Gaspard Glanz à l'Elysée ? Chiche !
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 57 commentaires
J'étais exagérément pessimiste, hier, en relevant le défaut de soutien à Gaspard Glanz des rédactions des médias traditionnels. Dans la journée d'hier, 22 sociétés des rédacteurs, toutes pleines de titulaires de la carte de presse, signaient un appel de soutien au jeune journaliste indépendant, désormais interdit d'exercer son métier par la Justice française. Ne renonçant pas à mon mauvais esprit, je note cependant parmi les signataires l'absence des télés Bouygues et des télés Bolloré, ainsi que de l'hebdomadaire Le Point
, ce qui est cohérent avec ses doutes existentiels sur la qualité de "black bloc" de Glanz.
Notons encore que si la rédaction de France 2 a signé ce texte de soutien, le 20 Heures de la même chaine, mardi soir, n'avait toujours pas informé ses téléspectateurs de son sort, préférant participer à l'assourdissant concert médiatique sur le cri "suicidez-vous" (voir notre édifiant montage). A propos du délit "d'outrage" reproché à Glanz, un fil Twitter intéressant, à lire jusqu'au bout (attention, c'est plein de lien intéressants).
D'autres confrères préconisent des ripostes plus radicales. "Est-il possible, dans l’exercice de notre métier, d’accepter de se faire tirer dessus, matraquer et arrêter le samedi et de tendre un micro le lundi à celui qui nous entrave ?"
se demande le photojournaliste Yann Castanier, qui préconise un boycott par la presse de la communication gouvernementale, ou à tout le moins celle du ministère de l'Intérieur.
Sommes-nous à la veille d'un "soulèvement des rédactions" ? Quelles doivent en être les armes ? La pugnacité, ou le silence ? Dans une situation où le pouvoir rogne la liberté de la presse, vaut-il mieux l'interpeller, ou lui tourner le dos ? Je dois bien avouer que je suis partagé. La raison d'être d'un journaliste, c'est de filmer, enquêter, écrire, diffuser, publier. Et de questionner, aussi, les responsables politiques, même si cet aspect-là (autrement nommé "journalisme politique") a trop longtemps été dominant dans la presse française.
Mais il faut bien constater que dans les faits, sur ce site, nous avons quasi-totalement cessé de recevoir dans notre émission des hommes et femmes de pouvoir, trouvant plus intéressant d'analyser sans leur concours leurs actes, leurs décisions, et leur médiatisation. Pour être honnête, ce n'est pas seulement un choix théorisé. C'est aussi le résultat d'une lassitude personnelle progressive. En tant qu'intervieweur, la parole politique en général, avec ses esquives, ses automatismes, sa déconnexion du réel, m'est devenue insupportable, et je peine à comprendre comment des confrères peuvent encore tenter d'entrer en interaction avec elle, pour en extraire la petite phrase qui fera le buzz de la journée, et sera oubliée le lendemain. Mais je ne prétends l'imposer à personne. D'autant qu'il est bien d'autres réponses possibles. Tiens, par exemple, à l'instant où je termine ce texte, un confrère lance un appel aux medias, pour accréditer Gaspard Glanz à la conférence de presse de l'Elysée, demain, sur les conclusions du "Grand débat". Qui osera ?