Gilets jaunes : "Nous sommes les enfants du bicentenaire !"

La rédaction - - Pédagogie & éducation - 217 commentaires


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Sur les réseaux sociaux comme sur les plateaux de chaînes d'information en continu, à propos de laïcité, d'islam, d'islamisme ou d'islamophobie, comme à propos des Gilets jaunes, la violence verbale, en cet automne, est partout. Pourquoi tant de haine? Est-ce la tenaille infernale des réseaux sociaux et des chaîne d'infos qui hystérise le débat public ? Est-ce lié au contexte de recomposition politique et aux affrontements fratricides, qui sont toujours les plus sanglants? Questions à nos invités : Jérôme Rodrigues, gilet jaune qui a perdu l'usage de son oeil en janvier dernier; Alexis Corbière, député France Insoumise et auteur de Jacobins! Les inventeurs de la République. Avec nous également notre chroniqueuse, l'historienne Mathilde Larrère, qui reviendra sur l'Affaire Dreyfus.

"Quand tu déposes le singe, laisse au moins les bananes"

Comment en arrive-t-on un beau jour à entendre la journaliste Zineb El Rhazoui  expliquer tranquillement sur CNews qu'il faudrait "tirer à balles réelles" dans les banlieues ? "Ce qui est violent, de plus en plus, c'est la société, répond Alexis Corbière. On est aujourd'hui à 9,3 millions de gens qui vivent sous le seuil de pauvreté". Et c'est encore pire sur les réseaux sociaux, constate Jérôme Rodrigues, avec une formule énigmatique : "Facebook c'est une horreur. Il n'y a rien de tel que le contact physique pour se parler. Quand tu déposes le singe, laisse au moins les bananes.". Pour autant, la société était-elle vraiment moins violente auparavant? Corbière se souvient des années 1980 : "On se cassait la figure entre colleurs d'affiche".  

"Ils en ont parlé" : de dreyfus hier... 

Dans sa chronique, Mathilde Larrère revient sur l'Affaire Dreyfus, cet officier juif condamné en 1895 pour trahison grâce à de fausses preuves, avant d'être innocenté en 1906 au terme du long combat des "Dreyfusards". À son paroxysme en 1899, l'affaire révèle les profonds clivages de la France de la Troisième République, la question divisant "toutes les familles politiques, toutes les classes sociales, presque toutes les rédactions de journaux, mais aussi les familles, comme le montre le fameux dessin de Caran d'Ache 'ils en ont parlé'". L'affaire va également provoquer une recomposition du paysage politique et de la gauche, qui se redéfinira autour de la nécessité de combattre le racisme. 

...du voile aujourd'hui

Si la question de l'antisémitisme a redéfini la gauche, qu'en est-il de l'islamophobie ? Laura Raim identifie les trois positions en présence dans le camp de la gauche : les membres, souvent (ex) socialistes, du Printemps républicain, "qui défendent théoriquement la laïcité mais sont obsédés par l’islam"; les représentants de la France insoumise, qui ne souhaitent pas, par exemple, empêcher les mères voilées d’accompagner les sorties scolaires, mais "estiment que les polémiques autour de l’islam détournent des vrais sujets qui importent, c’est à dire de la question sociale", et enfin, les militants de l’antiracisme politique, "qui considèrent que les attaques contre les femmes voilées ne sont pas juste une tactique pour divertir l’attention pendant qu’on baisse les pensions de retraite mais le reflet d’un racisme profondément ancré, hérité de l’histoire coloniale".

La présence d'Alexis Corbière et de Jean-Luc Mélenchon à la manifestation du 10 novembre contre l'islamophobie a en tout cas suscité de violentes critiques de la part du Printemps républicain, les accusant de "trahir" l'esprit Charlie. Pour le député, qui se dit toujours aussi attaché au principe de laïcité, sa participation à la manifestation suite à l'attentat de la mosquée de Bayonne ne constitue en rien un déplacement de la France Insoumise sur la question. Et Amine El Khatmi, le président du Printemps républicain qui les accuse  est "un salaud" de confisquer la mémoire des morts.

"Le voile ça suffit, tranche Rodrigues. C'est la maman de mon copain de la cité de confession musulmane qui partait faire le marché et qui mettait son fichu. Et c'est ma grand-mère, au Portugal, qui est chrétienne, qui partait au marché et qui mettait le même fichu sur sa tête".

Les Gilets jaunes, "enfants du bicentenaire"

Avant l'Affaire Dreyfus, la Révolution française a connu son lot de luttes fratricides, par exemple entre Danton et Robespierre, les deux figures les plus célèbres de la Montagne. L'occasion de redécouvrir un extrait d'un téléfilm de 1989,  "La Révolution Française - Les Années Lumières et Les Années Terribles" de Robert Enrico et Richard T. Heffron.  Aussi bien Alexis Corbière que Mathilde Larrère sont atterrés par la narration "psychologisante" et "caricaturale" du film, qui sert le même discours de propagande conservateur que l'on oppose aujourd'hui aux Gilets jaunes : "Quand un peuple se met en mouvement, il serait intrinsèquement violent", dénonce Corbière. 1789-2019, même combat?  "Nous sommes les enfants du bicentenaire, affirme de son côté le Gilet jaune Jérôme Rodrigues. Beaucoup disent, dans le mouvement : on ne refait pas 1789, on ne fait que continuer 1789".

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