Chouard, Soral, Bricmont : "pourquoi les gratifier d'une telle importance ?"

La rédaction - - 291 commentaires

Par IT, @sinaute

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"Les disputes entre Soral, Dieudonné et Chouard ont autant de valeur que l'opinion politique de Francis Huster." A la suite de notre observatoire sur les troubles au sein du mouvement pour la 6e république causés par la position confuse d'Etienne Chouard vis-à-vis d'Alain Soral, un @sinaute s'est longuement interrogé sur la place prise par ces figures politiques nées sur Internet. Donne-t-on, notamment à @si, trop d'importance à ces "éditorialistes underground" qui n'ont rien à envier à leurs confrères télévisuels ?

" A la suite de notre observatoire sur les troubles au sein du mouvement pour la 6e république causés par la position confuse d'Etienne Chouard vis-à-vis d'Alain Soral, un @sinaute s'est longuement interrogé sur la place prise par ces figures politiques nées sur Internet. Donne-t-on, notamment à @si, trop d'importance à ces "éditorialistes underground" qui n'ont rien à envier à leurs confrères télévisuels ?

Autant je suis scié par l'omniprésence des baudruches médiatiques à la BHL, Fourest, Ferry, Finkielkraut, Zemmour, etc, autant je m'afflige du poids de leurs équivalents dans la contre-culture internaute : les Soral, les Bricmont, les Chouard, et tous ces machins. Je pense qu'il faut avoir sévèrement la tête dans le clavier pour les gratifier d'un telle importance.

Le public d'@si, en tout cas la population de ses forums, me semble de plus en plus issue de petits réseaux ou communautés d'opinion en gravitation autour de quelques têtes-à-opinions (pseudo-penseurs ? polémistes ? pamphlétaires ? leaders ? guides ? popstars ? comment appeler ces rôles émergents ?) saillantes dans un champ spécifique qui peut être celui de la contestation internaute semi (ou pas du tout) cultivée : une sorte de monde parallèle et symétrique au mainstream, qui, sans lui être meilleur pour deux sous, y offre à peu de frais des mécanismes équivalents pour ceux qui se sentent exclus par les médias dominants. Bref, une zone où des crapoteux que même la télé rejette peuvent s'épanouir, et trouver un fanclub qui s'identifie à leur statut. Dieudonné et Soral, comme éditorialistes underground, remplissent tout à fait cette fonction.

Le "Quenelle-Business" de Dieudonné

"Arrêt sur images", entreprise exilée sur ce nouveau monde virtuel libertaire et anarchique, fait partie de cet univers : il représente une alternative-aux-médias-dominants, dont on attend une subversion salvatrice. Il draine donc une clientèle qui partage cette identité victimaire/subversive/révolutionnaire, qui cherche un refuge dans les "médias alternatifs" voire chez les "penseurs alternatifs", et découvre avec colère et confusion que ça ne définit pas une solidarité : chacun arrive avec le rejet d'un différent aspect du mainstream (parmi les réfugiés sur internet, les uns se sentaient oppressés dans leur expression anticapilatiste, les autres dans leur expression écologiste, d'autres dans leur antisémitisme, d'autres dans leur islamophobie, dans leur homophobie, dans leur sexisme, dans leur féminisme, dans leurs perspectives de carrière, etc), et ces rejets ne sont pas tous compatibles. Le lepéniste qui se sent opprimé par Le Système va s'abonner à un site qui critique Les Médias et y entrer en collision avec l'antifasciste arrivé par la même logique, mais pour qui Le Système et Les Médias se définissent -et se critiquent- différemment. Tous deux (et les autres) vont tenter d'investir ce champ critique ou, plus généralement, cette zone "souterraine", perçue comme à réinventer avec une liberté de pensée et d'expression que la "surface" ne permet plus.

"L'impression qu'@si s'inscrit dans une sorte de cartographie du subversif"

Du coup, j'ai l'impression qu'@si s'inscrit dans une sorte de cartographie du subversif, faite de zones antagonistes mais partageant un même territoire. Et le sentiment que sa perspective (son champ visuel), et la perspective de cette population, s'adapte à ce milieu. Exactement comme les blogueurs de youtube en viennent à constituer un réseau de mini-célébrités complices ou ennemies, mais de proximité, et donc de grandes importances mutuelles ; exactement comme les éditorialistes des grands médias en viennent à dialoguer les uns avec les autres en s'entre-légitimant même dans le dénigrement ; @si et ses foules en viennent à se vivre en référence aux grandes figures de leur microcosme underground partagé. Et on en arrive à des Bricmont, des Chouard, des Soral, tellement importants qu'il nous faut absolument connaître les dires des uns et des autres, les fluctuations de leurs alliances, leurs opinions mutuelles. Les grandes nouvelles géopolitiques de l'univers alternatif français. Le forums, les articles, les émissions, deviennent de plus en plus la caisse de résonance de ces interactions entre personnalités qui -voilà mon problème- ne méritent pas plus d'attention qu'un BHL ou un Morandini.

Vidéo d'Usul qui prenait la défense de Chouard (avant de se rétracter)

Ma question est : qui se soucie de l'opinion de Chouard sur Soral ? Ce n'est pas une question rhétorique, au sens de "ne nous en soucions pas", même si une réponse est, en l'occurrence, "sacrément pas moi, et toi ?" C'est plus précisement une question sur "pourquoi ces noms-là prennent-ils une telle place et une telle importance sur @si, site et forum ?". Quelle lentille spécifique, partagée par quel microcosme, les grossit à ce point ? Ou quelqu'un veut-il me faire croire que ces guignols-là sont les Penseurs Majeurs du XXIe Siècle Francophone, les Rousseau-et-Voltaire de Notre Temps, les Sartre-et-Foucault dont les postures et évolutions seront disséquées a postériori pour comprendre les évolutions philosophico-politiques de notre époque ? Roger Moore oui, je veux bien, mais là franchement...

"Les disputes entre Soral, Dieudonné et Chouard ont autant de valeur que l'opinion politique de Francis Huster

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Donc non. Je ne trouve pas ces choses-là sérieuses. Je les vois comme une évolution peut-être inévitable d'@si et de l'internet, mais je ne partage pas du tout le sens des priorités qui fait de ces espèces de guerre-des-blogs un élément fondamental de la vie politico-intellectuelle sur @si. Bricmont est antisémite, Soral et Dieudonné sont des pourris, Chouard un idiot ? C'est absolument sans importance. Les disputes entre Soral, Dieudonné et Chouard ont autant de valeur que l'opinion politique de Francis Huster et les derniers points de vue de Sophie Marceau sur Johnny Hallyday.

Et je pense que le @si des débuts, avant son articulation totale à cet internet alternatif (et l'invasion de ses forums par ses divers militantismes virtuels), les aurait traités en conséquence. Même si, à l'époque, ce sont d'autres conflits microcosmiques que la perspective @sinienne grossissait (oh les articles sur Morandini qui avait dit ceci cela).

Notre dossier Morandini, marchand de buzz

Je ne pense pas que beaucoup de gens partagent mon point de vue aujourd'hui, mais je soupçonne qu'une grande partie des forumeurs qui ont déserté la place ont ou auraient regretté cette évolution-là. Et auraient trouvé cet article de suivi "en direct" des fluctuations d'opinion d'un Chouard sur un Soral compètement vains.

Mais qui a mis en exergue ces gens là ? Pour les personnalités mainstream, je crois que ça va assez, on a pas mal d'études sur les systèmes, réseautages, filtres, qui maintiennent certains éditocrates et "bons clients" sur le devant de la scène. Un grand petit moment de télé, pour moi, était le commentaire de Pascsle Clarke à Daniel Schneidermann, sur "en aparté", où elle lui reprochait son claquage de porte comme "une erreur de débutant". Les professionnels de la profession savent se tenir, et ils savent faire copain.

Le commerce de "l'impression d'être plus intelligent que les autres"

Pour les "alternatifs", je ne sais pas bien comment ça se passe, et il serait intéressant de creuser ça. Je crois que les gens ont faim de "représentants", qu'ils ont particulièrement du mal à trouver dans un mainstream à la diversité appauvrie. Lorsqu'ils trouvent un orateur dans cet univers parallèle qui offre des discours "nouveaux" (qu'il s'agisse de nouvelles idées, ou d'idées déjà rances mais peu ré-entendues depuis la chute de Vichy), ils sont soulagés d'avoir quelqu'un à héroïser, ou un discours, une identité ("fan de") à endosser, qui peut servir de point de référence et de base communautaire (Dieudonné a même un signe de ralliement). Une sorte d'appel du vide, et une dynamique un peu gravitationnelle, qui va utiliser ces gens comme ancrage et leurs fans comme familles idéologiques. Et, bien sûr, dans certains cas, la validation (la re-normalisation) que cela permet d'idée ostracisées en surface (racismes, intégrismes, etc). Avec en bonus l'aspect aventureux de la minorité héroïque, la chaude solidarité plus ou moins sectaire qu'elle permet, et qui peut être précieuse dans une société largement atomisée.

Je crois aussi que le plus fort moteur de notre société est le commerce de "l'impression d'être plus intelligent que les autres", et les explications du monde offertes fournissent souvent ce sentiment de comprendre des coulisses opaques aux autres, d'identifier un ennemi à combattre que le reste du monde ignore. Je projette peut-être ma propre mentalité (cette vanité rend, à mes yeux, les sciences humaines particulièrement charmantes), mais j'ai le sentiment que cette motivation détermine beaucoup d'adhésion à des systèmes interprétatifs vécus comme minoritairement partagés (subjectivement : les gens que je connais, qu'ils soient de droite, de centre ou de gauche, néocapitalistes ou altermondialistes, croyants ou athées, féministes ou phallocrates,et qu'ils soutiennent un gouvernement élu ou un parti perdant, se racontent TOUJOURS comme minoritaires !). Un orateur qui surfe sur ce besoin-là peut fédérer pas mal de monde...

Globalement, je pense que ces différent mécanismes peuvent agglomérer pas mal de monde autour de connards dont la force principale est de n'avoir jamais honte de rien, de n'avoir aucune peur de se tromper, aucune gêne vis-à-vis de l'opinion contradictoire de pairs, aucune reconnaissance d'autorités supérieures sur le domaine sur lequel ils dégoisent. Je crois que cette gêne-là, cette inquiétude et humilité, est la principale barrière entre les individus et les grosses postures de leaders d'opinion... Et, en même temps, l'un des mécanismes de ces adhésions, dans le sens où des idées à la con peuvent être soudainement validées par une autorité choisie (précisément un con qui, n'ayant pas honte de ces idées, les autorise aux autres), ce qui peut-être tout à fait libérateur pour certaines personnes dont les opinions profondes ou les réflexes cognitifs ne sont pas "politiquement corrects".

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