Les figures des Gilets jaunes, entre la police et leur base

Tony Le Pennec - - 61 commentaires

1385 personnes ont été interpellées lors des manifestations de Gilets jaunes du samedi 8 décembre, et plus de 700 ont fini la journée en garde à vue. La répression touche aussi plusieurs figures du mouvement -François Ruffin a affirmé être dans le viseur de la DGSI. Par ailleurs Julien Coupat, acquitté en avril dernier dans le cadre de l'affaire de Tarnac, a été placé en garde à vue.

Julien Coupat en garde à vue "préventive", François Ruffin se disant dans le viseur de la DGSI, Eric Drouet objet d'une enquête : plusieurs figures proches du mouvement des Gilets jaunes ont fait l'objet, ces dernières heures, d'attentions policières et judiciaires. Du côté des Gilets jaunes, ces dernières 24 heures ont été riches en rebondissements et en frictions internes, notamment sur la question de la représentation du mouvement. 

Flixecourt ne veut plus de Ruffin

C'est le Courrier Picard qui l'annonçait vendredi : le député insoumis François Ruffin, rare politique qui semblait avoir les faveurs des Gilets jaunes, ne serait plus en odeur de sainteté à Flixecourt (Somme). Pour preuve, vendredi il n'a pas pris le bus avec les 63 manifestants de la ville dans laquelle une partie de son film Merci patron a été tournée. Quel bus ? Pour aller où ? Avait-il l'habitude de prendre ce fameux bus avec les Gilets jaunes de Flixecourt les jours précédents? L'article ne le dit pas. Mais il cite Christophe Ledoux, le nouveau porte-parole des Gilets jaunes de Flixecourt : "Il ne soutient pas notre mouvement, il veut être soutenu par notre mouvement", accuse celui-ci. Nouveau porte-parole ? Oui, puisque le Courrier Picard nous apprend également que Jeanine Depuydt, précédente représentante, a décidé de se mettre en retrait, estimant le mouvement "en voie de radicalisation". Elle a toutefois décidé, contre l'avis du collectif, de continuer à s'exprimer dans les médias nationaux. Elle n'y portera donc que sa propre parole. 

Pourtant, les Gilets jaunes s'exposant médiatiquement sans avoir été désignés comme porte-paroles s'exposent à se faire recevoir fraîchement à leur retour sur les rond-points. C'est ce qui est arrivé à Jean-François Barnaba (dont le matinaute parlait ici), Gilet jaune de l'Indre, qui a passé beaucoup de temps sur les plateaux télé ces derniers jours. 

De retour dans son département le vendredi 7 décembre, il a été reçu à coups d’œufs et de farine à un point de blocage de Châteauroux et a quitté le rond-point sous les huées, comme le raconte la Nouvelle République.  On lui reproche pêle-mêle la fréquence de ses apparitions médiatiques, et sa situation de salarié sans affectation du Conseil général de l'Indre, depuis dix ans, pour un salaire net de 2600 euros par mois, révélée quelques jours plus tôt par L'Obs.


Pas de Facebook live à Matignon

Sept autres représentants de Gilets jaunes, autoproclamés "Gilets jaunes libres" étaient pendant ce temps reçus par le Premier ministre Edouard Philippe à Matignon. Le courant de droite du mouvement y a exprimé ses revendications, sans que la rencontre soit diffusée en direct. C'était pourtant sur cette revendication qu'une précédente rencontre avec le Premier ministre avait capoté. Mais Jacline Mouraud, l'une des sept Gilets jaunes reçus à Matignon, est allée immédiatement débriefer la rencontre sur le plateau de Cyril Hanouna, sur C8. L'une des toutes premières figures à avoir émergé a expliqué que le Premier ministre a surtout reconnu des erreurs et a considéré que le malaise est "un malaise de reconnaissance", allant bien au-delà du pouvoir d'achat. Edouard Philippe reconnaîtrait-il par là des problèmes de dosage dans la distribution de flatteries et de stigmatisations de la part du pouvoir, comme le philosophe Dany-Robert Dufour l'explique cette semaine sur notre plateau

Le gouvernement semble avoir fait son propre tri entre "bons" et "mauvais" Gilets jaunes, comme les chaînes d'information s'évertuent à le faire depuis fin novembre. Samedi 8 décembre, moins de 24 heures après qu'une délégation du mouvement a été reçue par le premier ministre, une figure grenobloise du mouvement, Julien Terrier, était interpellé au cours de la manifestation, à Grenoble, comme le rapporte le Dauphiné Libéré dans son live de la journée. 

La veille, le domicile d'Eric Drouet, considéré comme un Gilet jaune "historique" était perquisitionné, suite à l'enquête ouverte par le parquet de Paris. En cause, son passage chez  BFM, mercredi 5, durant lequel il a appelé à entrer dans l'Elysée samedi 8 décembre. 


Drouet a depuis changé son fusil d'épaule en appelant à bloquer le périphérique, mais cela n'aura pas empêché la visite policière à domicile. 

Ruffin dans la ligne de mire de la DGSI?

Au-delà des Gilets jaunes eux-mêmes, leurs soutiens ne sont pas non plus épargnés par la répression. François Ruffin, en live d'un parking de Norauto, assurait samedi matin que "la DGSI montait un dossier" sur lui "pour sédition". Le député LFI, même lâché par les Gilets jaunes de Flixecourt, semble donc représenter un danger du point de vue des services de renseignement (si l'information se révélait exacte, Ruffin ne précisant pas ses sources). Citant quelques-uns des cas évoqués ci-dessus, le député parle de "resserrement autoritaire de la caste".


Dans toute la France, 118 manifestants ont été blessés lors des manifestations du 8 décembre, ainsi que 17 policiers et gendarmes. 1385 personnes ont été interpellées lors ou en amont des manifestations, et plus de 720 placées en garde à vue. Parmi elles, Julien Coupat, arrêté dans la matinée alors qu'il circulait en voiture dans le XIXe arrondissement de Paris. Les policiers auraient retrouvé dans sa voiture de la peinture, un masque de chantier et un gilet jaune. "La réglementation impose d’avoir un gilet jaune dans son véhicule !", a raillé l'avocat du militant, relaxé en avril dernier dans le procès de l'affaire de Tarnac. Comme beaucoup, Coupat a été placé en garde à vue pour "participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations". Un délit créé en 2010 dans le cadre de la lutte contre les bandes (et qui roupilla de longues années sans application, comme nous le racontions ici), qui permet d'interpeller des personnes avant même qu'elles n'aient commis des actes répréhensibles.

La répression s'est aussi déployée contre l'ensemble du mouvement des Gilets jaunes, avec un dispositif entièrement revu pour faire face à la manifestation de samedi, à Paris comme en province. Au programme, blindés de gendarmerie, interpellations très nombreuses en amont et pendant la manifestation et forces de l'ordre plus offensives. Une stratégie dont BFM est tombée amoureuse, qui permet que  "force reste à la loi", comme le déclare le journaliste maison Dominique Rizet. Face à cette stratégie plus offensive des forces de l'ordre, plusieurs groupes de manifestants se sont mis à genoux, mains sur la tête, pour reproduire la scène de l'interpellation de plus d'une centaine de lycéens de Mantes-la-Jolie, jeudi 6 décembre. Une mise en scène que BFM considère comme "un geste d'apaisement" de la part des militants, ne semblant pas comprendre la signification du geste. 

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