Karachi : premier lien entre les commissions et l'attentat (Mediapart)
Dan Israel - - 0 commentairesA chaque jour sa nouvelle déposition explosive dans le dossier Karachi. Après le témoin impliquant Nicolas Sarkozy ; après l'ancien ministre confirmant que des commissions versées pour vendre des armes au Pakistan revenaient sous forme de rétrocommissions pour financer illégalement la campagne de Balladur en 1995 ; voici le témoin liant, pour la première fois, l'arrêt du versement des commissions vers le Pakistan et l'attentat qui a coûté la vie à onze employés de la Direction des constructions navales (DCN) à Karachi, en mai 2002.
A chaque jour sa nouvelle déposition explosive dans le dossier Karachi. Après le témoin impliquant Nicolas Sarkozy ; après l'ancien ministre confirmant que des commissions versées pour vendre des armes au Pakistan revenaient sous forme de rétrocommissions pour financer illégalement la campagne de Balladur en 1995 ; voici le témoin liant, pour la première fois, l'arrêt du versement des commissions vers le Pakistan et l'attentat qui a coûté la vie à onze employés de la Direction des constructions navales (DCN) à Karachi, en mai 2002. |
Mediapart publie aujourd'hui des extraits d'une audition effectuée hier jeudi par le juge Renaud Van Ruymbeke, qui a interrogé Michel Mazens, "PDG entre 1995 et 2006 de la Sofresa, société chargée de négocier au nom de l'Etat français de grands contrats d'armement, (…) nommé à ce poste par Charles Millon, ministre de la défense choisi par Jacques Chirac après son élection en mai 1995. M. Mazens avait succédé à Jacques Douffiagues, jugé trop proche des balladuriens."
Mazens a confirmé qu'il lui avait été demandé par le nouveau pouvoir de stopper le paiement de certaines commissions, dont celui lié à la vente de trois sous-marins au Pakistan en 1994. Il raconte comment Dominique de Villepin, secrétaire général de l'Elysée, lui a demandé d'ordonner à Dominique Castellan, le directeur de DCN-I, la branche commerciale de la DCN qui construisait les sous-marins, de cesser de verser les commissions : "Un soir, je suis ainsi allé voir M. Castellan dans son bureau pour lui faire part de la directive de M. de Villepin. Il a réagi en me disant que pour lui c'était compliqué car c'était faire courir des risques à ses personnels. J'ai appris par la suite que M. Castellan s'était fait confirmer ce que je lui avais dit en interrogeant la DGSE."
Pour Mediapart, "l'information est capitale" : "en d'autres termes, dès 1995, l'Etat français aurait été conscient du fait que stopper le versement de certaines commissions dans le cadre du contrat Agosta était susceptible de faire courir des risques aux employés de la DCN".
C'est le premier témoignage étayant la thèse du lien entre la cessation de versement des commissions et l'attentat. Jusqu'à présent, cette thèse reposait surtout sur une construction intellectuelle. En 2009, le juge Marc Trévidic avait qualifié cette piste de "cruellement logique". Elle avait été évoquée en 2002 dans un rapport secret de la DCN, révélé par Mediapart en septembre 2008, puis par Le Point en décembre de la même année. L'ancien directeur financier de la DCN, Gérard-Philippe Menayas, qui vient d'impliquer Nicolas Sarkozy, imaginait la même chose dans un mémo livré à la justice en avril 2008.
Interrogée par Mediapart vendredi matin, Magali Drouet, l'une des porte-parole du Collectif des familles des victimes de l'attentat, a annoncé qu'elle demanderait à son avocat Me Olivier Morice "de déposer plainte contre l'État français, contre Jacques Chirac, Dominique de Villepin, Dominique Castellan et Jean-Marie Poimboeuf, dans leurs fonctions respectives d'ancien président de DCN-I et président de DCN, pour mise en danger délibérée de la vie d'autrui et homicide involontaire".