Belattar et "Livre Noir" : le média zemmourien "séquestré" ?

Loris Guémart - Maurice Midena - - Intox & infaux - Investigations - 119 commentaires

Ce que dit la vidéosurveillance

Le témoignage d'un journaliste de la chaîne YouTube "Livre Noir", affirmant avoir été "séquestré" dans le théâtre de Dix heures après un spectacle de l'humoriste Yassine Belattar, a enflammé les réseaux sociaux. Son témoignage a été rapidement relayé par "Le Figaro" et CNews. Mais les récits d'une dizaine de témoins et les images de vidéosurveillance montrent un événement en-deçà de son récit dramatique.

Il est rémunéré en tant que journaliste depuis deux mois. Son média, la très zemmourienne chaîne YouTube Livre Noir, a quelques mois de plus, et attend son enregistrement en tant que service de presse en ligne. Jordan Florentin a cependant déjà été invité chez Jean-Marc Morandini ainsi que dans Touche pas à mon poste (TPMP), ce lundi 22 novembre. La raison ? Selon son témoignage, délivré d'abord samedi 20 novembre dans une vidéo (accompagnée d'un texte et de différents tweets du concerné ainsi que du directeur de la rédaction de Livre Noir, Erik Tegnér), le journaliste a, dans la nuit de vendredi à samedi derniers, été "menacé de mort" et "séquestré" par l'humoriste Yassine Belattar dans son théâtre parisien. Grille baissée et portes fermées, "entourés par Belattar, le producteur, le vigile, et une dizaine de membres du public (pro-Belattar) restés présents", Florentin assure que "Belattar est retenu de [le] frapper au visage par son garde du corps", mais aussi que "Belattar et son équipe [lui] font retirer sous leurs yeux la carte SD de [son] appareil". Dans ses différents témoignages, il assure aussi que Belattar l'a "clairement menacé de mort", et le cite lui disant "T'es la prochaine Mila". Son témoignage est fort, choquant, et fait dès dimanche 21 novembre l'objet d'articles dans le Figaro et Valeurs actuelles ainsi que sur CNews, entre autres.

Yassine Belattar (reçu sur notre plateau en 2016 et en 2018), dès le samedi 20 novembre, avait publié une "story" sur Instagram, dans laquelle il démentait l'ensemble des faits décrits dans le témoignage du journaliste de Livre Noir, affirmant notamment que Florentin n'était pas journaliste et avait menti à plusieurs reprises, notamment en se faisant passer pour les médias Konbini et Brut auprès de spectateurs qu'il interviewait. Pour y voir plus clair à propos de cet enchaînement d'événements concernant un média plus connu jusque là pour ses entretiens-fleuves avec des figures de la droite et de l'extrême droite, Arrêt sur images a joint les deux journalistes de Livre Noir présents au théâtre de Dix heures et leur directeur de la rédaction. Nous avons aussi contacté Belattar (reçu sur TPMP lundi soir juste après Jordan Florentin), son compagnon de podcast et coproducteur Thomas Barbazan, ainsi que leur agent de sécurité. 

Auprès d'ASI, onze spectateurs présents témoignent de leur colère envers les propos jugés mensongers du journaliste de "Livre Noir", neuf se disent prêts à le faire devant la justice – qu'ils soient pharmacien, ex-conseillère principale de l'Éducation nationale, fonctionnaire de mairie ou même ancien responsable politique communiste des Yvelines. Tous ont requis la protection de leur anonymat auprès des lecteurs, effrayés par l'ampleur de la polémique. Nous avons également pu visionner les vidéos (sans son) issues de la caméra de surveillance du théâtre filmant l'entrée, pendant cette heure fatidique. S'il apparaît que Jordan Florentin a bien été retenu pendant plus de 45 minutes, cette durée correspond en quasi-totalité à l'attente de l'arrivée de la police, prévenue par Belattar puis par Florentin dans les minutes ayant suivi le début de l'altercation. Quant au témoignage du journaliste, celui-ci apparaît par moment faux, à d'autres hyperbolique, ou relevant d'une interprétation qui diffère de celle fournie par les autres témoins présents.

Un reportage "en immersion" au spectacle

Retour en début de soirée. Il est 20 h 30 à Pigalle, une file d'attente se forme devant le théâtre. Florentin, accompagné d'un cadreur et porteur d'un micro au logo de leur média, interviewent les spectateurs attendant d'entrer. "Nous sommes Livre Noir, c'est un média qui ressemble sur la forme à Brut et à Konbini", assure avoir expliqué à chaque spectateur interviewé le journaliste de Livre Noir. Parmi les témoins, quelques-uns confirment à ASI, d'autres démentent : deux d'entre eux décèlent qu'il s'agit d'un média d'extrême droite et refusent de répondre ou demandent à être floutés, les autres ont répondu. Malgré la teneur des questions, entre autres : "Yassine Belattar est-il un islamiste ?" ; "Est-il un humoriste ou un homme politique ?" ; "Y-a-t-il du racisme en France ?". En "toute bienveillance", pour reprendre les termes du journaliste dans ses témoignages.

Lorsque vient le moment d'entrer dans le théâtre, Florentin présente un QR code en guise de pass sanitaire. Sur son application de vérification, le chargé de la sécurité lit que le pass est rejeté, mais surtout qu'il porte la mention "Adolf Hitler" (il présente ensuite un second pass, valide et à son nom). L'événement est confirmé par une spectatrice présente à ce moment-là, puis par l'ensemble des autres témoins, le sujet ayant été abordé à la sortie du spectacle – le journaliste prétextera alors la blague d'un ami, et refusera de le commenter auprès d'ASI. Lors du spectacle d'environ trois heures, Belattar interpelle Jordan Florentin et son cadreur comme d'autres membres du public, leur demandant leur profession – "On est chômeurs", répondent-ils ("Ce n'est pas illégal", commente à raison Florentin). Le rédacteur en chef prend une photo (interdite, elle, comme toute captation d'image pendant un spectacle de ce genre) de Belattar sur scène. Fin du spectacle à 1 h du matin. L'humoriste propose de serrer la main de son public à la sortie, et indique un espace de l'accueil où se placer pour pouvoir ensuite discuter avec lui ou prendre un selfie. Les deux journalistes s'y installent. C'est alors qu'un de nos témoins, connaisseur de Livre Noir, signale à l'homme de sécurité et à Thomas Barbazan qu'ils ont fait des interviews dans la file d'attente.

Les journalistes sommés de s'expliquer

Le chargé de la sécurité va les chercher, et les fait sortir à l'extérieur du théâtre. Au même moment, un spectateur prévient l'humoriste, dont le sourire des selfies se fige. "Belattar m'attrape par l'épaule, me ramène violemment à l'intérieur pour«s'expliquer avec moi». Conscient du risque, et vu l'intention physique de l'humoriste de me frapper, je lui propose immédiatement de supprimer nos rushes et de nous laisser partir", témoigne alors le journaliste. Sur les images de vidéosurveillance, comme dans les mots des témoins présents, nulle violence n'apparaît pourtant. Belattar se dirige à son tour vers la porte donnant sur l'extérieur, Florentin et son cadreur semblent entrer sans réticence particulière. 

Une explication commence alors, relativement calme. Belattar lui demande d'effacer ses images, et ce qu'il est venu faire dans son théâtre. La situation se tend soudainement, mais pas du fait de l'humoriste : plusieurs de la vingtaine de spectateurs visibles à l'image entourent le journaliste, fort mécontents lorsque Belattar leur explique ce qu'est Livre Noir – "un média d'extrême droite", appellation que Florentin rejette. Sa carte de presse est demandée, Florentin ne peut la présenter, n'en disposant pas encore faute d'avoir exercé plus de trois mois. À cet instant, quatre minutes se sont écoulées depuis que les deux journalistes de Livre Noir (Florentin et son cadreur) sont entrés de nouveau dans l'espace d'accueil. Selon Belattar, Florentin reste volontairement débattre. Il affirme pourtant s'être senti retenu.

Les spectateurs exigent la suppression de leurs interviews, s'estimant trompés, le journaliste refuse à plusieurs reprises, puis obtempère progressivement sous leur pression. L'humoriste demande alors à ce que la police soit appelée pour s'assurer qu'aucune image n'a été captée à l'intérieur, et à partir de cet instant, tant Belattar que la majorité des témoins admettent qu'il a bien été retenu jusqu'à l'arrivée des forces de l'ordre, environ 45 minutes plus tard. À la suite de Belattar, Florentin a aussi appelé la police, affirmant être pris en otage sous les quolibets des spectateurs présents, comme l'atteste une vidéo diffusée via la "story" Instagram de Belattar

Contrairement aux témoignages de Florentin, les portes ne sont pas verrouillées, des allées et venues permanentes du public sont visibles à l'image, et la grille du théâtre n'est abaissée que d'une trentaine de centimètres. Suit une quinzaine de minutes agitées, les spectateurs continuant d'exiger la suppression de leurs interviews, mais sans qu'aucun ne touche les journalistes ou ne les menace physiquement. Le journaliste finit par supprimer toutes les interviews réalisées avant le spectacle de la carte-mémoire de son appareil photo, ainsi que la photo de Belattar sur scène de son téléphone. Mais les spectateurs et Belattar ne sont pas convaincus que tout est définitivement effacé. Belattar réprimande Florentin et son cadreur avec virulence. Les deux journalistes répondent en expliquant qu'entre eux et Belattar, personne ne croira ce dernier – citation rapportée par plusieurs témoins. 


Des citations-choc... ou déformées 

Vient alors le cœur du témoignage du journaliste, tel que répété depuis plusieurs jours. Et le cœur, aussi, du désaccord entre le public et les journalistes de Livre Noir. Selon Florentin, Belattar lui aurait dit : "Là t'es dans la cage aux lions, t'es rentré dans la jungle, le lion c'est moi, il va te mordre maintenant. Je fais venir l'armée de terre pour toi". Une menace directe. "Yassine lui explique qu'il a voulu aller au zoo, prendre une photo du lion, puis aller dans la cage, sauf que le lion, il te mord", témoigne l'une des personnes présentes à propos de cette tirade relevant pour lui plus d'un constat (Florentin comptait faire un selfie avec Belattar) que d'une menace. Belattar demande alors à Jordan Florentin s'il est celui qui a réalisé le récent reportage de Livre Noir à la Cité des 3 000 d'Aulnay-sous-Bois, qui s'ouvre sur un jeune déclarant qu'ils vont "couper la tête" d'Éric Zemmour. Le journaliste confirme. La tension monte brutalement, l'humoriste appelle au téléphone "les jeunes d'Aulnay" selon le témoignage du journaliste. Belattar affirme avoir en réalité appelé le comédien natif d'Aulnay Steve Tientcheu, ce que ce dernier nous a confirmé. Celui-ci est mis sur haut-parleur, et raconte au public du spectacle que Florentin s'est présenté auprès des adolescents de la cité comme journaliste d'un média anti-Zemmour, ce que Florentin dément. 

Suit un sermon agité de Belattar à l'endroit de Florentin, d'une dizaine de minutes, et la fameuse tirade ayant entraîné le soutien public de Mila à Florentin. "Je vais te faire une Mila", aurait dit Belattar au journaliste. "La tirade a été déformée, assure un témoin. Il lui dit «Jordan, t'as 28 ans et t'es un branleur, t'es recherché dans le 93, t'es en train de faire de toi la future Mila». […] Il ne lui fait pas une menace de mort, mais une prise de conscience sur la gravité des actions qu'il entreprend." Selon plusieurs témoins, à cet instant, la peur des journalistes est réelle, et Florentin tremble tout en répondant parfois "de façon insolente". Belattar se rapproche de Florentin, visiblement très énervé. Florentin le tient quelques secondes éloigné avec son bras gauche. L'humoriste s'écarte de quelques centimètres, tandis que le chargé de la sécurité lui pose une main sur l'épaule. Dix minutes plus tard, l'homme de sécurité sort du hall, Florentin veut lui emboîter le pas, mais le vigile bloque la porte ouverte avec son pied, tandis que Belattar repousse légèrement Florentin du bras. Voilà la totalité des contacts de cette heure-là entre l'un et l'autre. Les minutes qui suivent sont nettement plus calmes. Le journaliste et son cadreur s'assoient avec Thomas Barbazan (le collègue de Belattar) sur un canapé, Belattar est à l'opposé de la pièce. 

Relai des médias de droite, prudence ailleurs

Lorsque les policiers arrivent, seuls restent une dizaine de spectateurs. L'humoriste s'emporte de nouveau, les policiers se font expliquer par les deux parties les différents griefs. Selon l'ensemble des témoins d'ASI encore présents, les policiers amènent la carte mémoire de la caméra à l'un des salariés du théâtre pour vérifier que les interviews en ont bien été supprimées. Selon les journalistes de Livre Noir, les policiers auraient en fait récupéré la carte-mémoire auprès de l'équipe du théâtre qui l'avait prise, ou plutôt confisquée, bien avant. "Yassine Belattar les accueille le premier en leur faisant savoir que Jordan Florentin a tourné des images sans autorisation, expliquant sa volonté d'obtenir leur suppression. Jordan Florentin, tout en contestant cette affirmation, consent finalement à s'exécuter", expose le Parisien en citant des sources policières ce 23 novembre – sollicitée depuis dimanche matin et à plusieurs reprises par ASI, la Préfecture de police de Paris n'a répondu à aucune de nos questions. 

"Sous les yeux des policiers, l'humoriste aurait verbalement pris à partie le journaliste, le menaçant de lui «mettre une patate» s'il ne «dégageait» pas du théâtre", poursuit le quotidien (ce que Belattar conteste). Le départ des journalistes se fait dans un calme relatif, Florentin oublie sa trottinette électrique dans la salle, et la déclarera pourtant volée le lendemain dans sa plainte aux policiers. Le journaliste n'a pas, contrairement à ce qu'il laissait entendre dans tous les médias, porté plainte pour "séquestration", comme l'a révélé le Monde. Ce que nous sommes en mesure de confirmer, la plainte portant, outre le "vol simple" de sa trottinette, sur les chefs de "diffamation", de "violence n'ayant entraîné aucune ITT", et de "menace de mort réitérée". Thomas Barbazan nous a expliqué avoir déposé dans la nuit une main-courante (que nous avons pu consulter) au commissariat, au cas où les deux journalistes auraient conservé des images. Samedi, les réseaux sociaux s'emballent autour des témoignages radicalement contradictoires de Florentin et Belattar, qui sort tout juste d'une polémique médiatique avec Éric Naulleau

Dimanche, quelques médias relaient, sans appeler Belattar. Lundi, Morandini et Hanouna se repaissent de la polémique – chez TPMP, où les deux hommes sont reçus tour à tour, les chroniqueurs se montrent nettement plus critiques envers Florentin qu'envers Belattar. Ce mardi 23 novembre au soir, Livre Noir a aussi diffusé un direct vidéo afin que son journaliste réponde aux propos de Belattar, passé après lui sur le plateau de TPMP. Dimanche, Florentin et Belattar se disaient tous les deux "sous le choc" auprès d'ASI. Aujourd'hui, Belattar se demande si l'esclandre n'était pas plus recherché que le reportage lui-même (ce que Livre Noir dément fermement). 

Il insiste sur le fait que si le journaliste avait vraiment voulu partir ce soir-là, il aurait pu le faire, en particulier avant que la police ne soit appelée. Florentin, lui, plaide la peur et le choc pour justifier d'avoir présenté un témoignage exagéré qui a laissé penser que la scène était plus proche d'un crime crapuleux (la séquestration est un crime passible de cinq ans de prison) que d'un moment certes extrêmement désagréable, mais pas dangereux, de sa jeune vie professionnelle de journaliste. Tous deux signalent avoir reçu des centaines de messages haineux via les réseaux sociaux.

"Livre Noir", résolument à droite, très à droite

Chez Livre Noir, le directeur de la rédaction Erik Tegnér met en avant le "passif violent" de Belattar (dont les emportements et les menaces ont fait l'objet de diverses enquêtes, notamment de Marianne et de Mediapart), et ne manque pas de signaler que son rédacteur en chef n'a pas bénéficié du même soutien des rédactions que les journalistes couvrant l'extrême droite ayant récemment été menacés ou censurés. Jordan Florentin se dit confiant à propos du rapport de police établi par les policiers venus au théâtre, et martèle : "Je n'ai commis aucun tort, sauf celui d'avoir voulu faire un reportage." Comme d'autres journalistes de Livre Noir, qui assume une ligne éditoriale engagée (à droite pour eux, à l'extrême droite pour beaucoup), Florentin a un passé politique récent. 

Jusqu'en juin dernier, il était conseiller en sécurité et en politique de la ville du maire LR du 17e arrondissement de Paris, Geoffroy Boulard, dont il avait été auparavant chef de cabinet adjoint. Il avait été aussi, en 2020, colistier du candidat aux municipales Charles Landre (divers droite) au Creusot (Saône-et-Loire) et est encore considéré localement comme un militant de l'opposition. Il est partisan d'une droite identitaire, selon le témoignage d'un observateur de la vie politique au Creusot. La proximité de Livre Noir avec Marion Maréchal a été établie par plusieurs enquêtes journalistiques.

Deux des journalistes de Livre Noir, Érik Tegnér et François-Louis de Voyer (l'intervieweur de leurs entretiens-fleuves) sont présentés par le Mondecomme des proches de Marion Maréchal. "À 28 ans, le premier, qui détient 40 % du capital de Livre noir, a passé plusieurs années à l'UMP et chez Les Républicains, promouvant l'union des droites. […] Le second militait au côté de la nièce de Marine Le Pen, Marion Maréchal, au sein du cercle Audace, un club d'entrepreneurs proche de l'ex-députée Rassemblement national", écrit le Monde. Slate, de son côté, revient plus longuement sur le parcours des deux hommes, et notamment sur celui, chaotique, de Tegnér chez LR, dont il a été exclu en 2019 pour des dissensions avec Aurélien Pradié, le nouveau secrétaire général du parti. Du troisième cofondateur, Swann Polydor, qui détient 20% du capital, on sait peu de choses, mis à part qu'il est développeur web et présenté comme le "geek" de la bande. Maud Koffler, la rédactrice en chef du site, est une ancienne chargée des relations presse et de la communication de Jean-Frédéric Poisson. "On est de droite, c'est notre ADN", revendique Tegnér auprès d'ASI. 

Côté financement, Livre Noir ne laisse guère de doutes quant à ses attaches intellectuelles. Comme le rapporte le Monde, le jeune média a levé plus de 300 000 euros depuis sa création, notamment auprès de Gérault Verny, un entrepreneur qui donne des cours à l'ISSEP, l'école privée de sciences politiques fondée par Marion Maréchal, et de Laurent Meeschaert, cofondateur du magazine L'Incorrect. La chaîne se finance également via la monétisation de ses vidéos sur YouTube et par une offre d'abonnements avec des contenus exclusifs. Reste un dernier moyen de financement : des partenariats rémunérés avec Terre de France, une entreprise qui fabrique des produits artisanaux "made in France" et dont les bénéfices sont reversés à des associations qui viennent en aide aux militaires et au monde paysan  un partenaire très prisé de la fachosphère. Livre Noir dispose aussi d'un partenariat avec la Furia, un projet de trimestriel porté par les youtubeurs d'extrême droite Papacito et consorts

Micro-trottoirs et grands entretiens

"On ne veut pas rester enfermés dans notre studio parisien", nous assure Tegnér. Dernier exemple en date avec la vidéo ayant fait l'objet de l'ire de Yassine Belattar, "Grand remplacement : la parole aux cités"un vaste micro-trottoir de 52 minutes près de la Gare du Nord et dans le quartier de Barbès à Paris, et à Aulnay-sous-Bois (93). Le reporter demande aux passants s'ils pensent qu'il y a "un problème d'immigration aujourd'hui en France" ou encore "le terme «grand remplacement» il est utilisé par […] Éric Zemmour, vous en pensez quoi ?", ce qui occasionne des réponses diverses, parfois nuancées… mais la vidéo s'ouvre sur deux jeunes en voiture qui lancent "Éric Zemmour on va lui couper la tête […] C'est la guerre avec nous, Éric Zemmour ! […] Éric Zemmour, on va te niquer ta mère !" au micro estampillé Livre Noir. 

"Je vois bien ce que vous pourriez reprocher à ce reportage, soupire Tegnér. Mais peu importe ce que vous en pensez, on est allés sur le terrain, dans la Cité des 3 000, où plein de journalistes ne veulent pas aller. On a fait un truc qu'aucun média ne fait, on a des images fortes. On est pas là pour dire s'il y a un grand remplacement ou pas. On est là pour donner la parole aux gens qui vivent là-bas." Jordan Florentin affirme l'avoir fait avec "bienveillance" – à l'instar des interviews de spectateurs de Yassine Belattar, donc. Cette bienveillance semble cependant toute relative quand on s'attarde sur la boucle Telegram du média : Livre Noir s'y vante en effet devant ses abonnés de "troller" les personnes interrogées dans le micro-trottoir, ou se moquent de l'accent d'un habitant de Saint-Denis.

Autre reportage plus qu'étrange : une "immersion" "au coeur du wokistan", à savoir… la fête de l'Humanité. On y voit Florentin interviewer des militants qu'il qualifie "d'ultra-gauche" et qui sont surtout des militantes LGBT. Aucun mot sur le traitement des questions économico-sociales et environnementales, pourtant centrales à la fête de l'Huma. Avec à la clé, encore une fois, une polémique portant sur la manière de se présenter du rédacteur en chef du service politique de Livre Noir. "Il s'est fait passer pour «un étudiant en journalisme qui fait un projet sur l'antiracisme»", a en effet témoigné le candidat à la présidentielle et syndicaliste Anasse Kazib sur Twitter ce 23 novembre, devant l'ampleur de la polémique touchant Yassine Belattar. "Il s'est présenté avec une fausse identité, non pas comme un journaliste et encore moins d'extrême-droite. Il a demandé «est ce que vous êtes anti français ? Pourquoi vous détestez la police ? Etc…» Cela a interpellé les militants qui ont demandé sa carte d'étudiant. Il a commencé à inventer un mensonge. Que c'était un ami qui avait sa carte etc." 

Depuis son lancement en février dernier, Livre Noir a d'abord multiplié les interviews au long cours. Dans un décor à fond noir avec fauteuil rouge, au croisement de Thinkerview et de Vivement dimanche. Plus d'une quarantaine de personnalités se sont prêtées au jeu de l'entretien-fleuve face caméra. Parmi elles, des youtubeurs adorés par la fachosphère : le défourailleur de mannequins gauchistes Papacito, le pousseur de fonte Baptiste Marchais et le nietzschéen et ancien frontiste Julien Rochedy (lesquels ont violemment critiqué et insulté Arrêt sur imagesdans une vidéo d'octobre dernier). 

Outre ces "néofascistes débonnaires", des noms de la politique et de l'intelligentsia de droite se sont succédé dans le fauteuil du jeune média : Eugénie Bastié et Ivan Rioufol du Figaro, Geoffroy Lejeune et Charlotte d'Ornellas de Valeurs actuelles, Florian Philippot, Marion Maréchal, Marine Le Pen – interviewée en voiture lors d'un de ses déplacements – Éric Ciotti, et surtout… Éric Zemmour. Une interview du presque-candidat à la présidentielle, pendant laquelle il laisse entendre sa possible candidature, a été le premier gros coup du média en ligne : diffusé en juin dernier, l'entretien a dépassé le million de vues. Avec plus de huit millions de vues et 145 000 abonnés sur YouTube, Livre Noir est l'acteur en vogue de la bataille culturelle des partisans d'une union des droites sous la bannière identitaire.

Sur l'autoroute zemmourienne

De l'accusation d'avoir un fort parti pris en faveur d'Éric Zemmour et de ses idées, Érik Tegnér s'agace : "Je suis déçu des journalistes. Quand ils nous appellent, ce n'est pas parce qu'ils sont intéressés par Livre Noir, mais parce qu'ils veulent pouvoir écrire un article avec le nom de Zemmour dans leur titre. Ils savent que ça va faire du clic." Et Tegnér de nous assurer que s'il parle autant de Zemmour, c'est surtout parce que ça fait de l'audience… comme les journalistes qu'il vient de critiquer pour cette même raison ? Quelle que soit la raison d'un tel engouement, Zemmour doit y trouver son compte : quoi de mieux, par exemple, qu'un documentaire de 46 minutes sur sa rencontre récente en Hongrie avec Viktor Orban, contenant une interview exclusive du polémiste dans l'avion l'emmenant à Budapest ? 

Tegnér et zemmour collés serrés ?

Selon Checknews, Erik Tegnér était pressenti pour diriger la campagne présidentielle d'Éric Zemmour avant qu'un différend financier ne vienne entacher le CV du créateur de Livre Noir. Libération révèle en effet que si le millionaire Charles Gave a retiré son soutien au polémiste, c'est parce qu'Eric Tegnér est accusé par Emmanuel Gave, la fille de Charles, de lui avoir fait payer quelques centaines d'euros en échange d'un service. La contrepartie ? Effacer tous les tweets de l'ancienne proche de Dupont-Aignan lorsque celle-ci était embourbée dans une polémique suite aux messages racistes qu'elle avait postés. Emmanuelle Gave a mal vécu de devoir payer si cher pour une opération réalisable en quelques clics, et pour quelques euros, via différents services disponible sur le net.

Zemmour est aussi le sujet principal de bon nombre d'entretiens proposés par Livre noir, comme ceux avec le politologue Jérôme Sainte-Marie ("Zemmour-Le Pen, l'enjeu des classes populaires"), avec Geoffroy Lejeune ("Zemmour président ?"), ou encore Marine le Pen ("Confidences sur Éric Zemmour"). Et même quand l'ancien chroniqueur n'est pas au cœur du sujet, on interroge les autres invités sur son cas. Livre Noir a également proposé un micro-trottoir sur les pas du polémiste après son passage à Drancy, marqué notamment par cette séquence où il demande à une femme musulmane d'enlever son voile devant les caméras de CNews (voir notre montage ci-dessous). 

"Si on arrive à avoir des accès pour le suivre, c'est parce qu'on bosse comme des chiens, avec des tout petits moyens. Mais si on réussit, on dira toujours que c'est parce qu'on a des passe-droit" , plaide le directeur de la rédaction… tout en nous glissant être très ami avec Sarah Knafo, la plus proche conseillère de Zemmour. Une pirouette avec la réalité, comme pour le récit de l'altercation au Théâtre de Dix heures. 


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