Le prof, la loi et le Coran

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 979 commentaires

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Bonne nouvelle : il existe en France des talents cachés d'humoristes.

Ils se cachent parfois où personne n'aurait l'idée d'aller les chercher : par exemple, au rectorat de Poitiers. Le rectorat de Poitiers vient de décider de la mutation d'office, à une heure de route de chez lui, d'un prof de philo, Jean-François Chazerans, un temps soupçonné par la Justice d'apologie de terrorisme dans un débat tenu le 8 janvier, et pour lequel le procureur avait abandonné toute poursuite. Motif de cette mutation : le prof aurait qualifié certains dessinateurs de Charlie de "crapules".

Personne ne connait exactement le contexte dans lequel cette phrase a été prononcée. Le cours n'a pas été enregistré. Chazerans explique qu'il faisait référence aux accusations d'islamophobie contre les dessinateurs de Charlie, dont il n'a évidemment pas justifié l'assassinat. Mais le comique n'est pas là. Le comique, c'est l'une des motivations de cette mutation d'office, selon le recteur : ce débat a été organisé "sans la moindre préparation" (sic). Il est certain que si Chazerans avait eu la conscience professionnelle de préparer ce débat sur Charlie pendant les vacances de fin d'année, il n'aurait pas risqué de déraper.

Avec quelques jours de retard sur la semaine de la presse, j'ai passé une partie de l'après-midi d'hier avec une classe de 1ère STI2D d'un lycée de l'Est parisien. La filière forme des techniciens, et éventuellement des ingénieurs, en industrie et développement durable. Thème : la liberté d'expression. "J'espère qu'ils vont oser parler", disait la prof de français, avant la séance. Ah oui, pour oser, ils ont osé. Une heure et demie de mains qui se lèvent, d'objections, de réfutations, de dialogue joyeux et respectueux, entre des Musulmans, un catho revendiqué, des laïcs, des rien du tout, et même un lycéen d'origine chinoise, qui trouve que c'est tout de même un peu l'anarchie en France, avec tous ces gens qui se permettent de critiquer le gouvernement. Pour lui, la presse, c'est comme une guitare. Toutes les cordes sont accordées, sauf une. Et Charlie Hebdo jouait toujours sur la corde désaccordée. Je ne suis pas sûr de la pertinence de la comparaison, mais je l'aime bien.

Evidemment, il y avait aussi celui dont tous les medias ont parlé après le 7 janvier, le tenant de "l'assassinat c'est horrible, mais ils l'ont bien cherché, on les avait prévenus plusieurs fois". Un peu tout seul sur 24, mais il était là. Je le tenais, en face à face.

En fait, c'est lui que j'étais venu chercher. C'est face à lui, que je voulais trouver les mots, pour lui expliquer les différences entre ces deux règles qui se heurtent, la loi et le Coran. Le Coran qui interdit de représenter le prophète, et la loi qui autorise à le dessiner avec un turban en forme de bombe, si on trouve ça pertinent. Pour l'amener à comprendre pourquoi la loi est au-dessus du Coran. Parce que la loi s'applique à tout le monde, tandis que le Coran ne s'impose qu'aux croyants. Parce que la loi, on peut toujours la changer en votant pour des députés qui la changeront si elle ne convient plus, mais pas le Coran. Pour lui expliquer que ce système n'est pas parfait, loin de là, il a bien des défauts, mais il se trouve que c'est le nôtre. Même si j'avais, pour ma part, un peu préparé, je ne sais pas si j'y suis parvenu. Allez savoir ce qui restera d'une séance d'une heure et demie, dans la tête de gamins de 1ère. Ce que je sais, c'est que si toutes les classes discutent comme ça, tout n'est pas perdu.

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