Face à la presse trumpo-bollorisée

Daniel Schneidermann - - Numérique & datas - Alternatives - Financement des medias - Obsessions - 178 commentaires

"Est-ce que vous connaissez le slogan de campagne de Kamala Harris ?" demande ce matin sur France Inter Thomas Snegaroff à Léa Salamé. Non. Léa Salamé ne connait pas le slogan de la candidate battue. "Et vous Nicolas ?" Non. Nicolas Demorand non plus. Eh bien voilà. Tout est là. Tout est dit, du succès d'une stratégie de l'outrance et de l'insulte du candidat victorieux, qui a hypnotisé les médias américains et mondiaux, et invisibilisé sa concurrente. Jusqu'à France Inter, pourtant peu suspecte de sympathies trumpiennes. Mais dans l'affaire, les sympathies comptent peu, par rapport aux séductions de l'audience, et à la puissance irrésistible de l'effroi. Quant aux chaînes de bavardage, ces derniers jours, il n'y était question que de Trump, et de l'escalade de ses insultes à sa concurrente. Cela donne une idée de ce que devaient être les chaînes US, même les moins consciemment trumpisées.

Evidemment, cette victoire de l'insulte et du mensonge n'est pas la seule raison du résultat écrasant de l'élection US. D'autres plus savants que moi y disséqueront par exemple la part de mobilisation masculine, qui s'est révélée au moins aussi efficace que la part de suffrages féminins dans le score de Harris.

Pour s'en tenir au rôle des médias, qui nous occupe ici, Trump n'est pas le premier qui a fait le coup. Lui-même, qui a assez peu d'imagination, somme toute, n'a rien fait d'autre que de rééditer son coup de 2016, et son coup de 2020. Et chez nous, c'est dès 2007, que Sarkozy inaugurait par ses provocations décomplexées l'ère de la sidération permanente, ou de l'effroi promotionnel, comme on voudra.

Nouveauté pourtant : en 2024, Trump s'est approprié Twitter, que son propriétaire Elon Musk a mis, en desperado, à son service.  

A cet égard, la censure par Jeff Bezos d'un éditorial du Washington Postappelant à voter contre Trump, marque la capitulation des médias traditionnels face à X (ex-Twitter). En achetant le prestigieux vestige du Watergate, tandis que Musk, incarnation de la "violence spectaculaire et criarde" etatzunienne s'offrait le cloaque de Twitter, Bezos a fait le mauvais choix. Un choix de loser.

Twitter que les citoyens désireux de débattre et de s'informer devraient, en toute logique, déserter. Mais voilà : il n'existe pour l'instant aucune alternative efficace à qui souhaite, si peu que ce soit, et sans le secours de l'argent, peser dans le débat. Ce n'est pas une raison pour amener le drapeau d'un journalisme indépendant, que nous brandissons ici depuis 2008.  Ce journalisme a montré son efficacité, par exemple, comme nos confrères et consoeurs de StreetPress, en multipliant les enquêtes sur l'incompétence et le racisme des candidats présentés par le RN aux dernières législatives. C'est ce travail-là, dont il urge d'amplifier l'impact. Je vous parlais voici quelques mois, après le rachat par Bolloré du Journal du Dimanche, de la nécessité d'une vaste initiative, visant à maximiser l'influence de la "galaxie indé", face à la presse trumpo-bollorisée. 

En ce matin inquiétant, sachez que cette initiative se poursuit, discrètement mais résolument. Vous en entendrez parler prochainement.


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