Benalla, Le Média, Poutine, Corbyn : notre plateau-rattrapage de l'été

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Cette émission de rentrée est conçue comme une émission de rattrapage sur les principaux sujets traités pendant l'été. Et aussi une émission sur les coulisses, notamment nos méthodes d'enquête. Deux journalistes sur le plateau : Lynda Zerouk, journaliste et Julie Le Mest en stage à Arrêt sur Images. Au menu, les accusations d'antisémitisme contre Corbyn, l'agression raciste de Beaune, et les deux grands feuilletons qui nous ont occupé une partie de l'été : l'affaire Benalla et les déchirements internes au Média.

Soupçons autour des co- fondateurs du média

On commence avec notre enquête sur Le Média. Après une crise violente début juillet, Sophia Chikirou, co-fondatrice et ex directrice de la web-TV, a été accusée d'avoir facturé via sa société Médiascop, des prestations de conseils auprès du Média, à hauteur de 400 euros par jour. Elle s'est défendue dans  Médiapart en accusant à son tour les sociétés de production des deux autres co-fondateurs, Henri Poulain et Gérard Miller, d'avoir eux aussi facturé des prestations au Média. 

L'accusation est passée inaperçue. De notre côté, on a décidé d'enquêter. L'enquête est ici. Comment avons-nous travaillé ? Nous avons tout d'abord appelé les trois quarts de l'équipe, aussi bien ceux qui se livrent une bataille publique sur Twitter que les salarié.e.s plus discrets, que l'on n'entend pas sur les réseaux sociaux. En multipliant les contacts, on parvient à réunir une foule de documents, facture et des devis émis par les sociétés Story Circus et Simplement, deux sociétés qui appartiennent respectivement à Poulain et Miller. Comment être sûrs que ces documents ne sont pas des faux ? On recoupe les informations auprès des uns et des autres, on recoupe tous les mails reçus, et enfin on confronte ces factures avec les intéressés. 

Très coopératif, Poulain corrobore tous les chiffres en notre possession. Miller refuse à plusieurs reprises de nous répondre malgré notre insistance. On vérifie alors les chiffres en notre possession auprès de plusieurs employé.e.s du Média avant de les publier. Une des difficultés de cette enquête : quasiment tous les interlocuteurs de la web-TV insistent pour que l'on préserve leur anonymat. 

D'ailleurs, nous souhaitions réaliser cette semaine une émission de rentrée sur Le Média, mais tous les membres de l'équipe nous ont opposé un refus, à l'exception de Théophile Kouamouo, nouveau rédacteur en chef, et ancien collaborateur d'Arrêt sur Images que nous avions par ailleurs déjà reçu sur notre plateau. Tous les employé.e.s proches de Chikirou craignaient une sanction, après qu'un de leurs confrères, le journaliste Serge Faubert, a reçu un avertissement pour s'être exprimé dans la presse. Il avait accusé dans Le Monde la nouvelle direction de pratiques "communautaristes", sans jamais en apporter la preuve.


L'agression raciste de Beaune

Début août, les militants et les associations anti-racistes s’émeuvent sur Twitter ou par communiqués. Ils évoquent l’agression de sept jeunes, à Beaune, agression selon eux raciste et sous-médiatisée. Mais le "règlement de comptes" fait également partie des pistes avancées par le parquet…(Notre article est ici).

Sur cette histoire, comme les autres médias, nous étions perplexes. Si l’agression de Beaune était raciste, elle était clairement sous-médiatisée. Mais les règlements de compte, eux, sont habituellement traités comme des faits divers. En remontant le fil des articles publiés sur le sujet, il apparait de plus en plus clairement qu’une grande partie du problème tourne justement autour de cette expression, "règlement de comptes". C’est donc sur l’origine de ce terme que nous avons enquêté. La thèse du "règlement de compte" avait, de façon trop rapide, été présentée comme la piste privilégiée en début d’affaire, notamment par l’AFP. 

C'est Manuel Desbois, journaliste au Bien Public, le quotidien de Côte d’Or, qui nous explique les raisons de la prudence du parquet : celui-ci soupçonnait que la présence des agresseurs sur place ait un lien avec précédente une affaire de banditisme… Sans que les jeunes agressés, a priori, n’y soit liés. Sans doute le parquet aurait-il dû communiquer plus finement... Et les médias enquêter davantage. 


L'affaire Benalla

C'est l'autre feuilleton de cet été. Mais beaucoup plus retentissant encore. Si vous l'avez manqué, un petit rappel. Le 18 juillet, Le Monde identifie un collaborateur du chef de l'Etat, molestant un couple de manifestants en marge du défilé du 1er mai, sur la place de la Contrescarpe, à Paris. Il s'agit d'Alexandre Benalla, depuis mis en examen notamment pour violence en réunion. 

S'il est vrai qu'Arrêt sur Images n'a pas été à l'origine de grandes révélations dans cette affaire, "on peut néanmoins se féliciter d'avoir fait le tri dans l'avalanche des révélations, en faisant ressortir les points les plus saillants", estime Lynda Zerouk sur le plateau. D'ailleurs notre dossier est ici. On peut aussi souligner la contribution d'une abonnée qui nous a transmis, sur le forum d'Arrêt sur Images, le lien vers une vidéo, publiée sur Twitter par une internaute présente lors de l'intervention. Elle montre la suite de l'interpellation violente de la jeune femme que Benalla avait traînée sur plusieurs mètres avant de l'isoler. Nous avions alors été parmi les premiers à publier cette vidéo et interroger son auteure (l'article est ici).


Enquête sur les prétendus bots-russes dans l'affaire Benalla

Mais il y a aussi une affaire dans l'affaire Benalla. Elle émerge suite à la publication d'une étude de l'ONG EU Disinfo Lab qui conclut à "un gonflage numérique" de l'affaire Benalla sur Twitter. Les responsables de cette étude laissent entendre qu'un "écosystème russophile" serait derrière l'amplification de cette affaire sur le réseau social.  

C'est BFMTV qui ouvre le feu en reprenant mot pour mot les résultats préliminaires de cette enquête. Et deux jours après, une dépêche AFP reprend l'information, qui se propage alors dans toute la presse. On cherche de notre côté à en savoir un peu plus, à la fois sur cette ONG (ses financements, ses partenaires, etc.) et sur l'enquête elle-même. En interrogeant les analystes de cette étude, on s'aperçoit qu'elle présente plusieurs limites, notamment sur la méthodologie employée par cette ONG pour identifier et qualifier ces comptes estampillés "russophiles". On leur demande : "qui sont ces comptes hyperactifs dans cette affaire ? Est-ce qu'ils ont été créés au moment de l'affaire Benalla ? Ou bien  existaient-ils déjà et ont-ils l'habitude de tweeter massivement ? Est-ce qu'il y a parmi eux, des bots russes ou des bots tout court ?" Les responsables ne fournissent aucune réponse à ces quelques questions élémentaires. Nous avons donc été les premiers à conclure que cette enquête n'était pas fiable.

Bagarre entre Booba et Kaaris

Juste au moment où l’affaire Benalla commençait à se tasser, une autre bagarre vient mobiliser les médias : celle des rappeurs Booba et Kaaris, avec leurs bandes respectives, à l’aéroport d’Orly. Vidéos amateur de la bagarre partout sur les réseaux, terminal de l’aéroport fermé, rappeurs mis en détention provisoire (dont ils viennent de sortir le 23 août) : tous les ingrédients sont réunis pour une belle polémique. Mais il y a de grands absents sur les plateaux : les spécialistes du rap. Quasiment tous ont refusé les sollicitations, et ils s’en expliquent dans un cadre dont ils maîtrisent la forme, une longue interview parue sur le site Hypebeast. Pourquoi les spécialistes rap ne veulent pas aller dans les médias mainstream, et quel est l’écosystème médiatique bâti par la scène rap ? C’est la question à laquelle nous avons tenté de répondre dans notre article : 

Comment traite-t-on d’un sujet sur lequel on n’a pas beaucoup de connaissances ? Nous avions cependant une belle porte d’entrée, l’interview du site Hypebeast. Contactés, Mehdi Maïzi et Fif, les protagonistes de l’interview, et Hanadi Mostefa, la journaliste qui l’a menée, déclinent gentiment nos demandes d'interviews. Dans ce cas, le journaliste fait appel à son carnet d'adresses -même naissant. C’est donc grâce à un proche que nous contactions Genono, journaliste spécialisé rap. Il a été un des rares, dans le milieu du rap, à tenter l’expérience de la télévision, et en est revenu très déçu.

Corbyn accusé d'antisémitisme

Au Royaume-Uni, le feuilleton de l’été n’a pas été Benalla, mais les accusations portées contre Jeremy Corbyn, le leader du parti travailliste. Le parti traverse en effet une crise politique : Corbyn est accusé de ne pas lutter assez énergiquement contre l’antisémitisme qui existe dans ses rangs. L’adoption incomplète par les travaillistes de la définition de l'antisémitisme mise au point par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA) a ajouté de l’huile sur le feu qu’elle était censé apaiser. Dans ce contexte, de nombreux journaux exhument des affaires mettant en cause Corbyn… Et ce dernier se défend de façon plutôt étrange comme nous le racontons : 

Ici, l’enjeu était de décrypter les informations données par la presse britannique… Ce qui est loin d’être évident. Citations tronquées, photos mal légendées, contextes oubliés : le sujet est piégé (volontairement ?) par la presse. Cependant, le jeu des reprises et des précisions permettait d’en savoir (un peu) plus sur chaque cas reproché à Corbyn. 

Julie Le Mest et Lynda Zerouk

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