"Les gilets jaunes ont fait apparaitre les classes populaires dans le débat public"

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En une soirée télé, les Gilets jaunes sont devenus des vraies personnes, avec un visage, une voix, des feuilles de paie, qu'elles ont parfois apportée sur le plateau de l'émission. C'est sur cette très instructive émission de LCI le 28 novembre, La grande explication, que nous revenons aujourd'hui, en croisant les approches de trois invités : Alexis Spire, sociologue spécialiste de la résistance à l'impôt ; Jérôme Fourquet, responsable du département opinion de l'institut de sondage IFOP ; Emmanuel Todd, démographe.

Mais qui sont donc les gilets Jaunes

On commence cette deuxième émission sur les Gilets jaunes par quelques extraits de La grande explicationsur LCI, émission de David Pujadas à laquelle Daniel Schneidermann a consacré une chronique. Ces Gilets jaunes invités aux métiers différents (aide-soignante serveuse, chef d'entreprise, chauffeur routier, intérimaire dans les transports) représentent "la France des fins de mois difficiles", "la petite classe moyenne", résume Jérôme Fourquet (qui a rendu une note d'analyse pour l'Institut Jean Jaurès sur les Gilets jaunes). Pour Alexis Spire, on parlerait plutôt de "classe populaire". Un mot qui "n'apparaît plus dans le débat public, les gens ne se reconnaissent plus dans cette catégorie", regrette Spire, auteur de Résistance à l'impôt, Attachement à l'Etat (Ed. Seuil).

Pour se faire une idée des catégories sociales dans lesquelles se développent les Gilets jaunes, on peut regarder l'impact des réformes budgétaires de Macron sur le pouvoir d'achat des ménages. "Une partie des plus pauvres n'est pas dans le mouvement", note Fourquet. Car ce sont justement ceux qui peinent à boucler leurs fins de mois qui craignent un appauvrissement. "Quand on regarde l'alignement politique des gens qui soutiennent les Gilets jaunes, c'est les électeurs du RN qui sont davantage soutiens des Gilets jaunes. Mais ce qui est vraiment drôle, c'est que [...] son électorat est train de s'aligner sur des concepts marxistes", note Todd. Fourquet, de l'IFOP, pointe aussi le poids de la "petite musique poujadiste", dans le sens historique du terme (dont Mathilde Larrère nous racontait l'histoire dans sa chronique) dans le discours anti-fiscal et le discours de défense des petits commerçants contre les gros. 

On se concentre sur la place importante des femmes dans les soutiens aux Gilets jaunes, qu'évoque Todd. "Dans les classes populaires, celles qui s'occupent des impôts, ce sont les femmes. Plus on grimpe dans la hiérarchie sociale, plus ce sont les hommes qui s'occupent des impôts", abonde Spire. Rien d'étonnant donc à la mobilisation des femmes.

Cynisme ou improvisation fiscale ?

Face à la colère des Gilets jaunes, comment nos invités analysent-ils les réponses du gouvernement ? Exemple avec la secrétaire d'Etat Emmanuelle Wargon, et sa proposition sur LCI d'une solution particulièrement complexe pour financer un changement de véhicule. "Quand il s'agit de doubler le CICE de 20 à 40 milliards, on fait pas de calculs fins. Quand on supprime l'ISF, on y va... Et puis là on nous parle de micro-crédit, de calculs fins, on nous dit que vous allez peut-être économiser sur le carburant", s'agace Spire.

Est-on dans du cynisme, ou de l'improvisation fiscale ? "Le débat politique sur la question fiscale est de plus en plus confisqué par la technicité sur la finance", regrette Spire. Pour Todd, le vrai problème se situe dans une "non-conscience des causes globales de ce sentiment d'asphyxie, de compression des revenus". Tout simplement : l'euro et les règles européennes. 

Y a-t-il une contradiction entre mobilisation des Gilets jaunes et conscience écologique ? Pas du tout, pour Jérôme Fourquet. "La prise de conscience écologique est réelle, elle touche tout le spectre de la société française". "Il y a le sentiment que l'écologie est un prétexte pour vider les poches", note toutefois Spire. "Si l'avenir de la société française c'est l'appauvrissement et la baisse du niveau de vie, les thèmes écologiques vont juste mourir", craint Todd de son côté.

 Dans les prémisses du mouvement : la limitation des 80 km/h sur les routes secondaires. Une limitation très médiatisée dans le 13 heures de TF1 de Jean-Pierre Pernaut. "Il y a l'idée qu'il y a un prétexte d'utilité publique qui justifie une politique", analyse Jérôme Fourquet. On note aussi les moments d'échange un peu vifs sur le plateau de LCI, par exemple entre un invité et la députée Amélie de Montchalin, bien en peine de situer le département au-dessus de l'Ain.

Une "stratégie du chaos" du gouvernement ?

Des membres du gouvernement et de la majorité affirment que l'extrême droite dévoie le mouvement des Gilets jaunes, à l'exemple de Christophe Castaner, Benjamin Grivaux ou encore Gérald Darmanin. Une "stratégie du chaos" pour Todd, pour qui ces propos sont des "provocations gouvernementales. "On joue en permanence avec le chiffon rouge" de l'extrême droite, analyse de son côté Jérôme Fourquet, qui s'est déjà penché sur la "sécession des classes favorisées" du reste de la société. C'est un autre point qui attire l'attention de Spire : "Pendant très longtemps on a conspué les syndicats, les partis, en disant qu'ils étaient corporatistes. Et là on voit que quand ils sont pas là, c'est compliqué à gérer. Et c'est le pari qui est fait par le gouvernement". Opposer un mur à ce mouvement qui n'est pas coordonné, ni organisé.

Pour Todd, ce renvoi à l'extrême droite est d'autant plus fallacieux qu'il considère qu'Emmanuel Macron pourrait être, plus encore que le RN "une menace pour la démocratie".

En écho, Spire s'agace : "Il y a un côté artificiel à vouloir politiser ce mouvement et le classer à l'extrême droite. C'est d'abord un mouvement social". Qui aura réussi à faire réapparaître dans le débat ces fameuses "classes populaires" si souvent ignorées.

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