Lundi en miettes
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 685 commentaires
Résister aux mauvaises pensées. Résister aux pulsions violentes du dimanche soir, à la vue de l'apparition sur les écrans des faces de carême de Hidalgo, Jadot et Roussel (par ordre alphabétique), trio des Bermudes de l'élimination de la gauche du second tour de la présidentielle. Résister aux explications simplistes par "les égos"
, comme dit Ségolène Royal. Tenter de penser système. Si ces personnages (au moins les deux premiers) ont dépensé l'essentiel de leur énergie de campagne à cogner sur le candidat de gauche le mieux placé, ce n'est pas par pure méchanceté ou par pure bêtise. Ils incarnent des forces politiques. Partis zombies, mais partis tout de même.
Penser système. Tenter de formuler de quoi leur crépuscule est le nom. S'agissant du PS (comme, à droite, de LR), cela peut sembler assez simple. Issues d'un temps où le climat n'était pas une urgence, où le communisme restait une utopie / le danger majeur, ces formations incarnaient deux modes de gestion du libéralisme et de la mondialisation. Un plus redistributeur, l'autre moins. Ça jouait à la marge, pour ou contre l'ISF et les hausses du SMIC. La fin du communisme, l'évidence des absurdités de la finance folle, l'émergence terrifiante du péril climatique, et sans doute surtout cette immense conséquence encore impensée qu'est la fin du modèle économiste croissanciste, pour ne pas parler, dans les dernières semaines, du retour de la guerre en Europe, sont venues bouleverser le train-train. Comment pourraient survivre les formations d'un monde dépassé ? Quant au PCF, l'étonnant n'est pas qu'il ne fasse plus "que" 2,5 %. C'est qu'il fasse encore 2,5 %.
Reste EELV. Le parti écolo français se relèvera-t-il de la campagne de Jadot ? Prenons un atome au hasard du vaste peuple écolo, celui que j'ai sous la main : moi-même. Dans ma vie de citoyen, j'ai quasi-toujours voté écolo au premier tour. Reste qu'en entendant, hier soir, Jadot appeler aux dons pour sauver le mouvement, je n'ai pu m'empêcher de m'effleurer un "fallait y penser avant, tocard !"
, dont je ne suis pas spécialement fier.
Cet ancien nouveau monde remodelé, encore illisible, a en France un syndic moderne, intellectuellement ductile à défaut de courage ou de réelle clairvoyance, il s'appelle Emmanuel Macron. OK. Dans les marges abandonnées d'un néolibéralisme enrayé a prospéré une colère raciste, monstrueusement gonflée jusqu'à l'hypertrophie par les réseaux sociaux et les médias des milliardaires, OK. Voilà pour les deux finalistes.
Quant à Mélenchon, actuel visage français de l'utopie de gauche, il n'est sans doute pas une réponse mécanique ni totale à l'illisibilité du monde. Mais il a fondé la seule formation à avoir fait l'effort de sortir de la pensée en silos, en intégrant à la réflexion, non seulement l'écologie politique, mais le féminisme, jusqu'au point médian, la sensibilité des quartiers populaires, et la cause animale (que courtise aussi "la dame aux chats"
, comme il dit drôlement). Je l'ai même entendu, dans les derniers jours de campagne, évoquer de longues minutes en meeting le droit au silence et les pollutions lumineuses. Qui d'autre que lui ? Cette sursensibilité aux nouvelles demandes sociales doit beaucoup à l'hyper-curiosité personnelle de l'individu Mélenchon, Jean-Luc (oui oui, l'antipathique, le grimaçant, l'américanophobe Mélenchon). Que deviendra un mélenchonnisme sympathique et souriant, enfin débarrassé de Mélenchon ? Le "penser système" ayant ses limites, j'avoue n'avoir pas la réponse. Ne m'en veuillez pas de penser un peu en miettes ce matin, je suis un peu en miettes.