La surprise Fillon
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 241 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Jusqu'au bout, ils se seront plantés, comme d'habitude. Douze points d'écart sur le score de Fillon avec les derniers sondages.
C'est acté : les sondages sont une machine à faire perdre les favoris qu'ils désignent. Tremble Fillon, désormais ! Tremble Le Pen ! Il fallait les entendre, les Elkrief, les Malherbe, les Barbier, quand le Réac maison Eric Brunet a débarqué sur le plateau de BFMTV, pour leur envoyer leur plantage dans la figure : "on ne s'est pas plantés, pas du tout ! Pas de notre faute si Fillon a remonté le terrain la dernière semaine". (Je sais, Brunet lui-même est l'auteur en 2012 d'un immortel ouvrage "Pourquoi Sarkozy va gagner". C'est donc un expert qui parlait). Second grand moment de cette soirée qui en compta beaucoup, le juppéiste Benoit Apparu, aux côtés du sarkozyste (et néo-fillonniste) Eric Ciotti, lançant à Nathalie Saint-Cricq sur France 2 : "vous aussi, vous vous êtes plantés, puisque vous nous avez invités tous les deux". C'est vrai. Damned ! La maison Field n'avait pas prévu de fillonniste. Grosse déroute des gros malins.
Comme d'habitude, l'heure, dans les journaux, est à s'épuiser en tentatives d'explications rétrospectives. Je vous laisse lire, si vous avez envie de rire. Je ne fais pas le malin : d'explication, je n'en ai pas non plus. Fillon, je ne l'ai pas vu venir. Je ne l'ai pas écouté. A peine ai-je perçu, dans le deuxième débat, un "ton", une densité, une sérénité, qui surclassaient les autres, mais je ne m'y suis pas arrêté. Pourquoi Fillon a, à ce point, écrasé Juppé, je ne vois pas, sauf à imaginer que l'opération Sarkozy de déportation de Juppé à gauche a fonctionné. Ce qui est possible, avec le renfort appréciable de la cathosphère / Manif pour tous. Un indice : le seul twittéditocrate à avoir pressenti le tremblement de terre Fillon, le seul, est le directeur de Marianne Macé-Scaron, observateur-pourfendeur particulièrement vigilant de la cathosphère.
Pourquoi Fillon a aussi écrasé Sarkozy est plus clair à mes yeux, même si aucun invité n'a eu l'outrecuidance de le relever sur les plateaux télé : les électeurs de droite, aussi incroyable que ce soit, s'informent ailleurs que chez Pujadas ou chez Dassault. Ils avaient regardé Envoyé Spécial sur Bygmalion. Ils ont vu les aveux de Takieddine, que Pujadas et les autres ont tenté de leur cacher. Ils auront voulu laisser Sarkozy libre de vivre sa grande passion avec la Justice.
A peine poussé le grand soupir de soulagement, il va nous rester à découvrir Fillon. Reste à découvrir les raisons pour lesquelles il était, et reste, le candidat de la Manif pour tous. Reste à découvrir les détails de son programme économique "thatchérien", la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, le retour aux 39 heures, la suppression de l'ISF, je n'énumère pas tout. Fillon, c'est la droite éternelle, la droite polie et implacable, la droite bien coiffée, la droite française des chateaux, des lodens et des abbayes, dans toute sa droititude.
Pour cette raison, Catho-Fillon est une bonne nouvelle pour le (s) candidat (s) de gauche. Il laisse à la gauche un espace un peu plus large que l'attelage mort-né Juppé-Bayrou. Il prendra davantage de voix à Le Pen. Laissons-leur le temps d'intégrer l'information, et on va voir que cette nouvelle cartographie donne d'abord une prime aux candidats les moins compromis avec la Hollando-vallsie : dans l'ordre, et pour n'énumérer que les déclarés, Mélenchon, Filoche, Lienemann, Hamon, Montebourg, Macron (essayons, cette fois, de n'oublier personne).
A moins que. Rêvons un peu. Pourquoi les divines surprises seraient-elles toujours pour la droite ? Face à Catho-Fillon, celle qui ferait une perdante magnifique, une perdante à oriflamme, le meilleur signal d'adieu avant cure de régénération pour une gauche en capilotade, celle qui ramènerait vers l'urne l'électeur de gauche en déconfiture, et qui serait même capable, sait-on jamais, l'humeur des électeurs étant ce qu'elle est, de se hisser au second tour, c'est Taubira. Lyrique, iconique, porteuse de la réforme la plus courageuse du quinquennat, Taubira est l'anti-Fillon parfaite, l'image de gauche qu'appelle la droite Fillon. Je sais, les sondeurs ne la testent pas. Quand ils la testeront, elle sera au fond du trou. C'est justement pour cette raison que ça peut marcher. Puisqu'on est en Absurdie, adoptons les lois de l'Absurdie.
François Fillon, à l'époque du Sarkozistan