7 octobre : la jouissance des "barbares"

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 146 commentaires

La projection, encore et toujours. La semaine dernière, Laurence Haïm m'appelle. Après mon Obsession sur "la liste Haïm", la journaliste free lance souhaitait préciser ses intentions. En publiant des listes de journalistes et de médias ayant assisté à LA projection des atrocités du 7 octobre, il ne s'agissait pas pour elle de dénoncer les "mauvais élèves" absents. Elle souhaitait seulement, assure-t-elle, exprimer sa surprise de ne pas y avoir rencontré un plus grand nombre de présentateurs vedettes et de patrons de chaînes. Une projection similaire à New York, m'a expliqué l'ancienne correspondante de Canal+ aux USA, avait attiré davantage de beau monde. Cela dit, en démentant vouloir stigmatiser quiconque, Laurence Haïm estime tout de même que quiconque traite du sujet sur un plateau devrait voir ce montage, par une sorte d'obligation professionnelle. 

Cette projection, d'autres lui attribuent aussi une sorte de fonction morale, voire punitive. L'ancien ministre LR Xavier Bertrand pense que tous les auteurs d'actes antisémites devraient être condamnés à assister à la projection. Harcelé de critiques et de menaces après une intervention sarcastique (et partiellement erronée) minorant l'attaque du 7 octobre, le député LFI David Guiraud annonce qu'il se rendra, comme en rédemption, à LA projection. Ardemment attendu et interrogé à la sortie par la presse, il concède : "Ça fait plusieurs semaines que je vois des images très difficiles du nettoyage ethnique à Gaza […] mais malgré la peine et la douleur qui me secouent, je crois que je n’oublierai jamais de respecter tous les morts", signifiant ainsi que si les morts palestiniens lui inspirent "peine et douleur", les morts israéliens ne lui inspirent que le "respect" dû à "tous les morts".  "Avant de s’éclipser telle une ombre de lui-même"raconte L'Obs. Comment pourrait-il s'éclipser autrement que "telle une ombre" ? Il n'est resté qu'à mi-chemin sur la route du repentir !

 Pour avoir tenté, lui aussi, de mettre ces atrocités barbares en balance avec les bombardements civilisés de Gaza, son collègue LFI Aymeric Caron est rituellement recadré par BFM sur le thème fouresto-pujadien, justement, de la nécessaire distinction à établir entre les barbares qui tuent "intentionnellement", et les civilisés qui ne produisent que des dommages collatéraux.

Cette projection, pour la presse, a-t-elle aussi une valeur strictement informative ? Sans doute. Il est une dimension que les compte-rendus purement factuels du montage ne peuvent que difficilement restituer, c'est la jouissance des tueurs, cette jouissance qui transpire des images, à en croire Paul Aveline, qui a assisté à la projection pour ASI. Leur joie à donner la mort, que traduit bien un document sonore du montage, l'appel téléphonique euphorique d'un terroriste à ses parents depuis le kibboutz de Miflassim, notamment diffusé en France par l'ambassade d'israël, "Papa, j'ai tué dix Juifs". Cette jouissance, cette euphorie, et la rage exterminatrice qu'elles suscitent mécaniquement chez les spectateurs, ne sont-elles que des émotions parasitant la froide réflexion ? Mais non. Elles constituent, en elles-même, des informations. Les combattants du Hamas ont voulu que leur jouissance soit vue. Les monteurs israéliens aussi -sur ce point, ils se rejoignent. 

S'agissant des Israéliens, on comprend bien leur objectif : exhiber au monde la barbarie de l'ennemi.  Ce but est moins clair de la part des porteurs de GoPro du Hamas. On peut se demander, s'interroge un de nos abonnés, "pourquoi ils tiennent tant à jouer le rôle des parfaits barbares, d'une manière quasi-Hollywoodienne. Après tout ce genre d'organisations pourrait tout à fait enseigner à ses candidats au martyre qu'un bon musulman se doit de prendre des airs désolés et d'exprimer par une prière son regret d'avoir tué, au lieu de sourire au milieu des cadavres. Et pourtant ils n'en font rien".

Et voici donc son hypothèse : la principale raison,  "c'est qu'en adoptant des codes opposés ils se positionnent en ennemis de l'Occident et de son hypocrisie "civilisée". C'est quelque part un clin d'oeil à tout le Sud Global, qui tout en étant déjà accoutumé à voir de la violence et pas qu'à la télé, est bien plus dégouté par l'hypocrisie des enrobages moraux qu'on donne à la nôtre que par la joie sincère du faible qui finit par parvenir à se venger un peu des forts, de si horrible manière que ce soit." Autrement dit, avec ce montage, les civilisés parleraient aux civilisés, et les barbares aux barbares. C'est une hypothèse qui mérite examen.

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