L'étoile, les blessés, et les furieux

Daniel Schneidermann - - Pédagogie & éducation - Le matinaute - 217 commentaires

Les manifestants contre l'islamophobie de dimanche, à Paris, n'ayant malencontreusement cassé aucune vitrine, ni égorgé aucun enfant, il fallait donc trouver autre chose. Ce fut cette photo, de la sénatrice EELV Esther Benbassa, aux côtés d'une fillette arborant, sur son anorak, une étoile jaune (à cinq branches) marquée "musulman". Une étoile jaune ! Quel scandale ! Quelle honte ! s'exclamèrent en choeur des furieux professionnels, et des blessés sincères (qui sont parfois les mêmes, je sais, rien n'est simple). De quel droit oser une référence à la shoah ! Et pour toutes les télés, c'est cette image qui résuma cette manifestation, par ailleurs désespérément pacifique et républicaine.

Comme le rappelle notre ami André Gunthert, c'est la sénatrice elle-même qui a posté cette photo. Et la photo originale, recadrée par les furieux, montre que c'est la famille de la fillette tout entière, qui était venue affublée de l'autocollant, et munie de drapeaux tricolores -ce qui ne change pas grand chose, à mes yeux, mais montre que l'intention de la sénatrice était bien de poster les drapeaux.

Si je n'étais pas présent à la manifestation de dimanche, j'ai participé au -plus modeste- rassemblement contre l'islamophobie organisé la veille devant la mairie de la paisible bourgade de Tours (Indre-et-Loire). Et j'y ai vu deux jeunes femmes, arborant un symbole approchant : deux post-it jaunes collés l'un sur l'autre, leur décalage formant une étoile (à huit branches), sur laquelle était inscrit "musulman". Je dois avouer que je n'en ai pas été offusqué, pas assez en tous cas pour éprouver le besoin de twitter une photo. Et faute de la présence sur place de Esther Benbassa, le sacrilège est resté protégé par la discrétion tourangelle.

Me voici donc face à cette question : pourtant hautement conscient, me semble-t-il, de l'unicité, indépassée et indépassable, de l'extermination nazie, pourquoi n'ai-je pas été choqué de cette appropriation ? Pourquoi est-ce que je ne me sens pas dépossédé ?

J'élimine d'emblée une sous-question. Oui, contrairement à ce qu'ont cru notre chroniqueuse Mathilde Larrère (qui a ensuite effacé ses tweets) ou Edwy Plenel sur BFM, il me paraît indiscutable que les autocollants en question sont bien une référence volontaire à l'étoile jaune (à six branches), la seule, la vraie. Il faut donc affronter une fois de plus cette question : la comparaison entre l'extermination nazie des Juifs, et le harcèlement actuel des musulmans, est-elle légitime ? Au fond, rien de vraiment neuf, c'est celle que pose le livre de Gérard Noiriel (que nous recevions récemment, avec Pierre Birnbaum) : peut-on comparer Drumont et Zemmour ? Sauf que là, la référence n'est plus seulement l'antisémitisme verbal de Drumont. C'est Auschwitz, rien de moins, que convoque cet autocollant.

Est-il besoin de le dire et le redire ? Les musulmans de France, aujourd'hui, ne sont pas raflés dans la rue parce que musulmans. Ils ne sont pas entassés dans les bus, puis dans les trains. Ils ne sont pas expédiés aux chambres à gaz. Mais la déshumanisation médiatique actuelle des Musulmans, est l'écho désespérant de la déshumanisation des Juifs par la presse des Années 30, et par la presse anglo-saxonne des années 40-45. La condamnation quotidienne de toute une communauté, aujourd'hui, par les medias dominants zemmouroïdes, prépare les esprits à une éventuelle persécution. Je ne dis pas que c'est son but. Je ne dis pas que cette persécution se produira forcément. Je dis que l'effet objectif de ce martèlement est la préparation des esprits à une horreur possible. Rien de plus. Mais rien de moins. Voilà ce que j'aimerais tant que comprennent les sincères blessés de l'étoile de dimanche.


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