Meurice : rien qu'une mauvaise blague ?

Daniel Schneidermann - - Humour - Obsessions - 161 commentaires

Vu de près, ce pourrait n'être qu'une blague, rien qu'une blague, cette histoire à rebondissements de Guillaume Meurice, avec son Netanyahu "nazi sans prépuce". On avait suivi "l'affaire". La blague initiale de l'humoriste de France Inter, l'avertissement reçu de la présidente de Radio France et de l'ARCOM, les plaintes des associations pro-israéliennes. Le 18 avril dernier, le parquet de Nanterre classe ces plaintes sans suite pour "délit insuffisamment caractérisé". Dans l'émission suivante, Meurice réitère la même blague, puisqu'elle n'est pas passible de poursuites -"Allez-y faites-en des mugs, des T shirts, c'est ma première blague autorisée par la loi française". Et là, hop : nouvelle convocation par la direction de Radio France pour "un entretien préalable pouvant aller jusqu'à la rupture de son contrat à durée déterminée pour faute grave". Et suspendu dans l'intervalle. La méta-blague pourrait se résumer ainsi :

Je me permets d'en plaisanter, parce que l'entretien préalable, je connais. J'ai connu. Deux fois. Au Monde et à France 5. Le courrier recommandé. L'embarras du sous-grand chef qui te reçoit, pour te lire que les choses peuvent aller "jusqu'au licenciement", et -défense de rire- recueillir tes remarques. Parce que le grand chef ne te reçoit pas en personne. Jamais. C'est toujours son âme damnée, le DG, le DRH, un spécialiste de ces situations. Le président a toujours une âme damnée. L'âme damnée est surpayée, justement pour ça, les tâches pourries comme l'entretien préalable pouvant déboucher sur un licenciement.

Quand tu es journaliste, ou humoriste, bref en première ligne, ça ne devrait pas te surprendre. Dans cette maison, où tu te croyais protégé par ton ancienneté, la reconnaissance interne et externe de ton travail, tu étais en première ligne : celui qui signe, porte les coups, et en prend. Les directeurs et les années passent, le contexte change : peu à peu, tu réalises que les règles du jeu ont changé. On ne te l'a jamais dit en face. Tu aurais pu, tu aurais dû, le comprendre seul. Mais tu ne l'as pas compris, ou ne veux pas le comprendre. Tête de mule. Ton métier c'est de jouer, avec les mots,  les interdits, les non-dits, les limites. Alors tu joues. Selon les règles officielles. En kamikaze. Arrivera ce qui arrivera. Tu auras fait ton taf. Tout ton taf, rien que ton taf. Faire rire, faire réfléchir, éveiller, susciter l'indignation la révolte. Advienne que pourra. Rentre la tête et attends. Ça passe ou ça casse. 

Alors Meurice a récidivé. Benjamin Netanyahu n'ayant pas cru devoir changer de politique entretemps, les bombes israéliennes continuant subséquemment de pleuvoir sur Gaza, il ne voit pas pourquoi il ne récidiverait pas. La Justice, toute la Justice, rien que la Justice.  Vient donc une fois où ça casse. Entretien préalable, etc etc.

Selon des producteurs de France Inter cités par Le Monde, la directrice de France Inter Adèle Van Reeth et la présidente de Radio France Sibylle Veil, paraît-il, trembleraient devant un compte twitter anonyme macroniste, baptisé Médias Citoyens (lire à propos de ce compte anonyme, mais pas tant que ça, l'enquête de CheckNews). Mesdames les présidente et directrice, est-ce bien raisonnable ? Ne savez-vous pas, dans vos positions, que tout ce qui est anonyme doit être considéré non-signifiant ? Il est vrai que ces vigilants macronistes joignent leur voix aux vigilants de la meute Bolloré, pas anonymes du tout, eux. 

Placée dans cette situation, Charline Vanhoenacker, productrice, a réagi dans sa dernière émission de la seule façon possible : consacrer quasi-exclusivement son émission au "cas Meurice" (je vous recommande particulièrement cette chanson). Tester sa bulle d'oxygène, jusqu'à la faire éclater si elle doit éclater.  Surtout, ne pas se faire égorger dans une ratière. Pleins feux sur la ratière ! Qu'au moins le crime soit commis en pleine lumière. Il est vrai qu'elle a de l'entraînement dans le grand steeple-chase de l'hypocrisie. Déjà l'an dernier à la même époque, lorsqu'elle eut l'honneur d'être rétrogradée du rythme quotidien au rythme hebdomadaire, la même directrice avait expliqué qu'il s'agissait ainsi de "la faire sortir de sa zone de confort, de se réinventer, de se challenger".

Vu de près, c'est une blague, rien qu'une mauvaise blague, cette histoire de prépuce. Vu de loin, on ne rigole plus du tout.  Intégrée dans le tableau d'ensemble que constituent l'acharnement de la meute macrono-bolloréenne, la suppression à France Inter de plusieurs rubriques écologistesl'hésitation de France Inter à soutenir Nassira El Moaddem, on voit à l'oeil nu, lentement, inexorablement, un lacet se refermer sur la radio nationale.



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