Israël, la surpuissance et l'impuissance
Daniel Schneidermann - - Obsessions - 122 commentaires
Dans la matinée du 7 octobre, le général de réserve Yair Golan a endossé son uniforme de général, chaussé des bottes militaires appartenant à son fils, sauté dans sa Toyota Yaris, et foncé vers les lieux de la Rave Party Supernova. Grâce aux messages WhatsApp envoyés par les jeunes participants terrifiés, et par leurs parents, il est parvenu à en sauver un certain nombre. Le Times of Israel
publie une photo de Golan, embrassé par un jeune électeur de l'extrémiste de droite Ben Gvir. "Je veux que vous filmiez ça
, dit le jeune homme. Je m’appelle Meir Spanier. J’ai voté pour [le ministre de la Sécurité nationale Itamar] Ben Gvir [du parti d’extrême-droite Otzma Yehudit] lors du dernier scrutin. J’étais imprégné du poison que la droite a déversé sur la gauche. Je le haïssais [Golan]. Aujourd’hui, je l’aime et je l’admire. Et je suis vraiment désolé."
Avant l'été, le général Golan était l'une des figures des manifestations protestant dans les rues contre la tentative de putsch légal de Netanyahou. N'ayant pas hésité à préconiser des actions de désobéissance civile (toujours non-violentes) il était traité de traître par le Likoud, qui réclamait des poursuites contre lui. La haine des faucons israéliens contre Golan remonte à un certain jour de 2016, où il avait comparé l'atmosphère haineuse de son pays à celle de l'Europe d'avant le génocide nazi, ce qui lui avait coûté le poste de chef d'Etat Major.
J'ai besoin aujourd'hui de vous raconter cette histoire. J'ai besoin de croire qu'en dépit de la ritournelle sur "le naufrage du camp de la paix"
, il existe en Israël au moins un Golan, et peut-être davantage. J'ai besoin de croire qu'il existe des personnalités qui, un jour très lointain peut-être, après des milliers de morts, ou plus proche qu'on ne pense, pourront parler avec des représentants palestiniens, puisqu'à l'arrivée il n'y aura jamais d'autre solution. J'aurais aimé que la présidente de l'Assemblée Nationale de mon pays, encadrée par les faucons Ciotti et Habib, profite de sa visite pour rencontrer le général Golan, plutôt que d'aller donner la bénédiction française à un pays aveuglé par la douleur et la rage. Et à des bombardements faisant des morts par milliers, dont chacun, hors du pays, devrait pouvoir reconnaître qu'ils ne déboucheront sur rien qu'un désert de ruines, et qu'aucun avenir ne se bâtit sur un désert de ruines.
"Israël, c'est quand même au bout de 70 ans, la démonstration de l'impuissance de la surpuissance"
disait hier sur LCI un ancien dirigeant de l'OTAN, le général Michel Yakovleff, intégrale ici (décidément, je suis très généraux aujourd'hui). De fait, Israël est dans une impasse. Pas seulement parce que les dirigeants arabes qui s'étaient résolus à normaliser leurs relations avec le pays tremblent devant leurs peuples, au point d'annuler la semaine dernière un sommet à Amman avec Biden. Pas seulement parce que quelques dizaines de Juifs américains opposés au soutien inconditionnel à Netanyahou ont brièvement occupé des locaux du Congrès de Washington. Mais parce que le 7 octobre a atteint l'Etat israélien au coeur de sa promesse de 1948 : assurer la sécurité de tous les Juifs du monde. Avec ses avions et ses chars, avec son pouvoir sans limites de semer mort et désolation, Israël est vulnérable, et le restera aussi longtemps qu'il n'aura pas conclu une paix sincère.
Une paix sincère impose de se soumettre au droit international. Donc de reconnaître la pleine souveraineté palestinienne sur les territoires occupés depuis 1967. Donc de démanteler, y compris par la force, toutes les implantations coloniales illégales, jusqu'à la dernière, si tel est le souhait de l'Etat palestinien dans sa pleine souveraineté. Je rêve ? Oui, aujourd'hui, je rêve debout. Mais qui, en 1958, eût imaginé que De Gaulle consentirait à l'indépendance de l'Algérie ? Qui, un an plus tôt, aurait rêvé d'une poignée de main entre de Klerk et Mandela ? Il existe en Israël au moins un Yaïr Golan. Il y a dans une prison de haute sécurité israélienne au moins un Marwan Barghouti. Mais, à Washington, à Paris et ailleurs, on l'a manifestement oublié.