Pleins feux sur McKinsey
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 67 commentaires
C'est au début de l'année, que Le Canard Enchaîné
révélait le rôle du cabinet de consultants McKinsey dans l'élaboration du plan français de vaccination. Sans doute ce petit scoop a-t-il fouetté la curiosité de l'enquêteur du Monde
François Krug qui, un mois plus tard, publie aujourd'hui une enquête explosive sur l'interpénétration de la Macronie et du cabinet de consultants américain. Comme il est peu probable que cette enquête nourrira la conversation des chaînes d'info (qui préfère se lamenter en boucle sur le niveau insoutenable des dépenses publiques), je vous la signale.
La Macronie et le cabinet de consulting partagent une idéologie commune : il faut mo-der-ni-ser. S'adapter, sans savoir très bien à quoi (voir notre émission avec la philosophe Barbara Stiegler). Et pour s'adapter, il faut restructurer, dégraisser, à grands coups de plans détaillés sur PowerPoint, et de progression exponentielle des "bullshit jobs"
de consultants, et de sous-consultants. En vertu de quoi, le nombre de lits de réanimation dans les hôpitaux français a baissé de 30% depuis le mois de mars dernier, révélait cette semaine Le Canard
, encore lui. Mais c'est une autre histoire.
Entre Macron, les "partners"
et les "juniors"
de McKinsey, l'histoire d'amour a commencé en 2007, au sein de la commission Attali, chargée de proposer des réformes économiques à Nicolas Sarkozy et dont Macron, alors âgé de 29 ans, était rapporteur général adjoint. "Ces trentenaires sortis des grandes écoles et des grands corps partagent la même passion pour la réforme de l’État et la même sensibilité libérale de gauche"
écrit François Krug, sans réaliser apparemment le caractère oxymorique de cette phrase, ni mettre de guillemets au mot "gauche",
omission révélatrice de la victoire idéologique des ex-trentenaires en question.
Croisements et re-croisements d'itinéraires, attributions de marchés publics sans appel d'offres, au guichet de la Direction générale de la modernisation de l'État (DGME) devenue la Direction interministérielle à la transformation publique (DITP), où s'attribuent tous les marchés de consulting : je vous laisse lire le détail passionnant de cette enquête.
Mais la bombe de cette enquête-fleuve, à mon sens, se cache au 36e paragraphe, où l'on apprend que la société, domiciliée aux États-Unis dans le riant et compréhensif État du Delaware, "n'est soumise qu'à un forfait fiscal symbolique de 175 dollars par an"
. Ce qui n'empêche pas le cabinet de la ministre de la Transformation et de la fonction publiques Amélie de Montchalin d'assurer au Monde
, sans plus de précisions, que "la société est en règle avec l'administration fiscale française"
. Il est vrai que toute enquête plus poussée sur cette opaque multinationale est complexe : McKinsey ne dépose pas ses comptes au tribunal de commerce, formalité archaïque sans doute trop lourde dans le meilleur des mondes modernisé.