Papacito, youtubeur fasciste à la Une

Loris Guémart - Paul Aveline - - 151 commentaires

Le youtubeur d'extrême droite Papacito a publié une vidéo où il se met en scène tirant à balles réelles sur un "gauchiste", électeur de Jean-Luc Mélenchon. La France Insoumise, empêtrée dans les dernières déclarations de son leader sur les attentats, annonce porter plainte. Les médias mainstream découvrent un influenceur à succès qui avait annoncé la couleur quelques jours avant : "Je pense que c’est la vidéo la plus violente que j’ai tourné de ma vie. C’était méga méga méga fasciste. C’était presque de l’ordre de l’inacceptable". Le parquet de Paris ouvre une enquête.

"Salut la commu', aujourd'hui on va tester si le gauchisme est pare-balles". Treillis sur le dos et couteau à la ceinture, le youtubeur d'extrême droite Papacito, de son vrai nom Ugo Gil Jimenez, lance sa dernière production avec un autre vidéaste, Code-Rheino (ou Code-RNO), spécialisé dans le maniement des armes sur sa chaîne YouTube. Entre les deux hommes, un mannequin porte un t-shirt orange barré des mentions "Mediacuck, dhimmi, je suis communiste". Le mot-valise "mediacuck" est une contraction des mots "média" et "cuck", qui signifie "cocu" en anglais. L'expression "dhimmi" désigne quant à elle les non-musulmans qui vivaient en terre d'islam au Moyen-Âge, aujourd'hui utilisée à l'extrême droite pour désigner ceux qui se soumettraient à l'islam. Papacito clarifie le but de la vidéo : "On va voir si le matériel de base du mec qui vote Jean-Luc Mélenchon va lui permettre de résister à la potentielle attaque d'un terroriste". Si le tout est présenté sur le ton de l'humour, et comme l'a repéré le journaliste Maxime Reynié sur Twitter, Papacito avait prévenu il y a quelques semaines sur Instagram : "Je pense que c’est la vidéo la plus violente que j’ai tourné de ma vie. C’était méga méga méga fasciste. C’était presque de l’ordre de l’inacceptable". Supprimée par YouTube dans la journée de mardi, la vidéo comptabilisait plus de 100.000 vues avant de disparaître. 

Le mannequin décapité 

Dans une litanie d'insultes sexistes et homophobes ("fils de pute", "fiotte"), les deux hommes présentent ensuite en rigolant ce qu'ils jugent être "l'attirail du gaucho" : quinoa, espadrilles, magazines de gauche (sont cités Libération et Les Inrocks) ou encore bière tiède, attirail qu'ils comptent installer sur le mannequin pour voir s'il arrête les balles. S'ensuit une séance de tirs à balles réelles sur le mannequin installé en extérieur devant un portrait de Che Guevara. Sans surprise, il finit déchiqueté par les balles, et sa tête explose sous l'effet des munitions de calibre 12, choisies par Code-Rheino car étant selon lui "les plus utilisées" en France, notamment par les chasseurs.

Conscient que la mise en scène choisie est violente, Code-Rheino entend désamorcer toute polémique, et prévient : "Le but n'est pas d'imager le fait de tirer sur un gauchiste. C'est un test balistique extrêmement scientifique, extrêmement technique pour savoir si un équipement pratique d'un gauchiste lambda peut résister." Une mise en garde purement cosmétique tant le ton de la vidéo est clair, comme lorsque Papacito, voyant le mannequin décapité, lâche : "Sans tête, [...] se prononcer en faveur de la GPA, PMA, bah c'est plus possible." Montrant l'arme qu'il tient à la main, il ajoute, sourire en coin : "Ce qui permet à votre utopie d'avoir une chance de se réaliser un jour, c'est du bon matos." Les deux hommes enchaînent ensuite en donnant tous les conseils nécessaires pour se procurer facilement des armes en France, notamment grâce à l'obtention d'un permis de chasse qui permet l'acquisition d'armes de catégorie C. S'ils assurent donner ces conseils pour permettre à chacun de se défendre contre "les sangliers", Papacito distille sa pensée par petites touches : "150 balles (le prix de l'arme que présente Code-Rheino, ndlr) pour se faire écouter, c'est pas cher payé." Mais c'est sans doute la dernière séquence qui est la plus violente. Alors que la vidéo se termine, on y voit Papacito se déchaîner à coups de couteau sur le mannequin, et lâcher dans un début de fou rire : "Purement scientifique !" Nous en publions des extraits ci-dessous. Attention, certaines images sont perturbantes.

Papacito entre dans les radars du grand public

Rapidement repérée par les réseaux sociaux, la vidéo de Papacito est massivement relayée, notamment sur Twitter où le nom du youtubeur entre dans les tendances dans la journée de lundi. La littérature concernant le youtubeur était plutôt rare avant sa dernière vidéo. En octobre 2019, ASI avait consacré un article à son amitié avec l'ancienne journaliste de Charlie Hebdo Zineb El Rhazoui. Nous évoquions alors son blog, "Fils de pute de la mode", où l'homme se déchaînait, sous couvert d'humour, contre les femmes, les homosexuels, les gauchistes etc. Plus récemment, Mediapart avait consacré un long article à ces youtubeurs d'un nouveau genre, qui mêlent leurs diatribes à l'humour pour, selon le journal en ligne, "distiller un discours néofasciste"

Mediapart notait que dans une interview donnée à VA+, la version jeune et cool de Valeurs actuelles, Papacito avait donné les contours de ses premières mesures s'il arrivait un jour au pouvoir: "Créer une cellule qui va purger tous les collabos. […] On réunit une flotte de camions […]. On fait des listes. 5 heures du mat’, perquiz'. Et là, on amène dans un centre de rééducation tous ces gens qui ont activement contribué à la destruction de la France. Déjà on nettoie, après on désinfecte." Une interview au cours de laquelle Papacito qualifiait également l'émission Quotidien ou l'association Sos Racisme de "forces de Satan"Avant cette semaine, le nom de Papacito était surtout cantonné aux médias marqués à droite ou à l'extrême droite. Depuis 2018, il a ainsi été invité de nombreuses fois chez Sud Radio, Valeurs actuelles, Boulevard Voltaire (il y est également auteur), ou encore Breizh Info. S'il n'a jamais atteint les plateaux de CNews, son nom a toutefois été cité par Éric Zemmour en personne, qui le considère comme "un ami" et a pris sa défense en pleine polémique sur le plateau de la chaîne d'opinion : "C’est une vidéo gaguesque. C’est une vidéo du deuxième degré, du troisième degré. Il se moque de lui-même, c’est de l’autodérision. C’est une espèce de dérision de la virilité". Depuis dimanche, les portraits de Papacito se multiplient dans la presse généraliste. La Croix, BFMTV, LCI, L'Obs ou La Dépêche du Midi ont tous publié le leur.

Mélenchon dénonce un "appel au meurtre" et dépose plainte

Après la publication de la vidéo de Papacito, la France Insoumise, nommément citée par le youtubeur, tout comme Jean-Luc Mélenchon, est rapidement montée au créneau. Le 7 juin, Antoine Léaument, responsable de la communication du parti et de son leader, relaye la vidéo de Papacito, estimant que "c'est une menace de mort claire et sans équivoque." Dans la foulée, les élus LFI Manuel Bompard, Mathilde Panot ou Adrien Quatennens lui emboîtent le pas. Aux alentours de 15 h, c'est finalement Jean-Luc Mélenchon en personne qui prend la parole lors d'une conférence de presse (disponible en replay sur YouTube). Le ton grave, le leader de LFI "lance l'alerte [...] après qu'un appel au meurtre ait été diffusé sur Youtube contre les électeurs insoumis"

Jean-Luc Mélenchon annonce par ailleurs une action en justice : "J’ai signalé cet appel au meurtre au commandant de la garde républicaine, qui veille sur nous, au Palais-Bourbon, siège de l’Assemblée nationale. Nous avons signalé ces images au système Pharos, qui pour l’instant n’a pas réagi. Nous portons plainte individuellement et collectivement à la faveur d’un document qui sera bientôt en ligne". Si les soutiens à Mélenchon se sont faits plutôt rares depuis quelques jours, les médias ont eux aussi eu parfois du mal à se positionner, à l'image de BFMTV qui retransmettait en direct la conférence de presse du leader insoumis avant de la couper brutalement alors que Mélenchon diffusait un extrait de la vidéo de Papacito. Retour en plateau, et regard visiblement gêné du journaliste François Gapihan : "Alors c'est ce qui s'appelle une manœuvre politique, et en réalité nous-mêmes en plateau sommes extrêmement gêné de ce qui est en train de se passer. [...] On est dans l'illustration absolue de ce qu'on appelle un contre-feu. Une tentative de détourner l'attention de la part de Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise, qui, visé par des critiques nées [...] de ses propos complotistes concernant les actes terroristes ou en tout cas les faits divers dramatiques qui peuvent survenir juste avant une élection présidentielle." Après cette interruption, François Gapihan annonce finalement retourner écouter Jean-Luc Mélenchon "en espérant ne pas avoir à subir la vidéo qu'il vient de montrer à l'instant"

Deux (ou trois) polémiques s'entrechoquent 

Si François Gapihan juge que la communication de Jean-Luc Mélenchon est un "contre-feu", c'est parce que le leader de gauche est pris dans une polémique depuis lundi matin. Interrogé sur France Inter, Mélenchon avait suscité la colère des associations de victimes d'attentat et de l'ensemble de la classe politique en évoquant les attaques perpétrées par Mohamed Merah en mars 2012, un mois avant l'élection présidentielle. Interrogé sur la présidentielle de 2022, Mélenchon avait commencé par déclarer qu'Emmanuel Macron avait été "inventé" par "le système" : "C'est le système qui l'invente. La dernière fois, Macron, il est arrivé au dernier moment. Là, ils vont peut-être en trouver un autre. Mais à chaque fois, ils en trouvent un, dans tous les pays du monde." Selon le verbatim réalisé par France Inter, et que nous confirmons, Jean-Luc Mélenchon a ensuite enchaîné sur les attentats : "De même que vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre. Cela a été Merah en 2012. Cela a été l’attentat la dernière semaine sur les Champs-Elysées ..." Interrompu par Nathalie Saint-Criq ("Ça veut dire quoi, ça ?"), Mélenchon continue : "Avant, on avait eu Papy Voise dont plus personne n’a jamais entendu parler après. Tout ça, c’est écrit d’avance. Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau... (il fait donc ici référence à Emmanuel Macron, et non à un éventuel terroriste, ndlr) [...] Nous aurons l’événement gravissime qui va une fois de plus, permettre de montrer du doigt les musulmans et d’inventer une guerre civile. Voilà, c’est bateau, tout ça." 

Une sortie que Jean-Luc Mélenchon évoque lui-même dans sa conférence de presse, estimant que la polémique née de son interview sur France Inter était une "odieuse manipulation de [ses] propos". Dans la journée de mardi, l'AFP envoie une dépêche titrée "Attentats et présidentielle : Mélenchon suscite l'indignation, attaque l'extrême droite". Elle est reprise par Libération, qui en change le titre : "Plainte après un «appel au meurtre» : la diversion de Mélenchon". Le quotidien indique : "Rien de mieux dans ces cas-là pour faire diversion que de créer une affaire de l’affaire, suivant l’adage de Charles Pasqua. La diffusion, quelques heures après d’une vidéo extrêmement violente mise en ligne par le youtubeur Papacito est tombée à point nommé." On notera que le célèbre adage est depuis longtemps attribué à Pasqua sans que la paternité de cette phrase n'ait jamais pu lui être formellement attribuée, comme l'expliquait BFMTV en 2017. Pour Le Monde, la conférence de presse de Mélenchon serait une "contre-attaque" après la polémique qui l'a visé la veille. Le journal du soir écrit : "De responsable d’une saillie douteuse aux relents complotistes, M. Mélenchon est ainsi devenu la victime potentielle d’une extrême droite violente." Sur CNews, plusieurs journalistes prennent la défense de Papacito lors d'un débat mené par Julien Pasquet, et en présence de Régis Le Sommier, directeur adjoint de la rédaction de Paris Match, de Jean-Sébastien Ferjou, fondateur d'Atlantico, de la journaliste Tatiana Renard-Barzach et de Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif pour Tous. Alors que cette dernière juge "extrêmement problématique" la vidéo de Papacito, Julien Pasquet la coupe : "Si vous regardez les posts de ce Papacito [...] c'est du 14ème voire du 15ème degré. Ce qu'il fait, c'est de l'humour qui plaît ou pas. [...] Je le prends plus pour un comique qu'autre chose." Régis Le Sommier intervient : "Y a pas marqué Mélenchon hein... C'est pas Mélenchon qu'il décapite dans la vidéo, il parle des gauchistes." 

Silencieux depuis la diffusion de la vidéo de Papacito, le gouvernement a finalement pris la parole, par l'intermédiaire du Premier ministre Jean Castex. À l'Assemblée, le chef du gouvernement a "condamné sans réserve" la vidéo, jugeant que "la haine, l’extrémisme, la violence sont irrémédiablement inconciliables avec nos valeurs fondamentales, avec notre projet politique." Une condamnation qui intervient alors que le président de la République lui-même a été giflé lors d'un déplacement à Tain-l'Hermitage, dans la Drôme. La scène, filmée et diffusée sur les réseaux sociaux, montre Emmanuel Macron allant serrer des mains dans la foule. Alors qu'il s'approche d'un passant, celui-ci lui attrape le bras de la main gauche, et le gifle de la main droite avant d'être maîtrisé par la sécurité du président. Une scène qui a poussé Jean-Luc Mélenchon à faire le lien avec les menaces proférées par Papacito. Dans un tweet posté dans l'après-midi du 8 juin, le chef de la France Insoumise déclare : "Est-ce que maintenant le gouvernement va enfin déclencher la Justice contre Papacito et sa vidéo d'appel au meurtre ?" Un message accolé aux hashtags #Tain et #Macron. Sur sa chaîne YouTube, Code-Rheino a répondu à Mélenchon dans une courte vidéo postée le 8 juin, dans laquelle il juge que le tribun "a fait sa petite chatte" et estime que sa vidéo était "impossible à prendre pour autre chose qu'une incitation à se préparer au pire". Il affirme par ailleurs que les signalements de sa vidéo aux forces de l'ordre sont inutiles, car la police "s'en branle". Il se targue par ailleurs d'avoir le soutien des policiers, et avoir déjà été convoqué (sans que l'on sache dans quel cadre) : "J'ai déjà été convoqué par la police, mais ils m'ont bien fait comprendre que c'était pour la forme, qu'il n'y avait rien d'illégal à ce que je faisais, et qu'il fallait que je continue".

De son côté, Papacito ne semble pas vraiment perturbé par la polémique. Sur son compte Instagram (qui compte à l'heure actuelle 65.000 abonnés), le vidéaste relaie les félicitations que lui a adressées Éric Zemmour sur CNews. Après avoir affirmé dans sa story Instagram qu'il serait sur le plateau de TPMP le 8 juin, il a finalement posté un message indiquant que cette invitation avait été "annulée". Joint par ASI, Cyril Hanouna nous a simplement confirmé qu'il ne "serait pas" en plateau dans son émission quotidienne. Papacito a finalement posté une image de testicules, accompagnée d'un court texte dans lequel il affirme avoir été "déprogrammé de TPMP à la demande des gauchos". Il s'exprimera en revanche en direct chez Valeurs Actuelles le 8 juin, comme l'a annoncé le magazine sur son compte Twitter

Dans la journée du 9 juin, comme l'a révélé 20 minutes, le parquet de Paris a finalement décidé de l'ouverture d'une enquête pour "provocation publique non suivie d’effet à la commission d’atteintes à la vie ou à l’intégrité des personnes".

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