Bygmalion : "Avec Internet, ce n'est plus possible de déprogrammer"

La rédaction - - Médias traditionnels - Investigations - 29 commentaires

Bolloré, Arnault, Sarkozy : Tristan Waleckx (Envoyé Spécial), ses enquêtes, ses pressions


Les dépassements des frais de campagne présidentielle, les conditions de travail dans les plantations africaines de Vincent Bolloré, les conditions de fabrication de bottines de luxe, autant de sujets sur lesquels il est déjà difficile d'enquêter quand on est journaliste de presse écrite. Mais avec une caméra, la difficulté est encore plus grande. Et pourtant, c'est possible, comme en témoigne depuis plusieurs années un petit nombre d'enquêteurs télé. A l'exemple de Tristan Waleckx, notre invité d'aujourd'hui, journaliste à Envoyé Spécial.

Résumé de l'émission, par Juliette Gramaglia

[Acte 1] Est-ce la présence sur le plateau de notre invité, l'enquêteur Tristan Waleckx ? Cette semaine, Océanerosemarie a mené l'enquête tous azimuts. Pour savoir où passent nos impôts (dans les pains au lait ou les services de santé ?) ; que sont devenus les bijoux volés de Kim Kardashian (valeur : un demi-TGV) ; et surtout, où est cachée la théorie du genre, dont le pape François a décelé des traces dans les manuels scolaires français.

[Acte 2] Le témoignage de Franck Attal, enregistré par Envoyé Spécial a eu bien du mal à être diffusé : sous la pression de l'entourage de Sarkozy, la direction de France 2, en la personne de Michel Field, a voulu décaler l'enquête sur Bygmalion après la primaire du parti Les Républicains (@si révélait l'affaire ici). Chose à laquelle l'équipe d'Envoyé Spécial s'est totalement opposée, rappelle Waleckx. Et puis l'affaire s'est ébruitée, par l'intermédiaire d'Arrêt sur images et du Canard Enchaîné. Résultat: un teasing trois semaines avant la diffusion de l'émission, dans le 20h de David Pujadas. Et une diffusion maintenue le 29 septembre.

Qu'un journaliste vienne sur un plateau raconter les tensions entre les journalistes et la direction, c'est inédit. "On espérait que ce bras de fer reste[rait] en interne", confie Waleckx. La médiatisation n'a-t-elle pas aidé l'équipe d'Envoyé Spécial ? Si, clairement, répond le journaliste de France 2, même si ça leur a fait perdre des témoignages. "Je trouve qu'il y a eu un réflexe assez sain dans la profession", avec beaucoup de soutiens de chroniqueurs et de journalistes, ce qui a conduit la direction de France 2, "seule contre tous" à "prendre la bonne décision".

[Acte 3] L'autre témoignage marquant d'Envoyé Spécial, après celui d'Attal, est celui de Laurent Ferlet. Le compositeur de l'hymne de campagne de Sarkozy, qui a été appelé par la conseillère en communication de l'ancien président, Véronique Waché. Celle-ci voulait que Ferlet retire son témoignage. Elle est même allé jusqu'à poster sur Twitter des SMS de Waleckx, en soutenant qu'il avait "manipulé" ses interlocuteurs. Ce que dément Waleckx: "J'ai présenté mon sujet de façon totalement limpide". "Que ça lui fasse plaisir ou pas, c'est pas mon problème", ajoute-t-il.

Et Bygmalion, ce ne sont pas les premiers comptes de campagne sur lesquels Waleckx s'est penché. Il y a aussi eu ceux de la campagne d’Édouard Balladur en 1995. Un sujet traité sous l'impulsion de Laurence Ferrari, qui présentait le 20h de TF1, et qui avait bien failli ne pas être diffusé. Une "censure à l'ancienne" qui ne tiendra pas : après des appels d'Arrêt sur images, du JDD.fr, et d'autres médias, le sujet fut finalement diffusé. "Des déprogrammations comme ça, c'était possible dans les années 1980, 1990. Aujourd'hui, avec Internet, ce n'est plus possible", estime Waleckx.

[Acte 4] Waleckx s'intéresse aussi aux milliardaires français. Vincent Bolloré, par exemple. Dans un de ses reportages, Waleckx s'intéresse à une palmeraie camerounaise appartenant à 38% à l'entrepreneur breton. Bolloré avait tenté de décrédibiliser ce reportage (avec des preuves peu convaincantes). Il a aussi attaqué sa rediffusion pour dénigrement, ce qui a conduit l'affaire devant un tribunal de commerce. "Bolloré ne comprend pas que les journalistes soient guidés par autre chose que de faire gagner des parts de marché à France 2", estime Waleckx. Ce qui explique cette plainte commerciale (et non pas en diffamation, comme c'est d'habitude le cas), inédite pour France Télévisions.

[Acte 5] Et puis, il y a Bernard Arnault, le patron du groupe LVMH. En 2012, Waleckx montre que les chaussures et sacs LVMH sont fabriqués en bonne partie en Roumanie... et simplement assemblés en France ou en Italie. Un rude coup pour la communication de LVMH.

Mais Waleckx et Arrêt sur images ont déjà eu un gros désaccord. Plus précisément, lorsque le hacker israélien Grégory Chelli, alias Ulcan, pirate le site d'@si... devant les caméras de Complément d'Enquête. Une démarche à l'époque critiquée par le matinaute, qui y voyait une mise en scène. "J'étais fou de rage à la lecture de votre papier", confie Waleckx.

Waleckx pourrait-il enquêter sur des sujets concernant France Télévisions? La nomination de Delphine Ernotte, par exemple. "Je pense que ce serait un beau sujet", admet le journaliste. Mais ce serait peut-être à quelqu'un d'autre de le faire, conclut-il.

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