que ce soit, Israël doit s'amputer du membre gangrené des colonies illégales, créées frauduleusement par des illuminés avec la complicité active ou passive de tous les gouvernements israéliens depuis 1967. On peut chercher de tous les côtés, il n'y a pas d'autre solution. Il faut le dire, le répéter, le crier. Pour l'avenir d'Israël, cette vérité doit pénétrer dans les cerveaux traumatisés du plus grand nombre possibles d'Israéliens. D'autant qu'ils commencent, semble-t-il, à être prononcés là-bas, en Israël.

Le Monde consacrait ce week-end un portrait au général israélien Yaïr Golan qui "détonne dans la classe politique israélienne, avec sa volonté d’apaisement et l’absence de rhétorique vengeresse contre le peuple palestinien". Pourquoi Le Monde a-t-il attendu si longtemps ? Ne chipotons pas. Pour ma part, je vous avais parlé de lui ici, dès le 23 octobre. Cet opposant résolu à Netanyahu, très populaire dans le pays pour avoir fait preuve d'héroïsme dans la journée du 7 octobre, vient de lancer un "mouvement civique", Hitoretut, qui signifie "Le réveil" ou "La lumière".

Je vous laisse lire ce portrait de l'ex Numéro 2 de Tsahal, à qui son franc-parler a coûté le poste de Numéro 1. Certains penseront que les espoirs portés par Golan sont irréalistes ou prématurés. D'autres jugeront sans doute qu'il ne va pas assez loin. Sans doute les clés de la paix sont-elles davantage à Washington qu'à Jérusalem.  Mais il n'y a pas surabondance de lueurs d'espoir. Je pense pour ma part que, partout où nous le pouvons, nous devons populariser la parole et les initiatives de Yaïr Golan. Tant qu'à soutenir inconditionnellement Israël, le CRIF ferait bien de soutenir le meilleur d'Israël, le soutenir explicitement, et avec enthousiasme de préférence.





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