Glanz : le doigt d'honneur de la justice

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 104 commentaires

À partir de quand une institution cesse-t-elle de mériter "ce sentiment qui s'appelle le respect" ? Il faut parfois un grain de sable, une toute petite chose. Ce grain de sable pourrait s'appeler Gaspard Glanz. Nous le connaissons bien, sur ce site. Nous l'avons souvent invité (liens ici). Journaliste, reporter, cinéaste, documentariste, peu importe comment on désigne Gaspard Glanz. Ce qui me semble le plus adapté, c'est documentariste de l'instant. Son sujet favori, c'est la police. Les policiers qui se déguisent en manifestants. L'homme de main élyséen Benalla qui se déguise en policier. Toutes ces facéties policières.

Bref, samedi dernier, pour l'acte 23 des Gilets jaunes, un commissaire interpelle familièrement Glanz. Et quelques secondes plus tard, une grenade éclate entre ses jambes. Comme Glanz, furieux, part à la recherche du commissaire (vidéo ici), il est repoussé par un policier. À qui il adresse un doigt d'honneur rageur. Un doigt d'honneur ? Outrage ! Outrage à dépositaire de l'autorité publique. Glanz est promptement embarqué, balayette à l'appui. Pour ce doigt d'honneur, 48 heures de garde à vue, rien de moins. Ce qui signifie que cette garde à vue a été prolongée avec l'autorisation d'un magistrat du parquet. Qu'un magistrat du parquet a estimé qu'un doigt d'honneur valait 48 heures de privation de liberté. Ce qui n'a sans doute rien à voir avec le fait que le procureur de Paris, Rémy Heitz, a été choisi avec un soin tout particulier par le pouvoir. C'est qu'il s'agissait de faire l'enquête, a expliqué sans rire le parquet au Monde. Ah oui. Établir les tenants et les aboutissants du doigt d'honneur (durée du mouvement, hauteur du bras, orientation, destinataire précis, etc), en plein week-end de Pâques, ça valait bien 48 heures de garde à vue.

Gaspard Glanz n'est pas le garçon le plus docile, ni le plus poli du monde. Comme l'ont rappelé ses adversaires tout le week-end, outre le doigt d'honneur, il a récemment traité sur Twitter le ministre Castaner de "grosse merde". Détail : c'était après que ce dernier a accusé des ONG en Méditerranée de "réelle collusion" avec les passeurs. Lycéen, à 15 ans, en plein mouvement contre le CPE, il avait déjà été poursuivi pour avoir insulté sa proviseure (ce qu'il avait nié). Avec ces antécédents (sans parler de l'affaire du talkie-walkie), on comprend que les journalistes encartés fassent la fine bouche devant sa garde à vue. Si le Syndicat national des journalistes et Reporters sans frontières ont immédiatement protesté contre les gardes à vue de Glanz et d'un autre reporter indépendant, Alexis Kraland, une chaîne sérieuse comme France 3 a finalement trappé un reportage sur le sujet, en découvrant le pedigree suspect des individus concernés. Quant à la principale chaîne du service public, France 2, elle n'en a pas soufflé mot, préférant se concentrer tout le week-end sur les -immondes - cris "Suicidez-vous !" adressés à la police par une poignée de manifestants. Y compris en tournant un sujet à Landivisiau (Finistère).

Circonstance aggravante aux yeux de France 3, Gaspard Glanz n'est pas détenteur de la carte de presse. France 3 est une chaîne sérieuse, faite par des journalistes détenteurs de la carte de presse. Ce sont des détenteurs de la carte de presse, qui n'ont pas hésité récemment à tronquer une pancarte "Macron dégage". Ailleurs encore, à CNews, ce sont des détenteurs de la carte de presse, qui ont illustré un sujet sur le week-end présidentiel avec... des images de l'an dernier. 

Sur cette erreur d'images de CNews, on peut plaider l'erreur de stagiaire. Mais quid de ce sondage de LCI ? Ce sont bien des titulaires de la carte de presse, qui présentent ainsi un sondage sur les Européennes ?

Oui, vous avez bien lu : meilleure opinion... derrière Benoit Hamon. Pourquoi, donc, ne pas l'illustrer avec une photo de Hamon ?

Dans nos discussions, sur le plateau et hors du plateau, j'ai souvent conseillé à Gaspard Glanz de demander la carte de presse, ne serait-ce que pour ôter un argument à toute la police profonde, et maintenant à toute la Justice profonde, qui veulent sa peau, et aux chers confrères qui n'en sont guère émus, ou le traitent de black bloc. Je dis "qui veulent sa peau". Au sens figuré, bien entendu. On ne tue pas les journalistes, en France. On se contente, comme finalement un juge du siège à Glanz, suivant les réquisitions du parquet, de leur interdire de "paraître à Paris" tous les samedis, et le 1er mai, jusqu'en octobre, c'est à dire jusqu'aux alentours de l'Acte 50 des Gilets jaunes, ce qui, dans le cas de Gaspard Glanz, condamne son agence, Taranis News, à une mort économique. Comme quoi, question doigts d'honneur, la justice n'est pas la dernière. Mais en descendant ainsi au niveau de la vendetta, elle a dégringolé toute seule de cette auguste estrade où elle pouvait inspirer ce sentiment qui s'appelle le respect.

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