Gaspard Glanz est "interdit de paraître à Paris" tous les samedis
Juliette Gramaglia - - 54 commentairesAu moins deux interpellations, et plusieurs blessés par des forces de l'ordre. C'est le bilan, coté journaliste, de cet Acte 23 des Gilets jaunes à Paris. Parmi les interpellés : Gaspard Glanz, fondateur du site Taranis News, "interdit de paraître à Paris" tous les samedis, et le 1er mai, après une garde à vue de 48 heures. Point d'orgue de mois de tensions entre ce journaliste indépendant et les autorités policières et judiciaires. Si le Syndicat National des Journalistes et Reporters sans Frontières ont condamné ces mesures, France 3 a renoncé à un reportage en raison de "l'engagement politique" de Glantz et de l'autre journaliste arrêté, Alexis Kraland.
Gaspard Glanz est finalement sorti de garde à vue, 48 heures après son interpellation. Lundi 22 avril en début d’après-midi, le reporter indépendant été déféré devant un magistrat pour une convocation ultérieure. Il lui a été signifié une "interdiction de paraître à Paris tous les samedis, et le 1er mai, jusqu'à la date de son procès, le 18 octobre. Le matin même, devant le commissariat, une cinquantaine de personnes ont manifesté en solidarité avec le journaliste.
Son arrestation a été filmée - et largement diffusée. Ce samedi 20 avril, le fondateur de l'agence Taranis News (que vous pouvez retrouver sur notre plateau ici, ici ou encore là), a été arrêté par les forces de l'ordre alors qu'il couvrait l'Acte 23 des Gilets jaunes à Paris.
?#PARIS 20/04/2019 #ActeXXIII?
— Gilets Jaunes Paris #Acte23✊ #OnNeLâcheRien (@GiletsJaunesGo) 20 avril 2019
Le reporter/journaliste @GaspardGlanz interpellé ce samedi après-midi aux abords de la Place de la République.#GiletsJaunes#Acte23#20Avrilpic.twitter.com/GZJbIqzsry
D'après Checknews
, qui a contacté le parquet de Paris, le journaliste indépendant, qui couvre depuis des années les conflits sociaux, a été placé en garde à vue pour "participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations
" et pour "outrage sur personnes dépositaires de l'autorité publique
". Plusieurs témoins interrogés par le site de Libération évoquent une "embrouille
", une altercation avec les force de l'ordre avant son arrestation. Une vidéo le montre en train de faire un doigt d'honneur aux forces de l'ordre.
Une version plus longue de cette vidéo, mise en ligne par le compte Twitter "HORS-ZONE press" (voir ci-dessous), montre que Glanz demande à voir le commissaire, à plusieurs reprises. Il explique qu'on lui a "tiré dessus avec une grenade
". Il interpelle un membre des forces de l'ordre qui le repousse brusquement d'un bras, suite à quoi Glanz fait un doigt d'honneur. Le journaliste est interpellé sous des cris de protestation : "C'est la presse !
".
Interpellation de @GaspardGlanz#gaspardglanz journaliste indépendant. #GiletsJaunes#ActeXXIII#acte23#GiletsJaunesparis
— HORS-ZONE Press ⚠️ (@HZ_Press) 21 avril 2019
Vidéo intégrale : https://t.co/Ak6z6MQbLPpic.twitter.com/VA6QPPMmxg
"GAspard Glanz fait l'objet d'une forme de harcèlement"
Ce n'est pas la première fois que Gaspard Glanz se retrouve en tension avec les forces de l'ordre depuis qu'il couvre le mouvement des Gilets jaunes (et même avant, comme il le racontait sur notre plateau).
Le samedi 23 mars dernier déjà, sur le chemin du retour après avoir couvert la manifestation des Gilets jaunes, il avait été fouillé, interpellé, puis rapidement relâché, comme il racontait lui-même sur Twitter. Il a d'ailleurs filmé la fouille, dans une vidéo de 6 minutes qui le montre ouvrant son sac aux policiers et leur montrer ce qu'il contient (son matériel, sa trousse de premiers soins). La vidéo se termine lorsque Gaspard Glanz est emmené à l'antenne de la police de la gare du Nord par les deux fonctionnaires de police, qui lui expliquent qu'il est interpellé sur la base d'une fiche "J" (pour contrôle judiciaire), ce que Glanz confirmera plus tard dans un tweet. Lorsque le journaliste demande à savoir en quoi consiste cette fiche, les policiers lui répondent qu'il pourra en discuter avec "l'OPJ", l'officier de police judiciaire. La caméra est coupée à l'entrée du commissariat.
Trois semaines plus tard, l'avocat du journaliste, Raphaël Kempf, attend toujours des explications sur cette interpellation. "Il a fait l'objet d'une privation de liberté sur la base d'une fiche J
, explique-t-il au téléphone à Arrêt sur images
. Or, cette fiche concernait une affaire à Boulogne-sur-Mer
[il avait été interpellé à la jungle de Calais et placé sous contrôle judiciaire en octobre 2016, ndlr]. Cette affaire a pris fin, il est inadmissible que Gaspard Glanz soit encore inscrit au fichier des personnes recherchées alors que son contrôle judiciaire a été levé
". Les courriers envoyés à plusieurs autorités policières et judiciaires pour éclaircir cette fouille et interpellation, que Kempf estime "illégales"
, sont restés sans réponse, nous assure-t-il. Pour Kempf, pas de doute : "Gaspard Glanz fait l'objet d'une forme de harcèlement de la part des autorités policières et judiciaires. Cette histoire de fiche J en est un exemple. Sa fiche S en est un autre
".
Glanz ignore ce que contient sa fiche S
L'affaire de la fiche S remonte à bien plus longtemps. Comme nous le racontions à l'époque, Glanz découvre en 2016 lorsqu'il fait appel de son contrôle judiciaire (qui lui a valu la fameuse fiche "J"), qu'il est également fiché "S" pour "Sûreté de l'Etat". Fin 2017, les avocats du journaliste indépendant ont assigné en justice le Conseil d'Etat pour faire effacer cette fiche "S". L'audience s'est tenue le 11 février dernier, a huis clos pour cause de secret-défense, à laquelle Gaspard Glanz et ses avocats n'ont pu participer, comme ils l'ont fait savoir dans un communiqué rendu public par Taranis News. Une audience au terme de laquelle le Conseil d'Etat a donc refusé l'effacement de la fiche "S", "sur la base d'éléments (que je ne connais pas), fournis par le Ministère de l'Intérieur
", fulmine-t-il le 28 février dernier.
Une décision dont la journaliste des Jours
, Camille Polloni, n'a pas manqué de pointer l'absurdité :
La journaliste sait de quoi elle parle. Ayant découvert en 2017 qu'elle était fichée "S", elle avait mené un long combat judiciaire pour en connaître les raisons et la teneur de ladite fiche. Au terme d'une odyssée judiciaire, comme nous vous le racontions, on lui avait annoncé l'effacement de sa fiche... sans qu'elle puisse en connaître le contenu. Elle a depuis demandé l'ouverture d'une nouvelle enquête pour "collecte et conservation illégale de données, atteinte au secret des sources des journalistes, atteinte à la liberté individuelle
".
La garde à vue d’Alexis Kraland « passée à la trappe » par France 3
Interpellé lui aussi samedi matin lors de l’acte 23, le journaliste indépendant Alexis Kraland a passé pour sa part 8 heures en garde à vue samedi 20 avril. Lundi, il donne une interview à France 3 sur son arrestation, sa garde à vue et " plus largement sur la répression contre les journalistes "
, mentionne-t-il. Le reportage de France 3 doit être illustré par des images tournées par un confrère photographe lors de l’arrestation de Kraland, gare du Nord. " On voit sur ces images que je suis entouré par deux policiers, on entend un policier me demander de lâcher ma caméra, de la lui donner. On voit aussi qu’il y en a un d’entre eux qui me met des coups de matraque sur ma main qui tient la caméra "
, détaille le journaliste.
Le photographe qui a tourné ces images, Robin Jafflin, doit les vendre à France 3, afin qu'elles soient diffusées pour le 19/20 le soir même. Mais quelques heures après avoir négocié la vente de ces images, il apprend finalement que France 3 déprogramme le reportage. " On m'a finalement dit que le sujet était passé à la trappe "
, explique Jafflin, qui ne connait pas les motifs de cette suppression. En décembre 2018, le 19/20 de France 3 avait été épinglé pour avoir bidouillé une image, supprimant le texte " Macron dégage "
sur une pancarte brandie par un manifestant.
Jointe par ASI, une source à France 3 explique que le sujet a été abandonné en raison du profil des deux journalistes arrêtés. À la base, France 3 souhaitait montrer " qu’il y avait une volonté de cibler les journalistes en général "
, dit-il. La rédaction aurait annulé le sujet en apprenant que ni Glanz ni Kraland n’avaient la carte de presse. L’engagement politique des deux journalistes aurait aussi poussé France 3 à faire machine arrière, tout comme le motif de leurs interpellations. " Il y avait un doute sur ces deux personnes-là, tant par la non-possession de la carte de presse que par leurs arrestations qui peuvent être associées à des faits délictueux "
, explique-t-on. Outre le fameux doigt d'honneur de Glanz, Alexis Kraland a été trouvé en possession de miettes de cannabis -une quantité tellement faible que la balance n’a pas affiché de poids. Pourtant, si le motif de possession de drogue a d’abord été invoqué par la police, ni l'officier de police judiciaire ni le parquet n’ont retenu ce motif à l’issue de sa garde à vue. " Il n'y a pas eu intervention directe pour dire tu ne traites plus le sujet, c’est tout, mis bout à bout qui les ont convaincus que le sujet n'était plus si solide par rapport à l’angle de départ qui était : on s’en prend clairement et volontairement à la presse dans ce genre de manifestation "
, conclut notre source à France 3.
Mise à jour 22 avril : renoncement au reportage de France 3, et interdiction de séjour à Paris de Gaspard Glanz.