Y a-t-il quelqu'un à la barre de France Inter ?
Pauline Bock - - Sur le gril - 143 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
Y a-t-il quelqu'un à la barre de France Inter ? Hier, le 2 mai, la radio du service public a sombré deux fois.
D'abord, en décidant de suspendre l'humoriste Guillaume Meurice de l'émission Le grand dimanche soir, et en le convoquant à un entretien préalable à un licenciement "pour faute grave". Quelle faute grave ? Avoir considéré que si la justice elle-même avait, en avril dernier, abandonné les poursuites contre une blague qualifiant Benyamin Netanyahou de "nazi sans prépuce", c'est qu'il était donc libre de la refaire, dont acte. "C'est ma première blague autorisée par la loi française", a-t-il rigolé. Mais pas autorisée par France Inter, apparemment.
Surtout, et cela nous indigne autant, mais concerne plus directement ASI : après plus de 24 heures d'un déferlement raciste inouï ciblant notre collègue Nassira El Moaddem, présentatrice d'Arrêt sur images, harcelée par l'extrême droite pour un tweet dans lequel elle dénonçait le racisme en France, France Inter a fini par daigner réagir. Pas soutenir : réagir, pour se protéger et se désolidariser - car Nassira a travaillé pour France Inter sur un podcast, Parcours de combattants, jusqu'en 2022. Et l'extrême droite et les médias Bolloré y ont vu une occasion en or : taper à la fois sur une journaliste d'origine arabe et sur le service public (même si l'émission est terminée depuis près de deux ans).
Le 2 mai au soir, donc, la médiatrice de France Inter a expliqué que le tweet de Nassira a valu à la station "des messages très vifs de la part des auditeurs qui considèrent qu'elle fait partie des effectifs de France Inter" et relayé un communiqué laconique de la direction, que nous reproduisons dans son intégralité : "Chers auditeurs, nous avons bien reçu vos messages et comprenons votre réaction.
Vous nous interrogez sur des propos tenus par Madame Nassira El Moaddem sur son compte Twitter récemment. Madame El Moaddem n'est ni journaliste sur France Inter, ni salariée de Radio France. Elle a collaboré à deux séries d'été pour France Inter en 2021 et 2022 : ceci précédant les propos concernés, ils ne peuvent donc nous engager."
À la lecture de ce message de la direction de France Inter affirmant qu'elle "comprend" les "réactions", c'est-à-dire le maëlstrom raciste qui déferle sur une journaliste indépendante depuis deux jours, l'équipe d'ASI a eu du mal à y croire. Pourquoi, quand il est de son rôle et de son devoir de protéger (tous) ses journalistes et la liberté de la presse, une radio du service public se couche-t-elle ainsi face aux attaques de l'extrême droite ? Depuis ce message scandaleux, c'est la panique à bord à France Inter : le 3 mai, la médiatrice a d'abord modifié en douce son message, afin de faire disparaître les mots "nous comprenons votre réaction"...
...puis l'a à nouveau modifié, cette fois en ajoutant : "Pour autant, nous tenons à condamner les attaques violentes qu'elle subit ces dernières heures sur les réseaux sociaux."
Le 3 mai, la SDJ de Radio France et la société des producteur·ices ont publié un communiqué joint, soulignant que "si Nassira El Moaddem ne travaille plus actuellement pour Radio France [...], cela n'empêche en rien nos rédactions et producteur·ices de France Inter de lui apporter un soutien plein et entier, comme elles le font pour tous les journalistes victimes d'invectives aussi insupportables et dangereuses" et rappelant la direction de France Inter à ses obligations. "La direction de France Inter, qui avait à juste titre dénoncé les attaques contre une journaliste de LCI en décembre dernier, s'honorerait à prendre aussi publiquement la défense d'une consœur et ex-salariée victime d'un tel racisme décomplexé", écrivaient-ils.
Il a donc fallu cette dénonciation publique des équipes de Radio France pour que la directrice de la radio, Adèle Van Reeth, réagisse enfin publiquement. "Je l'ai dit de vive voix ce matin à Nassira El Moaddem et je le redis ici : les attaques racistes qu'elle subit sont inacceptables, a-t-elle écrit sur X. Elle a tout mon soutien." L'appel à Nassira a en effet été passé plusieurs heures avant le communiqué des équipes de Radio France ; le message de sa directrice, en revanche, n'est arrivé qu'une demi-heure après sa publication. En cette journée mondiale de la liberté de la presse, il en aura fallu, du temps, à la "première radio de France", pour prendre la mesure de la menace, pourtant pressante - évidente - que pose l'extrême droite aux journalistes qui ne sont pas d'accord avec elle. Vous êtes bien sur France Inter, et l'iceberg de 2027 est droit devant.