La Macronie en état de peur

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 148 commentaires

Cette vidéo !  Cette vidéo qu'on se repasse en boucle, depuis hier soir, sans y croire tout à fait.

Cette image de lycéens de Mantes-la-Jolie agenouillés, mains sur la tête, traités en prisonniers de guerre. Cette vidéo dont une députée LREM, Cendra Motin, assurait la veille au soir sur BFM , face à la députée LFI Danielle Obono, que c'était une "fake news".  Cette scène dont l'authenticité est pourtant attestée par l'AFP, et dont Libé  retrace partiellement l'origine

On ne sait pas ce qui s'est passé juste auparavant, pour qu'une centaine de lycéens se retrouvent ainsi agenouillés. Evidemment il y a des justifications policières (deux voitures ont été incendiées, des policiers caillassés, des bonbonnes de gaz jetées dans des bennes à ordures en feu). Evidemment, la préfecture et le gouvernement font valoir qu'aucun lycéen n'a été blessé -jusqu'à preuve du contraire, c'est vrai. Mais l'image restera. A l'embrasement social, il ne manquait que cette scène de guerre dans les banlieues populaires.

"Voilà une classe qui se tient sage", moque une voix de policier dans la vidéo, sarcasme où l'on entend la revanche de la tension des heures précédentes. "On tourne pas la tête, on regarde droit devant" dit un autre. Cette vidéo, BFM s'est bien gardée de diffuser, dans ses premiers reportages de ce vendredi matin sur les exactions et la répression de Mantes-la-Jolie. Pourquoi ? Les journalistes de BFM sont-ils les seuls à ne pas l'avoir vue ? Les moqueries des policiers ont-elles paru insoutenables ? Faut-il croire, comme nous le remarquions hier, que les vidéos "amateur" ne sont diffusables que lorsqu'elles montrent les forfaits des manifestants ?  Il est vrai qu'elles ne cadrent pas avec la narration de la police harcelée par les insurgés, narration dominante sur les chaines d'info continue, à mesure que monte la peur de "l'acte IV", comme ils disent.

Ce qui gouverne la Macronie tout entière, ces derniers jours, c'est la peur. La peur que trahit la réquisition de douze blindés de la gendarmerie pour samedi. Que trahit encore cette information , qui circulait déjà ces jours derniers, selon laquelle la police a reçu cette fois mission d'aller "au contact". Fini les "fanzones" où l'on pouvait taguer et casser tranquilles. Dans le corps d'une dépêche de l'AFP, on apprend incidemment que ce changement de stratégie pourrait provoquer "des blessés, voire des morts". Bref, se met en place le paysage d'un état qui n'avoue pas son nom. Etat d'urgence ? Etat de siège ? Etat d'exception ?

Etat de peur, en tous cas. Sortant d'une inspection des troupes "attaquées à l'Arc de Triomphe" samedi dernier, le ministre de l'Intérieur Castaner s'avoue"encore dans l'émotion de la puissance de ces témoignages. Ils ont assumé d'avoir eu peur, je leur ai dit que j'étais fier d'eux."  Et la peur ruisselle de tout en haut, de la peur suprême du président lui-même, cloitré à l'Elysée après avoir été hué deux fois de suite, à Paris et au Puy-en-Velay, qui faisait savoir à l'AFP sa peur de voir des milliers de manifestants venir "casser et tuer" à Paris, et que la presse décrit poliment "préoccupé".

Cette peur, dont le mot n'est jamais prononcé, il en est un qui l'a pourtant candidement confessée. C'était avant-hier soir, dans un happening de BFM, arbitré par Ruth Elkrief et Bruce Toussaint. Elkrief et Toussaint venaient de se voir rappelés à leur responsabilité de pyromanes par l'ancien syndicaliste des Continental Xavier Mathieu et, plus timidement, par le député LFI Alexis Corbière. L'émission se terminait. Et Mathieu, face au chef des députés LREM Stanislas Guerini, se lança.

"J'assume le fait d'avoir peur" : formidable Macronie, machine à assumer tout, la peur comme le reste. Qu'elle assume sa peur, ne signifie pas qu'elle ne réprimera pas. Elle assumera la répression, comme la peur.

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